Nuit debout, le rêve éveillé d’une convergence des luttes

lundi 11 avril 2016.
 

Le mouvement Nuit debout, né le 31 mars à la suite des manifestations contre la loi travail, a professé de ne plus se coucher face au pouvoir. Le « rêve général » a été décrété pour une durée illimitée.

Dans plusieurs villes, dont Paris place de la République, des occupations et assemblées populaires appellent à penser et réaliser la convergence des luttes, un vaste chantier porteur d’espoir.

Pincez moi, je crois rêver, les jours passent et le soleil ne se couche pas sur la Nuit debout. Ils ne voulaient pas rentrer chez eux après les manifestations du 31 mars contre la loi travail, et voilà qu’une brèche temporelle s’est ouverte : ce n’était pas un poisson d’Avril, nous voici déjà le 36 mars du calendrier lunatico-révolutionnaire. Le vieux temps politique, des divisions et polémiques stériles, s’est arrêté dans cet espace émancipé des contraintes d’une réalité devenue depuis trop longtemps synonyme de frustration. L’ambiance est désormais au « Rêve général », au désir puissant d’avenir, subversion terrible dans cette époque de peurs.

A travers l’occupation de places publiques, en particulier à Paris à l’emblématique République, un mouvement transversal composé d’atomes d’organisations, de particules de militants et d’électrons follement libres ont décidé de fusionner, de converger, dans une explosion de joie. L’expérience est si chaleureuse qu’elle permet de braver le froid jusqu’au matin ; malheureusement, le petit déjeuner des occupants est invariablement gâché par ceux venus étouffer le feu sous leurs bottes. Au troisième jour, les occupants ont pu rester place de la République à Paris, mais la nuit fut agitée suite à des tentatives déjouées d’infiltration des assemblées par la mouvance d’extrème droite du 14 Juillet.

Un tag inspiré dans la faculté occupée de Tolbiac Paris I professait « Où disperserons nous les cendres du vieux monde ? » Peut-être qu’à l’image de l’occupation Nuit debout, qui reprend place depuis trois jours, ce seront les étincelles sauvées du petit matin qui viendront rallumer la flamme chaque soir, le vent de révolte se chargeant de la propager au reste du pays…

Le rêve brisé du capitalisme low-cost

Il n’y a pas à dire, « leurs nuits sont plus belles que vos jours », ces jours maudits d’angoisse, de crise et de division. Le pauvre a peur de perdre son toit, le travailleur de perdre son emploi, le riche de se faire redresser pour deux lingots planqués en Suisse… Pendant ce temps, les maîtres, l’oligarchie des ultra-riches et des puissants, bref, les fameux « 1 % », tremblent d’une excitation coupable de s’être emparés de toutes les richesses, d’avoir transformé la beauté du monde en une vulgaire fiction comptable, succession minable de zéro. Le paradis est désormais fiscal, mais l’enfer bien réel pour les pauvres, « cette moitié de la population mondiale qui ne dispose que de 0,5 % de cette richesse » selon l’ONG Oxfam. Tous les autres sont condamnés au purgatoire par ces maîtres sans justice ni grandeur, ces « tyrans qui ne sont grand que parce que nous sommes à genoux » disait déjà le jeune Étienne de La Boétie. Que diraient aujourd’hui les jeunes Bergson violentés et les autres ? Peut-être que la servitude qui leur est proposée comme unique horizon n’a plus rien de volontaire…

Quand Macron encourageait les jeunes à rejoindre le club des milliardaires, il était plus réaliste que provocateur ; l’avenir est à ce point binaire pour la jeunesse : smicard pour les chanceux ou richard pour les teigneux. Malheureusement pour la classe dominante, le petit confort made in China dans un 20M² ne se vend plus aussi bien que la maison promise à nos parents, la pub kitsch du capitalisme low-cost se déchire avant même que le crédit ne soit remboursé. Dans ce paradis en perdition, il semblerait que le rite d’initiation de l’adulte soit de s’enferrer dans les dettes, chaînes qui tintent au tour du cou de ceux qui marchent la tête courbée et douloureuse.

Il y a tout de même quelque-chose d’incongru à supplier à genoux de tels vendeurs de pacotilles, aussi radins que mesquins, n’en convenez vous pas ? Ainsi, les participants de l’occupation ont pris le parti de ne rien revendiquer, ne pas quémander et de ne jamais se coucher. Frédéric Lordon explicitait pleinement cette ambition dans le seul et unique discours du mouvement le 31 mars : « Merci El Khomri, Valls et Hollande, pour nous avoir enfin ouvert les yeux et fait apparaître qu’au point où nous en sommes, il n’y a plus rien à négocier, il n’y a plus rien à revendiquer. [...] Pour notre part, nous sommes maintenant bien décidés à emprunter une autre voie. La voie qui révoque les cadres, les rôles et les assignations. La voie du désir politique qui pose et qui affirme ! »

Quand il n’y a rien à perdre, tout est gagner, et ainsi le désespéré finit par s’affranchir de ses peurs. Ainsi, les occupants s’enhardissent au point de « vouloir tout, prendre tout, et ne rien leur laisser » mais, tout cela, il faudra l’arracher et pas seulement à mamie du haut de ton 50Cc…

La convergence des luttes, un blasphème politique ?

La Nuit debout est née d’une question simple, inspirée du documentaire satirico-subversif Merci Patron de François Ruffin, fondateur du journal Fakir : « comment leur faire peur ? » Comment faire pour qu’enfin cette lancinante angoisse de l’avenir change de camp ? Lors d’un débat public à la Bourse du travail, un petit millier de personnes répondirent en chœur : « après les manifestations, ne rentrons pas chez nous, passons la nuit debout ! » Le mot d’ordre était lancé, encore fallait-il savoir quoi faire de ces nuits ? Comme entre de vieux amis, ils et elles se sont dit « pourquoi ne pas refaire le monde ce soir ? » Mais bon, l’occupation d’un bistrot, ça manquait un peu de panache. Quand on est un peu fou, seule une idée encore plus folle peut vous sortir de l’impasse. Ils décidèrent alors d’ouvrir une brèche dans la grisaille, rappelant Sénèque "La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie", afin d’appeler à la convergence des luttes. Il y a en France 20,000 Luttes du nom de "l’organe de propagande non officiel" du mouvement, pastiche du chiffon à strapontin 20 Minutes, mais malheureusement, pas beaucoup plus de militants.

La convergence des luttes est une idée à la fois si simple, Frédéric Lordon ne manquerait pas de rappeler le dicton grec « L’union fait la force, aouh, aouh » (« 300 », le film), mais à la fois si difficile à fonder : comment unir autant de luttes que de personnes ? Cette question stratégique est au cœur de la Nuit debout, à ce point intime qu’elle n’est encore qu’effleurée du bout des lèvres par les participants à l’immense assemblée populaire. La convergence est avant tout volonté, à l’image de la centaine de personnes investies dans l’organisation préliminaire dans les différentes commissions. « Cette équipe logistique », comme elle se présentait à la revue Ballast quelques jours avant de passer à l’action, a d’abord souhaité provoquer les conditions physiques et matérielles d’une vaste rencontre, embryon de convergence, dont la destinée a ensuite été abandonnée à la volonté de l’Assemblée générale. L’objectif énoncé était un savant mélange entre modestie et ambition : « On considère que la machine doit se lancer. Ensuite, on espère qu’elle vivra ! La Nuit debout est le début d’un mouvement. »

Par Benjamin Sourice Blog : Le blog de Benjamin Sourice

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