L’eden bancaire des paradis fiscaux

mercredi 13 avril 2016.
 

Un rapport publié hier par trois ONG révèle une nette déconnexion entre les bénéfices déclarés dans les paradis fiscaux et l’activité réelle des banques.

Non seulement les paradis fiscaux sont au cœur de l’activité des cinq plus grandes banques françaises que sont BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole, le groupe Banque populaire-Caisse d’épargne et le Crédit mutuel-CIC. Mais l’usage que ces dernières en font s’avère, au reste, très singulier. Telle est la conclusion globale que tirent trois ONG françaises après avoir épluché, en partenariat avec la plateforme paradis fiscaux et judiciaires, les bilans économiques pays par pays des établissements financiers. Des reportings géolocalisés, incluant donc les paradis fiscaux, auxquels les banques n’étaient pas contraintes jusqu’à une période très récente, mais qu’une loi de 2013 les oblige désormais à rendre public. Il aura fallu se battre longtemps pour obtenir une telle législation. Mais le jeu en valait la chandelle, tant les informations que révèle le rapport d’Oxfam France, du CCFD-Terre solidaire et du Secours catholique – Caritas France s’avèrent truculentes. Les paradis fiscaux pour leurrer les impôts

Déjà, certains scandales tels que celui du Swissleaks, qui, en 2015, éclaboussait la banque helvète HSBC, « ont prouvé que les banques peuvent utiliser les paradis fiscaux pour permettre à leurs clients de frauder le fisc », soulignent les ONG. Leur analyse, rendue publique hier, donne désormais à voir un usage généralisé et lucratif des avantages que ces États leur offrent.

Que relève le rapport  ? D’abord, une nette déconnexion entre les bénéfices déclarés dans les paradis fiscaux et l’activité réelle des banques. « Alors que les banques françaises réalisent un tiers de leurs bénéfices internationaux dans les paradis fiscaux, ceux-ci ne représentent plus qu’un quart de leurs activités internationales déclarées, un cinquième de leurs impôts et seulement un sixième de leurs employés », relève le rapport. Surtout, le décorticage des données met en relief la profitabilité qu’ont les banques à s’installer dans des États dont les facilités administratives et légales, les taux d’imposition dérisoires, voire l’opacité favorise des tours de passe-passe fiscaux et des déclarations olé olé.

« L’activité des cinq plus grandes banques françaises est en moyenne 60 % plus lucrative dans les PFJ (paradis fiscaux et juridiques) que dans les autres pays. » Plus concrètement, « pour un chiffre d’affaires de 1 000 euros, les banques françaises dégagent 362 euros de bénéfices dans les paradis fiscaux, contre 227 euros dans les autres pays et 205 euros en France. »

Les résultats banque par banque sont encore plus parlants  : ainsi, pour un même niveau de production, les activités du Crédit agricole et de la Société générale sont respectivement 19 fois et 16 fois plus rentables dans les PFJ qu’en France. En Irlande, la Société générale dégage même 18 fois plus de bénéfices que dans les autres pays, et 76 fois plus qu’en France. Des filiales fonctionnant sans le moindre salarié

Ces décalages se retrouvent pareillement si l’on se prend à mesurer le taux de rentabilité des salariés. Le rapport relève en effet que « les banques françaises emploient 2,6 fois moins de monde dans leurs filiales installées dans les paradis fiscaux que dans celles situées dans d’autres pays. » Certaines fonctionnent même sans le moindre salarié (dans 34 cas). Et aucune des banques françaises implantées aux Bermudes, à Chypre, aux îles Caïmans, à l’île de Man et à Malte, ne déclare d’employé. Outre que ces « coquilles vides » sont propices à un endettement démesuré sans que cela n’apparaisse dans le bilan comptable des groupes, ce chiffre contraste avec la remarquable productivité dont semblent faire preuve les salariés de ces pays  : alors qu’en France, un salarié génère en moyenne 43 000 euros de bénéfices en France, en Irlande, « il dégagerait 685 000 euros de bénéfices, soit près de 16 fois plus », relève encore l’étude, la palme revenant au salarié de la BPCE, 31 fois plus productif qu’un employé moyen du groupe.

Reste enfin le versant fiscal, pas piqué des vers lui non plus. Dans les paradis fiscaux, les cinq banques françaises payent en moyenne 16,8 % d’impôt sur les bénéfices, contre 30 % dans les autres pays. Même là où le taux légal est bas, elles s’arrangent pour payer encore moins. Par exemple, elles reversent 5 % de leurs bénéfices à Hongkong alors que le taux officiel est proche de 17 %. Même scénario en Irlande où, pour un taux légal de 12,5 %, la BPCE paye environ 6 % d’impôts, le Crédit agricole 4 % et la Société générale 0 %. Fiscalement, «  ce sont des centaines de milliards d’euros qui manquent dans les caisses des États du Nord comme du Sud  », notent les ONG, argent «  pourtant indispensable pour financer les services publics, la protection sociale  », la lutte contre le changement climatique ou pour la réduction des inégalités.

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


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