20 avril 1936 Grève générale illimitée en Palestine

samedi 21 avril 2018.
 

L’année 1936 fait immanquablement penser à l’Espagne, à la France du Front populaire ou aux procès de Moscou. Elle est pourtant tout aussi importante pour la Palestine, qui connaît alors une grève de plusieurs mois, et voit l’essor d’une révolte populaire dont les feux brûleront jusqu’en 1939.

En novembre 1935, un groupe révolutionnaire armé, dirigé par Al-Qassam, est anéanti par l’armée britannique. Si sa guérilla est un échec, son renom et l’ampleur que prennent les commémorations de sa mort révèlent aussi ce qui n’est pas un simple frémissement, mais le début d’un mouvement d’ampleur des Palestiniens.

À la même époque, la France est forcée d’accorder une autonomie partielle au Liban et à la Syrie. Rien de tel ne se profile en Palestine : l’immigration officielle de juifs européens se double d’une immigration clandestine ; le nombre de paysans palestiniens mécontents ne cesse d’augmenter. Les négociations officielles ne peuvent que piétiner : sauf exception, les dirigeants sionistes ne veulent pas de compromis fondé sur des concessions réciproques ; ce qu’ils signifient par « accord » est l’acceptation intégrale du programme sioniste par les Arabes. Le vent est donc à la révolte.

L’étincelle

Il n’y a pas de manipulation politique à l’origine des événements d’avril. Ils sont le produit d’une exaspération profonde dont le besoin de s’exprimer ne peut plus être contenu. Une affaire relativement mineure déclenche ainsi un engrenage conduisant à un affrontement majeur. Il est à noter que les forces politiques organisées se saisissent alors de la dynamique populaire pour lui donner une organisation et une durée dans le but d’aboutir à un résultat politique. George Antonius, un historien britannique, met en relief ces caractéristiques : « Les esprits animant la révolte ne sont pas les dirigeants nationalistes […], mais des hommes des classes ouvrière et paysanne qui risquent leur vie dans ce qu’ils croient être la seule voie qui leur reste pour sauver leurs demeures et leurs villages ».

La grève

Mazin Qumsiyeh précise : « Le 20 avril 1936, une réunion d’organisateurs palestiniens clés appelle à une grève générale illimitée, inspirée par la grève victorieuse de 45 jours en Syrie qui a forcé la France à satisfaire ses revendications. Sous la pression de la base, le 21 avril, les factions politiques déclarent à contrecœur leur soutien à la grève et acceptent une politique de non-coopération, incluant certaines formes de résistance civile, jusqu’à ce que les demandes palestiniennes soient satisfaites ». Ces dernières concernent l’arrêt de l’immigration juive et des transferts de terre ; elles comprennent aussi l’exigence de la création d’un gouvernement représentatif.

Pendant cette période, la société palestinienne se place hors d’un État mandataire délibérément ignoré, et fonctionne en réseau fermé, refusant notamment de payer taxes et impôts. Pour Elias Sanbar, cette grève est « une sorte d’expérimentation de fait de l’indépendance », « une sorte de préfiguration d’une patrie débarrassée de la colonisation ». Elle dure 176 jours.

Affrontements armés

La fin de la grève ne signifie cependant pas la fin des guérillas. Celles-ci, agissant au début sous la direction des comités nationaux qui les utilisent pour des actions de sabotage, s’affranchissent de leur contrôle et voient leurs rangs grossir. La combinaison poreuse de résistances violentes et non-violentes rend le pays presque ingouvernable. Il faudra la proclamation de la loi martiale et l’arrivée de nouvelles troupes britanniques (qui passent de 2000 hommes avant avril 1936 à 25000 en 1938) pour en venir à bout.

Un bilan nécessaire

Dans son étude, Ghassan Kanafani dresse un bilan sans concession de ces événements si peu connus en Occident. Il attribue la responsabilité du revers subit à l’action des forces impérialistes britanniques alliées aux nouveaux arrivants sionistes, aux régimes des États arabes prêts à sacrifier la Palestine, ainsi qu’à la nature réactionnaire des dirigeants locaux (tout en reconnaissant que ces derniers avaient pu lancer des slogans progressistes et momentanément soutenir une initiative qui n’était pas la leur).

En dépit de la défaite, il n’en demeure pas moins que l’année 1936 en Palestine mérite amplement d’entrer dans la mémoire des générations ultérieures : cette grève ne fut-elle pas l’une des actions promouvant une identité palestinienne émergente ?

Bibliographie sommaire

- Lorand Gaspar, Histoire de la Palestine, Maspéro, 1968.

- Ghassan Kanafani, La révolte de 1936-39 en Palestine, 1972 (texte arabe et traduction anglaise), consultable en français sur le site marxists.org.

- Elias Sanbar, « La grève de 1936 en Palestine, une répétition générale », Le Monde Diplomatique, janvier 1985.

- Henry Laurens, La question de Palestine. II, 1922-1947 : une mission sacrée de civilisation, Fayard, 2002.

- Mazin B. Qumsiyeh, Popular resistance in Palestine, Londres, Pluto Press, 2011.


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