4 février 2016 : Avec notre camp

jeudi 4 février 2016.
 

Nous sommes le jeudi 26 novembre. Il est 17h05. Demain, l’hommage national sera rendu aux victimes des tueries du 13 novembre aux Invalides. Un mail tombe sur l’ordinateur des centaines de visiteurs médicaux du laboratoire pharmaceutique Servier. Il annonce l’engagement d’un PSE qui devrait se conclure en avril 2016 avec leur licenciement sec. Le ciel déjà lourd qui pèse sur le pays s’assombrit bien plus encore pour tous ceux et toutes celles, surtout toutes celles tant ce métier est essentiellement féminin, qui voient s’écrouler en quelques secondes leur devenir professionnel et pour beaucoup leur vie tout court.

C’est le choc. Beaucoup des 657 salarié-e-s visées ont 15, 20, souvent 30 ans d’ancienneté. Chez Servier, on entrait jeune dans le métier et beaucoup n’en ressortaient que l’âge de la retraite venu. Rien ne laissait présager la nouvelle : le groupe a certes été mis sous le feu de l’actualité par le scandale du Mediator, mais il s’est vite repris. En janvier il a même annoncé 352 millions de bénéfices - un chiffre quadruplé en un an - une trésorerie de plus de 2 milliards d’euros et un chiffre d’affaires de 3,9 milliards d’euros ! C’est vrai, la plupart des médicaments produits par le groupe entrent dans la catégorie des génériques, mais la situation est suffisamment solide pour gérer la suite autrement que par la charrette de toute une branche. « Le père Servier n’aurait pas fait cela » entend-on chez les plus anciens qui ont connu le fondateur, réputé pour ses relations paternalistes avec le personnel. Oui mais voilà, les temps ont changé et la question n’est plus d’assurer la pérennité de la fondation avec une marge correcte mais de « rassurer les marchés » en « restructurant ». En novlangue libérale, cela se traduit par la liquidation des emplois en attendant la délocalisation des activités. Objectif : atteindre 5 milliards de chiffre d’affaires d’ici 3 ans. Soit de 2 milliards de plus, sur le dos de 657 salariés et de leurs familles !

Mardi 2 février, 11h30, Suresnes : plusieurs centaines de salarié-e-s du laboratoire pharmaceutique Servier manifestent devant leur siège. C’est leur première grève. C’est même carrément la première grève dans ce groupe fondé en 1954. Ils se sont syndiqués par centaines dans une société où les syndicats étaient encore considérés comme inutiles il y a peu. Même par eux. Seulement voilà, depuis le 26 novembre ils ont appris ce que le capitalisme financier pouvait vouloir dire. Alors ils, surtout elles, chantent sur l’air du chant des partisans : « Demain les patrons connaîtront notre rang et nos armes ». L’atmosphère est emplie d’émotion et de colère sociale. Le moment est fort. L’inquiétude est évidente, non feinte, mais de résignation il n’y a point. Les salarié-e-s ont appris le combat collectif, pour appuyer leurs syndicats qui réclament la renégociation du PSE envisagé par la direction. Une chose est sûre : elles, ils, ne vont rien lâcher.

Ce même mardi 2 février, les annonces du groupe pharmaceutique Sanofi rappellent que le cas de Servier est quasi la règle, et en tout cas pas l’exception. Cet autre groupe pharmaceutique prévoit un plan d’économies de 1,5 milliards d’euro d’ici à 2018, je cite, « grâce à un recentrage de son portefeuille d’activités et à une réorganisation de l’entreprise en cinq grandes unités commerciales ». On appréciera une prose aussi poétique que celle des dirigeants de Servier. Le résultat est du même tonneau pour les salariés : ce plan est assorti de la suppression de 600 postes, 1000 selon la CGT. Ils s’ajouteraient aux 5000 déjà supprimés en France depuis 2008 ! En crise, Sanofi ? En pleine forme, oui ! Sanofi pèse plus de 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires, a réalisé 7 milliards d’euros de bénéfices et a versé 3,8 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2015. A Sanofi comme à Servier, les profits d’aujourd’hui sont les suppressions d’emplois de demain. Et tout comme Servier, Sanofi a touché son écot de la collectivité, soit 17 millions d’euros d’aides de l’Etat au titre du CICE et 125 millions de mieux au titre du crédit impôt recherche !

N’en jetez plus, la coupe est pleine. Les « Sanofi » vont donc certainement rejoindre les Servier dans la lutte. Ils sont habitués, ils bataillent depuis des années. Nous serons de nouveau à leur côté. Pas le gouvernement qui, en lieu et place de la loi pour interdire les licenciements et suppressions d’emplois boursiers qui aurait été si utile dans ces deux cas, a non seulement gavé les actionnaires d’aides diverses, dont le CICE, mais compte s’attaquer aujourd’hui au code du travail, à la dérégulation du cadre légal hebdomadaire de travail, et aux indemnités des chômeurs, après avoir reculé l’age de la retraire, autorisé le travail le dimanche et la nuit, et facilité les licenciements avec l’ANI. On en oublie tant la liste est longue.

Ah non ! On n’oubliera pas non plus que, non content d’avoir refusé leur amnistie en 2012, ce gouvernement poursuit maintenant celles et ceux qui n’entendent pas se laisser faire. A l’image des huit de Goodyear, condamnés à la prison ferme sur réquisitoire du parquet (au fait, qu’en pensait Christiane Taubira ?) pour avoir juste retenu un patron que, depuis, la justice a rendu responsable d’un démantèlement abusif ! Nous serons aussi aux côtés des salariés de Goodyear dès ce 4 février à 11 h à Nation et partout en France, et à l’avenir là où ils nous le demanderont.

A force de parler de ces conflits sociaux, on en oublierait presque les primaires. Cette primaire de toutes « les gauches » à laquelle certains nous appellent, au nom d’une candidature commune censée rassembler les partisans de la ligne gouvernementale et ses opposants résolus. Nous leur suggérons d’aller en vanter les charmes à ces salarié-e-s en butte à un patronat qui, grâce au gouvernement, fait à peu près ce qu’il veut jusqu’à même lui ordonner de mettre des syndicalistes en prison. Pour notre part, primaires que nous sommes, notre camp est choisi, il est de leur côté. Et il faudra bien qu’un candidat représente leur cause sans détours, ni parlottes.

Eric Coquerel Co-coordinateur politique du Parti de Gauche


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