Après la tenue du XIIe congrès du Parti communiste, où va le Vietnam ?

mardi 1er mars 2016.
 

- Pierre Journoud Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry Montpellier-III

- Benoît de Tréglodé Directeur du programme Asie à l’Irsem de l’École militaire

Le changement dans la continuité

par Pierre Journoud Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry Montpellier-III

Tandis que la France bruit des premiers échos de la campagne présidentielle, le Vietnam dresse le bilan du XIIe congrès du Parti communiste vietnamien (PCV), qui s’est tenu à Hanoï du 20 au 28 janvier 2016, plus de quatre-vingts ans après le premier du genre, qui eut lieu à Canton. Une semaine d’intenses ­tractations pour renouveler les 180 membres du comité central et 19 membres du bureau politique, l’instance dirigeante suprême qui en est issue. Le retrait programmé de l’ancien premier ministre Nguyen Tan Dung, parce qu’il a défendu des liens plus étroits avec l’Occident et les États-Unis, et qu’il est considéré comme le principal architecte de ­l’adhésion du Vietnam à l’accord de partenariat transpacifique (TPP), signe-t-il la défaite des modernisateurs  ? À l’inverse, le succès de son rival Nguyen Phú Trong, maintenu au poste de secrétaire général alors qu’il est jugé plus proche de la Chine, annonce-t-il une victoire des conservateurs préjudiciable à la poursuite des réformes économiques et à l’approfondissement des liens avec les États-Unis  ?

Réduire ainsi les différences de sensibilité, les chocs d’ambitions et les rapports de forces qui accompagnent toute quête du pouvoir, à une opposition binaire entre « pro- » et « anti- » Chinois ou Américains, serait méconnaître le pragmatisme dont ont su faire preuve ces deux dirigeants. Trong s’est finalement rallié à la signature du TPP, avant d’effectuer, en mai 2015, une visite historique aux États-Unis – la première d’un secrétaire général. Quant à Dung, il a reçu avec beaucoup d’égards le président chinois, Xi Jinping, en novembre dernier, atténuant ainsi les prises de position musclées qu’il avait eues publiquement à l’encontre de la Chine au lendemain de l’incident survenu en mai 2014, après l’installation de la plateforme HYSY-981 par Pékin sur le plateau continental vietnamien, au large de l’archipel contesté des Paracels. Ce serait également sous-estimer les subtils équilibres que reflète la composition des nouvelles instances dirigeantes. Sans doute, le XIIe congrès a-t-il réaffirmé la nécessité de conserver au PCV le monopole du pouvoir et de renforcer son contrôle, comme l’indique la nomination à certaines fonctions clés de personnalités venues du ministère de la Sécurité publique ou de la Police ainsi que d’anciens commissaires politiques, à l’instar du nouveau ministre de la Défense nationale, le général Ngô Xuân Lich. Les contrepoids paraissent néanmoins assurés, notamment par le maintien à leurs postes de personnalités qui se sont identifiées aux efforts de modernisation économique et militaire du Vietnam, ainsi qu’à la diversification de ses relations étrangères et de défense, comme les influents ministre des Affaires étrangères (Pham Bình Minh) et vice-ministre de la Défense (général Nguyen Chí Vinh). Surtout, la stratégie définie par touches successives depuis le VIe Congrès de 1986, celui du célèbre Doi Moi et de l’ouverture économique, semble bénéficier d’un consensus suffisamment fort pour ne pas devoir être remise en question à court ou moyen terme. Et pourquoi en serait-il autrement  ? Le Vietnam connaît une croissance record en Asie, dont la ­réorientation vers la demande intérieure est déjà bien engagée. Il n’a jamais attiré autant d’investissements étrangers. La politique de diversification de ses relations étrangères activement développée depuis les années 1990, puis de ses partenariats de défense à partir des années 2000, l’a hissé au rang d’acteur responsable et courtisé, malgré ses faiblesses et ses contradictions (la corruption, la répression des dissidences, etc.). Face à une Chine dont les revendications maximalistes en mer de Chine méridionale/mer de l’Est heurtent frontalement les aspirations vietnamiennes, et qui est en passe de devenir l’unique compétiteur stratégique des États-Unis, il n’est pas de meilleure stratégie pour Hanoï que de jouer non pas l’une ou l’autre de ces deux grandes puissances, encore moins l’une contre l’autre, mais bien l’une et l’autre. Les dirigeants issus du XIIe Congrès tiennent d’autant moins à remettre en question cet équilibre patiemment instauré dans le cadre d’une diplomatie souple, multidirectionnelle et habile, qu’ils savent leur marge de manœuvre limitée, vis-à-vis des prétentions chinoises et des tensions sino-américaines que celles-ci nourrissent, comme des impatiences croissantes d’une société civile naissante. Aussi, « le changement dans la continuité », selon le slogan adopté en 1969 par Georges Pompidou, alors ­candidat à la succession du général de Gaulle, devrait-il l’emporter, fût-ce au prix de quelques inflexions.

Auteur de  : De Gaulle et le Vietnam, 1945-1969. La réconciliation, Tallandier, 2011.

Le PCV, un parti encore marxiste  ?

par Benoît de Tréglodé Directeur du programme Asie à l’Irsem de l’École militaire

Au Vietnam, la population ne se pose plus tellement la question du caractère marxiste ou non du PCV. Au cours de son histoire, le discours du parti s’est nourri de ces différents contextes guerriers et géopolitiques. « L’histoire souvent s’amuse avec les gens, elle qui veut parfois aller dans une pièce, pour se retrouver dans une autre », aimait à citer ­Lénine. L’historien du Vietnam doit s’interroger sur les grandes étapes de la diffusion d’une idéologie d’importation dans un petit pays en guerre, situé loin de l’Union soviétique. La réception du marxisme-léninisme à plus grande échelle au Vietnam s’est appuyée sur une ­relecture sinisée, en d’autres termes confucéanisée, d’une idéologie d’importation occidentale.

Trois textes ont été essentiels à l’élaboration d’un « marxisme à la ­vietnamienne »  : les Thèses sur la révolution culturelle vietnamienne (un document promulgué par le comité central du Parti communiste indochinois, en 1943) et deux livres ­rédigés par le secrétaire général du parti, Truong Chinh. Le premier en 1947, la Résistance vaincra, et le ­second en 1948, le Marxisme et la culture vietnamienne. À l’origine de ces deux textes ­fondateurs pour le Vietnam, on retrouve un texte du Chinois Liu Shaoqi (1888-1969) issu d’une conférence prononcée à l’Institut du marxisme-léninisme de Yan’an, en juillet 1937, intitulé Pour être un bon communiste. Cette intervention de Liu Shaoqi est devenue le bréviaire indispensable pour la formation des membres du PCC dont les écrits vietnamiens se sont beaucoup inspirés.

Ce texte a été à l’origine d’une fondamentale transformation du marxisme pour l’adapter à la structure de la culture traditionnelle confucéenne. Liu Shaoqi faisait du marxisme un idéalisme moral. Dès les années 1940, le marxisme-léninisme en Chine et au Vietnam est ­progressivement devenu une idéologie centrée sur l’éthique. Les écrits ultérieurs des grands idéologues vietnamiens, Ho Chí Minh, Tran Văn Giàu, Tran Huy Liêu, Vu Khiêu, interrogeront sans relâche la notion de « morale révolutionnaire » (đao đuc cách mang). Dans les années 1950, étudier le marxisme au Vietnam revenait à étudier les qualités intellectuelles et morales de Marx et de ­Lénine. Il fallait faire « de la vie, des actes et des qualités des grands marxistes, et par extension des héros du socialisme vietnamien, les normes d’apprentissage moral pour l’ensemble du peuple ».

Les classiques de la théorie marxiste, Lénine notamment, parlaient pourtant peu des qualités morales du marxisme et du léninisme. Chez Marx, la société communiste idéale s’appuyait sur le développement des forces de production, Lénine insistait sur l’importance de la superstructure. Ni Marx, ni Lénine, ni Staline n’ont envisagé dans leurs écrits l’accomplissement du communisme par la moralisation du prolétariat. Au Vietnam, les communistes cherchèrent dès l’origine dans le marxisme-léninisme un moyen de parfaire l’éducation morale du peuple, de manière à fonder un « gouvernement idéal » pour libérer le pays de la présence des envahisseurs étrangers. Et lorsque, quarante ans plus tard, le Vietnam a réintégré la communauté ­internationale dans les années 1990, c’est aussi dans cette logique que le parti s’est tourné. Le PCV se faisait l’avocat des valeurs éthiques de la pensée de Ho Chí Minh, des principes de gouvernement néoconfucéens, patriotiques et compréhensibles par le plus grand nombre. Dans un pays sortant de 15 ans de tensions ouvertes avec la Chine communiste et contraint de faire face à la disparition de l’aide financière de l’Union soviétique défunte, le PCV choisissait tout en souplesse de s’adapter aux enjeux de son nouveau contexte international, l’objectif étant surtout de ne rien perdre de sa puissance à la tête de l’État.

Une ouverture économique tous azimuts

par Claude Blanchemaison Ancien ambassadeur de France au Vietnam

On peut dire aujourd’hui que le Vietnam est l’un des pays les plus ouverts au libre-échange, au moins en Asie, même s’il existe des restrictions, notamment du fait des entreprises publiques. En décembre, il a conclu un accord avec l’Union européenne, qui doit encore être ratifié par les différentes parties. Ce traité est assez complet. Il prévoit l’élimination des droits de douane, même si sont prévues des exceptions temporaires pour certains secteurs pour une période de transition de sept ans. C’est important  : le volume des échanges euro-vietnamiens est de 30 milliards d’euros. En outre, l’accord concerne d’autres sujets, tels que la liberté d’investissement, le règlement des différends, la question de la propriété intellectuelle, les normes, y compris sociales. Depuis, en février, le Vietnam a signé le partenariat transpacifique (TPP), souscrit entre 12 pays  : les États-Unis, le Canada, le Chili, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Mexique, et quatre pays asiatiques, Singapour, la ­Malaisie, Brunei et le Japon. Là aussi, il s’agit d’un accord extrêmement complet, qui prévoit la suppression de droits de douane, des dispositions sur les droits de propriété intellectuelle, les investissements, les arbitrages lorsqu’il existe des litiges. Cet accord, qui provient d’une initiative états-unienne, couvrira 35 % du commerce international. En outre, le Vietnam est déjà entré dans l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), qui a pour projet, à terme, de former une zone de libre-échange, une communauté économique entre dix pays. Des accords similaires existent avec la Chine, la Corée du Sud (avec laquelle un accord a été signé le 20 décembre), le Japon, la Russie, l’Inde et le Pakistan. Cette évolution n’est pas nouvelle. Ambassadeur de France au Vietnam de 1989 à 1993, j’ai vécu les prémices de cette ouverture économique. Quand je suis arrivé au printemps 1989, le Vietnam était un pays totalement fermé, exsangue, après des années de guerre. Il avait intégré le Conseil d’assistance économique mutuelle qui rassemblait l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et les pays de l’Est. En 1989, le Vietnam risquait donc de se trouver isolé. En 1986 et 1987, le Vietnam a pris la décision d’introduire l’économie de marché. C’est ce qu’on a appelé le Doi Moi, qui peut signifier « la réforme ».Elle a mis du temps à démarrer. Cela a commencé plus vite à Hô-Chi-Minh-Ville qu’à Hanoï. Quand je suis arrivé dans cette ville, la capitale, on ne trouvait pas les produits de consommation courante, du fait de l’embargo états-unien. Les ambassades devaient faire des missions d’approvisionnement à Bangkok. L’économie s’apparentait à une économie de guerre. Quand le Vietnam a manifesté sa volonté de s’ouvrir à l’extérieur, nous avons encouragé ce changement. Avec d’autres, nous avons aidé le Vietnam à constituer un appareil d’État économique fonctionnel.

C’est ainsi qu’a été fondé un Trésor public, qui collecte tous les impôts, avant de les redistribuer dans les provinces en fonction d’un budget. Auparavant, la répartition des ressources ressemblait davantage à un système d’ancien régime. Nous les avons aidés à réformer la Direction générale des impôts. Le Fonds monétaire international les a aidés à établir une balance des paiements à leurs normes et à celle de la Banque mondiale. La France a mis le paquet sur la coopération technico-administrative. Nous avons ­accueilli de jeunes Vietnamiens dans nos grandes écoles, que ce soit à Polytechnique, à l’École des hautes études commerciales (HEC), au sein des pôles d’excellence des universités, non seulement dans le domaine scientifique mais également dans ceux de la gestion et du management. Et nous avons créé, sur place, dans l’université d’économie de Hanoï, en 1991 et 1992, l’Institut franco-vietnamien de formation à la gestion. La coopération française finançait la venue de professeurs français, entre autres de HEC. Nous avons également poussé la coopération dans le domaine de la santé, en aidant à moderniser les hôpitaux publics, et dans celui de la culture.


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