Barrages contre les fascismes

mercredi 27 janvier 2016.
 

Pour beaucoup, le fascisme c’était hier, ailleurs, dans les livres. Les conditions semblent être réunies pour que se constituent dans le monde, en Europe, au Proche-Orient et bien entedu en France, des mouvements de « type fasciste » disposant d’une base de masse plus moins structurées. C’est ainsi que, pour ne parler ici que de la France, 6,8 millions d’électeurs français ont mis le doigt dans l’engrenage.

Si d’évidence les fascismes de notre temps ne sont pas les simples clones de leurs aînés, il nous faut cependant regarder la réalité en face : ils sont là, présents, fidèles au rendez-vous de la crise économique, sociale et morale qui déchire le Vieux Continent et plus généralement le monde. Ils tissent leur toile d’araignée, suscitent les ralliements, construisent les passerelles, cherchent leur ordre de bataille et aspirent au pouvoir.

La filiation historique du lepénisme est sans ambiguïté. Bon gré, mal gré, avec ses contradictions et ses tentatives de dissimulation, il plonge ses racines et puise ses références dans le refus des Lumières, chez les antidreyfusards, dans la France de Vichy et de la révolution nationale, chez les partisans de l’Algérie française et de son ordre colonial.

Mais il va également de soi que le bleu marine n’est pas seulement l’ombre des chemises noires du passé, c’est également et avant tout la résultante des conflits d’aujourd’hui. L’impact réel de ce fascisme moderne réside dans sa capacité à fournir à la rébellion contre le « système » à la fois une idéologie, une forme d’organisation et des adversaires en chair et en os : les étrangers, l’État-providence, le mondialisme, le mouvement syndical, le féminisme, le multiculturalisme et bien d’autres encore.

Il y a déjà vingt ans, l’historien américain Robert Paxton nous disait à propos du fascisme historique qu’il avait été mal compris, « parce que le phénomène était inattendu et qu’il a surgi dans des sociétés qui croyaient que le suffrage universel et le progrès ne pouvaient que conduire inévitablement à la démocratie politique et sociale ». Mais le suffrage universel est frappé par l’abstention populaire et le progrès par les politiques économiques et sociales en cours.

Le fascisme combat à la fois l’« égoïsme » du patronat et celui des salariés, il se prétend le garant de la nation en prenant position contre les intérêts particuliers. Pour ce faire, il modifie constamment son programme, marie les contraires, balançant entre « anticapitalisme » et « libéralisme ». C’est ainsi qu’il peut influencer différents secteurs de la population qui sentent leur mode de vie menacé, qui sont refoulés aux marges de la société et n’ont plus ni perspectives ni moyens d’existence à l’intérieur de la société telle qu’elle est. Il est à la fois parti des petits-bourgeois mécontents et parti des déclassés, parti d’ordre et parti de combat contre le système. Il est temps, plus que temps, de rassembler dans l’unité des forces pour décrypter et combattre la réalité de ces extrêmes droites et la rendre intelligible au plus grand nombre.

Il y a vingt-cinq ans, un appel signé par 250 personnes, donnait naissance à un mouvement, Ras l’front, qui pendant quelques années a incarné cette bataille contre la montée des idées du Front national. Les temps ont certes changé, mais quelque-unes des affirmations de l’époque n’ont pas changé. Il faut, déclaraient les signataires, « nommer les choses et les gens » : « Le Pen, en filiation directe avec l’idéologie nazie, est un fasciste ». Ils rappelaient les conditions dans lesquelles le FN appliquait « sa stratégie de conquête du pouvoir » : « la dégradation des moeurs politiciennes, les éclats d’un affairisme impudent […], le désarroi idéologique, la mise en place d’une société glacée, impitoyable aux faibles, la dissolution des solidarités populaires anciennes ».

Faire barrage au FN, au « bleu-marine », aux prétendus « patriotes », c’est mobiliser de ceux et de celles qui, par-delà différences et clivages, sont résolus à le stopper, à tous les niveau, en s’organisant pour ce faire. « Il faut mettre en place, était-il écrit dans ce texte, un front de résistance, qui donnera un coup d’arrêt à ces entreprises et imposera l’adoption de mesures sociales et politiques propres à enrayer le développement du racisme. Nous en appelons aux partis et aux organisations progressistes pour qu’ils créent, dans les plus brefs délais, les conditions pratiques d’une riposte unitaire. » Les temps ont certes changé, mais les nécessités sont les mêmes.

Jean-Jacques Petiteau (Var) et Patrick Silberstein (Aubervilliers)


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