Valls ou le bonapartisme décomplexé ! (Noël Mamère)

jeudi 28 janvier 2016.
 

Une fois de plus, une fois de trop, Manuel Valls choisit la division de la gauche et accessoirement des Français, en réveillant avec cynisme et brutalité le débat ultra-sensible sur la laïcité. Mais quel est donc le but poursuivi par le nouveau porte-parole des néo-conservateurs ? A-t-il décidé de se lancer dans la course à la présidentielle, dès 2017, constatant le rejet de François Hollande et sa faveur dans les sondages ?

Dans ce contexte de mort clinique de la gauche, face à la concurrence de l’extrême droite, qui se précise de jour en jour, il considère que les thèmes de l’ordre, de la nation, de l’autorité et de l’identité sont « porteurs » et cherche la moindre occasion de les remettre sur la table de la société. En s’en prenant avec violence aux deux responsables de l’Observatoire de la laïcité, devant « les amis du CRIF », il n’a fait que « communautariser » un peu plus le débat sur la laïcité en tentant d’ostraciser des responsables musulmans et d’absoudre les propos islamophobes.

Idéologie occidentaliste

Au lieu de rassembler les Français contre le fascisme religieux, il les divise. Au nom d’un misérable calcul politicien, il met de nouveau la société en tension au moment où elle aurait le plus besoin d’apaisement. D’ailleurs, Marine Le Pen ne s’y est pas trompée qui, dans un exercice de triangulation inversée, vante « une société apaisée » sur ses affiches style « old school », directement inspirées de la campagne de Mitterrand en 1981.

Manuel Valls est devenu coutumier de ces transgressions néoconservatrices. Il s’en est même fait une spécialité, en déclenchant des polémiques à répétition, le plus souvent avec l’obsession de pourfendre des ennemis de l’identité de la France. Cette monomanie identitaire recouvre en réalité une idéologie commune à une partie de la droite et de la gauche gouvernementale, l’idéologie occidentaliste. Obsédée par la crainte du déclin de la civilisation occidentale devant la montée des puissances émergentes, par la peur de l’islam considéré comme une menace pour nos « valeurs républicaines », une partie de la classe politique de ce pays s’est constitué un nouvel imaginaire du repli. Il repose sur trois éléments constitutifs. La laïcité intégriste, ou intégrale, qui considère que l’espace public doit être purgé de tout signe religieux musulman, que l’islam doit retourner à l’âge des caves et qu’il n’y a de bon musulman qu’assimilé. Ainsi conçue et défendue, la laïcité est le nouveau nom d’une guerre antireligieuse fantasmée.

Le deuxième pilier de cette doxa est l’essentialisation. Au lieu d’identifier l’ennemi, le courant djihadiste, c’est-à-dire un fascisme religieux et politique, le premier ministre procède par amalgames récurrents. Ainsi les musulmans qui se réclament de courants relevant de l’orthodoxie seraient par nature les tremplins du djihadisme. Tous sont taxés, pêle-mêle, d’intégristes et d’idiots utiles d’Al-Qaida et de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]. A ce compte-là, toute femme voilée devient suspecte, puisqu’elle transgresse les lois imaginaires de la laïcité revue et corrigée par ses nouveaux hérauts.

En réalité, si l’on se place dans la perspective politique de Manuel Valls, le musulman est un « bon client », au même titre que l’émeutier cagoulé des médias quand ils traitent des quartiers populaires. Le premier ministre cherche en permanence des cibles, tel Jean-Louis Bianco, sa dernière victime en date, dans le seul but de réduire une réalité complexe à son imaginaire autoritaire, inégalitaire et guerrier. Jusqu’où ce thuriféraire de Clemenceau ira-t-il pour devenir président ?

La troisième composante de cette idéologie occidentaliste, c’est l’appel permanent à la guerre de civilisation. La République est ainsi réduite à une sorte de forteresse assiégée au nom de l’idée que le premier ministre et ses semblables se font d’une « civilisation » occidentale menacée de toutes parts par les « barbares ». Il faut donc leur opposer une logique de guerre et considérer tous leurs représentants ou supposés tels, présents sur notre territoire, comme une cinquième colonne susceptible de nous attaquer à tout moment. La conséquence de cette logique infernale est une militarisation durable de la société, ainsi que le prouvent la nouvelle prolongation de l’état d’urgence qui s’annonce, la déchéance de nationalité inscrite dans notre Constitution et le recul du protecteur de nos libertés, le juge judiciaire, que prépare la réforme des codes pénal et de procédure pénale. Jusqu’où ce thuriféraire de Clemenceau ira-t-il pour devenir président ? Pourtant, plus les jours passent et plus il s’installe dans une forme de bonapartisme décomplexé. Bonapartiste, cette tentation autoritaire de gouverner par l’état d’exception permanent, en se débarrassant du contrôle des juges ; bonapartiste, cette volonté de gouverner en instaurant un climat de peur ; bonapartiste, cet attrait pour les ordonnances, en se débarrassant de ces parlementaires inutiles qui empêchent l’exécutif de faire son travail ; bonapartiste, enfin, ce penchant pour la marginalisation de tous ceux qui osent rappeler les règles de l’Etat de droit et de la démocratie.

Pour mieux masquer cette dérive, Manuel Valls nous répète en boucle : « République, République, République. » Comme s’il s’agissait de nous faire oublier qu’elle a toujours été menacée par des boutefeux autoritaires et des va-t-en-guerre arrogants, tout autant que par les tenants de l’arbitraire et les autocrates de la morale républicaine.

Dans les années 1960, Sartre qualifiait déjà la gauche de « cadavre tombé à la renverse et qui pue ». Déjà, Guy Mollet, le représentant de cette gauche près du tombeau, avait fait voter l’état d’urgence et les pouvoirs spéciaux pour mener la sale guerre d’Algérie, au nom d’une vision étriquée de la France et de la République. Cinquante ans plus tard, nous nous retrouvons face à la même faillite idéologique. Nous ne pouvons nous résoudre à cette déchéance.


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