De la violence... des juges d’Amiens, du mensonge politicien, de l’état d’urgence...

jeudi 4 février 2016.
 

La violence du verdict contre les syndicalistes de Goodyear-Amiens est faite pour nous assommer. Une menace claire est expédiée au monde du travail, aux ouvriers, à leurs délégués syndicaux qui veulent défendre leurs droits, leurs emplois menacés, leur usine.

Ceux qui versent une larmichette sèche sur les difficultés de syndicalisation sont les même à se réjouir de cette abominable sentence. Elle accompagne le processus de mondialisation capitaliste qui exige que partout les travailleurs soient jetés dans le feu d’une concurrence féroce où doivent être laminés les droits sociaux pour toujours les tirer vers le bas. A ce rythme, le retour à l’esclavagisme devient une perspective si on ne trouve pas les moyens d’une unification internationale du combat pour le travail. Les projets en cours visant à affaiblir ou à anéantir le code du travail participent d’une démarche globale pour obtenir un rapport de force plus favorable aux détenteurs de capitaux contre ceux et celles qui n’ont que leur force de travail à vendre. Personne ne peut rester silencieux face à un tel jugement ! Aujourd’hui ce sont ceux d’Amiens ! A qui le tour demain ? Ceux d’Air France sans doute ? Le Parquet tente d’assimiler des militants syndicaux, contre lesquels la direction de l’entreprise et les deux cadres retenus avaient pourtant retiré toute plainte, à des délinquants de droit commun et, pourquoi pas, à des criminels. Nous ne parlons pas ici d’un cas isolé. Des militants écologistes ont été assignés récemment à résidence, les syndicalistes paysans qui agissent contre la ferme-usine des milles vaches sont eux aussi inquiétés, alors qu’on prône en haut lieu l’agro-écologie, une inspectrice du travail a été poursuivie et condamnée avec un salarié pour avoir dénoncé les abus d’une grande entreprise, des syndicalistes sont poursuivis au pénal, des salariés d’Air-France sont licenciés, d’autres arrêtés comme des voyous au petit matin. Au fait, la direction d’Air-France a annoncé la semaine dernière qu’elle n’appliquerait pas le plan de réduction d’effectifs pour lesquels ces militants syndicaux sont poursuivis. Si ce qu’elle avance aujourd’hui est vrai, ils avaient donc raison. Pourquoi alors les poursuivre ?

Le procureur d’Amiens a manifestement des comptes à régler avec le mouvement syndical. De quel droit se permet-il d’opérer un tel virage jurisprudentiel ? Quel vent l’a poussé à porter un coup aussi rude à l’action syndicale, et les juges à suivre à tel réquisitoire ?

Le premier ministre peut bien faire mine d’une légère compassion à l’égard de nos camarades syndicalistes. Il a multiplié les provocations verbales – jusqu’au côté du grand démocrate qu’est le roi d’Arabie Saoudite – à l’égard des salariés debout pour la défense de leurs emplois, à Air France ou ailleurs. Il porte la responsabilité du climat qui pousse certains cercles judiciaires, avides de reprendre du pouvoir sur la chancellerie, à jouer les matamores face à des ouvriers frappés au cœur par l’impitoyable loi du capital. En agissant ainsi, ils outrepassent leur rôle pour pousser plus loin les feux de l’humiliation.

Nous ne pouvons être dupes de l’hypocrisie sociale des classes dirigeantes. Sous couvert de maintien de l’ordre, elles veulent réprimer pour que ne se réalise pas l’unité populaire qui menacerait leur domination afin de laisser le champ libre à la seule violence patronale, celle dont personne ne parle jamais. La violence de ces plus de mille vies gâchées par les licenciements, ces travailleurs à qui on signifie un jour qu’ils ne sont plus…rien. La violence poussant 12 salariés de Goodyear à se donner la mort après leur licenciement. Celle de ces centaines de vies déchiquetées, annihilées, broyées par le divorce ou la dépression. La violence de ces saignées au long cours de l’hémorragie industrielle où ce sont toujours les fantassins du capitalisme sans rivage qui trinquent, de l’ouvrier au technicien et à l’ingénieur. Violence contre tous ces bassins d’emploi industriels, sacrifiés sur l’autel du veau d’or de l’argent-roi. Celle de ces centaines de morts par accidents du travail soigneusement rendu invisible !

Et que dire de la violence du mensonge politicien ! N’est-ce pas sur le site d’Amiens-Nord qu’en 2011, le candidat Hollande avait promis une loi contre les « licenciements boursiers » qui a depuis rejoint, avec la loi d’amnistie des militants syndicaux, le vaste cimetière des promesses électorales non tenues. Jusqu’à récemment encore, l’Etat était encore peu ou prou garant d’un équilibre social conquis de haute lutte. Il est désormais mis au service quasi exclusif des puissances d’argent. Mesurons la gravité de la mutation engagée, qui se poursuit en affectant la nature même d’un Etat qui, d’un côté use de son bras séculier pour mater l’action des travailleurs organisés et, de l’autre, organise la dérégulation de l’économie selon les souhaits des multinationales et des fonds de pensions transnationaux. Cet Etat-là dilapide l’argent public à coups de dizaines de milliards déversés dans les circuits corrompus du capital financiarisé, avec à la clef un chômage toujours plus élevé. Qui, du point de vue de l’intérêt général, est le plus passible des tribunaux ? Le syndicaliste qui défend l’emploi, l’activité économique ou la multinationale qui exporte des capitaux issus du travail salarié dans les paradis fiscaux ?

Cette nouvelle figure d’un Etat mutant s’accommode fort bien du climat engendré par l’état d’urgence, dévoyé de sa mission de lutte contre le terrorisme, que l’on nous promet pour des mois. L’Etat ainsi redéfini se recentre sur ses missions de maintien de l’ordre, en mettant au pas les travailleurs et toute contestation organisée, tout en laissant les oligarques remodeler sans frein la société entière sur fond de chômage, de précarité et de violence sociale.

Où est passé l’Etat social sans lequel l’idée même d’une République fidèle à ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité ne peut exister ? Qu’un gouvernement élu par les électrices et électeurs de gauche, sur un programme dit de « changement », soit l’acteur de cette « révolution copernicienne », témoigne de la puissance du mouvement en cours qui dépasse largement nos frontières.

Dans un tel contexte, le prétendu « dialogue social » dont s’enorgueillit le gouvernement n’a pas de sens. Il est rendu caduc par le désengagement de l’Etat de son rôle de protecteur des plus vulnérables, de contrepoids à la puissance des privilégiés de la fortune. Un mouvement de solidarité initié par la CGT se développe autour des syndicalistes d’Amiens. Toutes les organisations syndicales ont dénoncé un verdict inique. Derrière ce jugement de cour est en effet en cause la possibilité pour chacune et chacun de pouvoir défendre ses droits et au bout du compte l’emploi et le progrès social.

L’action doit donc se renforcer, s’élargir jusqu’à la relaxe des huit de Goodyear. Leur victoire sera d’autant plus précieuse qu’elle redonnera à tout le mouvement social sa légitimité sans laquelle les indispensables nouvelles mobilisations seraient entravées.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message