Contre le système prostitutionnel

lundi 15 février 2016.
 

Intervention de Marie-George Buffet à l’Assemblée nationale début février 2016.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président et madame la rapporteure de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer une volonté, celle de voir enfin définitivement adoptée la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Voilà maintenant cinq ans que nous travaillons, que nous débattons de cette proposition de loi vitale pour les personnes victimes d’une des pires des violences, la prostitution. Nous avons bien avancé, bien travaillé, mais il est maintenant urgent de faire vivre ce texte.

Comme vous tous et toutes mobilisés sur ce texte, je pense d’abord à elles, à ces victimes. Récemment, j’ai pu entendre la parole d’une de ces « survivantes » de la prostitution, comme elles se nomment : celle de Rosen Hircher, qui a entrepris une marche de 800 kilomètres pour nous demander, à nous parlementaires, d’adopter enfin la loi abolitionniste qui marquera l’histoire. Elle ne nous parle pas de liberté du travail, et encore moins de liberté sexuelle : elle nous parle de souffrance physique et psychique, de destruction de son humanité.

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui !

Mme Marie-George Buffet. Alors, est-il utile de redire, lors de ce troisième débat, les raisons pour lesquelles cette loi est indispensable ? La tolérance persistante de la prostitution dans notre société et les complicités idéologiques, souvent médiatisées, à ce phénomène me poussent à les redire encore une fois.

La raison première, pour nous qui élaborons les lois de la République, est de permettre à tous les citoyens et citoyennes d’avoir les mêmes droits et les mêmes libertés. C’est ce que nous faisons en décidant d’éradiquer le système prostitutionnel : nous donnons en effet les moyens à celles et ceux qui en sont victimes de se libérer d’un rapport de domination.

Par deux fois, nos collègues sénateurs ont modifié la loi que nous avions adoptée. La commission spéciale, présidée par notre collègue Guy Geoffroy et dont Maud Olivier est la rapporteure, nous présente de nouveau une loi abolitionniste, telle que nous l’avions adoptée, avec tous ses volets : prévention, réparation pour les personnes prostituées, répression pour ceux qui en profitent, du proxénète au client. Je veux ici les remercier tous les deux pour leur engagement et la qualité de leur travail.

Des associations humanitaires se sont inquiétées des limites que cette loi pourrait poser aux droits des femmes étrangères non victimes du système prostitutionnel. Il est vrai que les femmes étrangères ne disposent toujours pas d’un parcours indépendant de leur mari pour l’accès aux papiers et donc à leur autonomie – c’est d’ailleurs l’objet de la proposition de loi que j’ai déposée sur les droits des femmes étrangères. Mais les droits des femmes passent aussi par l’éradication des réseaux mafieux qui les soumettent à un véritable esclavagisme. N’opposons pas les unes aux autres !

En Europe, l’exploitation sexuelle représente un marché potentiel de 3 milliards de dollars. Ce ne sont pas les femmes étrangères qui en profitent, mais le crime organisé à l’échelle mondiale. Une femme prostituée lui rapporte entre 100 000 et 150 000 euros.

Une large majorité des personnes prostituées sont d’origine étrangère, et donc fragilisées par l’absence de papiers ou par la confiscation de ceux-ci par les proxénètes. Ces personnes sont souvent contraintes à se prostituer pour rembourser des dettes dues à leur passage en France. Nous sommes loin du libre arbitre prôné par quelques-uns, mais proches d’une nouvelle forme d’exploitation. Alors oui, il faut agir pour aider ces femmes à sortir de l’emprise de ces réseaux, avec des mesures particulières. Elles doivent savoir que la République est de leur côté, que ce sont elles qui ont le droit avec elles !

Les adversaires de l’abolition disent que cela mettrait en danger la santé des personnes prostituées. Mais n’est-ce pas avant tout la prostitution qui met leur santé en danger ?

Mme Sandrine Mazetier. Évidemment !

Mme Marie-George Buffet. Notre proposition de loi va, au contraire, renforcer la prévention et l’accompagnement de ces femmes – ce sont avant tout des femmes qui subissent cette violence.

Enfin, de fortes pressions s’exercent pour ne pas pénaliser l’achat d’actes sexuels. Je le redirai inlassablement ici, et partout où il faudra le dire : sans client, il n’y a pas de prostitution. Sans demande, pas besoin d’organiser le commerce humain ! Alors oui, pour abolir ce système inhumain, il faut responsabiliser ceux qui font le choix de l’utiliser, ceux qui achètent le corps d’une femme et exercent ainsi une forme de pouvoir sur la personne concernée. J’ai déjà cité l’association Zéromacho. Il faut entendre leur combat : le système prostitutionnel porte aussi atteinte à la dignité des hommes car, loin de participer à leur liberté sexuelle, il les enchaîne à une conception de la sexualité empreinte de frustration et de domination.

En 2003, avec l’instauration du délit de racolage, la loi créait une forme de délit d’immoralité. On ne condamnait pas le système prostitutionnel, l’achat d’actes sexuels, mais le fait qu’il puisse se voir ! On ne responsabilisait pas le client, mais on demandait aux victimes de se faire discrètes, de se cacher loin des quartiers bien-pensants ! On fermait les yeux sur le système, mais on le cachait pour mieux le laisser se développer. Quelle hypocrisie !

Avec cette proposition de loi, nous voulons ouvrir en grand les yeux de la société sur la réalité de la prostitution, sur ses victimes et ses bourreaux.

La position abolitionniste de la France date de 1960, avec la ratification de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Nos détracteurs disent que cela n’a pas empêché le système prostitutionnel de se développer. La meilleure réponse à leur apporter est de mettre en place un dispositif législatif permettant d’agir efficacement contre le système en place. C’est ce que nous sommes en train de faire. Il s’agit d’un choix de société. La prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde, mais la plus vieille domination subie par la femme.

C’est de cela que nous parlons avec la pénalisation de l’achat d’actes sexuels. Nous disons à la collectivité humaine que l’achat d’un acte sexuel n’est pas conforme à notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Aucune liberté, en effet, pour la personne prostituée obligée de subir, dans son intimité, un acte imposé par l’acheteur ! Pas d’égalité non plus dans des rapports où l’un domine et décide et où l’autre est obligé d’accepter et de subir ! Quant à la fraternité, elle a bien du mal à exister entre le bourreau et sa victime !

Nous faisons aussi œuvre d’éducation, en donnant à voir à la société toute entière que le client n’est pas un modèle, mais au contraire un contrevenant à la loi, un délinquant commettant un acte délictueux. C’est un acte de pédagogie visant à dévaloriser celui qui était jusqu’alors loué par la prétendue tradition grivoise ou libertaire de notre pays.

Avec cette proposition de loi, nous travaillons à délégitimer une violence et agissons contre toute banalisation de la marchandisation du corps. Nous savons toutes et tous aujourd’hui combien une telle démarche est indispensable, y compris auprès des plus jeunes, car certains garçons et certaines filles peuvent assimiler la prostitution à un moyen comme un autre d’acquérir des revenus ! Nous œuvrons ainsi à éduquer les jeunes au respect de l’intégrité physique et psychique de chaque individu. C’est une nécessité pour construire un avenir d’émancipation pour les générations futures. Cela demande un grand effort de prévention consistant à mettre les jeunes en garde contre le système, ses causes et ses conséquences. Il est donc très important que cette proposition de loi prévoie que la lutte contre la marchandisation des corps fasse l’objet d’une information durant la scolarité.

Comme le disent les 60 associations engagées dans le collectif Abolition 2012, le processus d’accompagnement prévu dans la proposition de loi pour libérer les personnes victimes du système prostitutionnel est indispensable. Notre texte instaure un parcours professionnel et citoyen, mais aussi un système de protection et d’assistance permettant de constituer une véritable chaîne de solidarité et de libération pour les personnes concernées.

Chers collègues, j’espère que notre débat permettra de donner aux victimes de la prostitution les moyens de sortir du système et de se reconstruire, ce qui demande du temps et de la sécurité.

Encore une fois, en adoptant cette proposition de loi, nous accomplissons un acte politique qui redonne du sens à l’action politique, qui consiste à faire des choix collectifs pour le progrès de toute la société. C’est ce que nous nous apprêtons à faire ici, avec ce travail transpartisan qui est un message en lui-même.

C’est avec beaucoup de fierté que les députés du Front de gauche voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message