Bruxelles : « Les fachos voulaient une photo, ils ont réussi »

jeudi 14 avril 2016.
 

Le groupe remonte le boulevard Anspach, en plein centre de Bruxelles, un bloc compact de 450 personnes, rien que des hommes, tout en noir, capuches et cagoules, juste débarqués d’un train de Vilvorde, ville néerlandophone du Brabant flamand. Devant eux, une voiture de police, gyrophare allumé, paraît ouvrir la marche. Au-dessus, un hélicoptère fait presque du surplace. « C’est un raid ou quoi ? », demande un épicier sur leur passage. Il est 14 h 30, ce dimanche 27 mars et le groupe se dirige, rapidement, vers la place de la Bourse.

Là, depuis cinq jours, s’est spontanément installé un lieu de commémoration juste après les attentats du 22 mars dans la capitale belge, une sorte de mausolée populaire où chacun dépose son bouquet, sa bougie en hommage aux victimes. Ce dimanche de Pâques, l’ambiance y est particulière : une marche citoyenne « contre la peur » avait été prévue, puis annulée la veille pour des raisons de sécurité. « C’est ce qui m’a décidé à venir : on ne supprime pas une manifestation contre la peur parce qu’on a peur », dit Damien Zweets, 51 ans. Il tire sur sa pipe. « Je ne veux pas être méchant, mais on a eu de la chance. On s’en sort mieux que les Parisiens, non ? »

Des familles sont venues de partout, Ostende, Ypres, Charleroi, avec le chien, le parapluie, des friandises dans un cornet pour les enfants. Jusqu’à présent, c’était surtout les Bruxellois qu’on avait vu se manifester depuis ce fatal 22 mars, unis dans l’émotion. Ce dimanche, c’est la Belgique qui est sortie sur le pavé.

Soudain un grand mouvement traverse la foule : les cagoules et les capuches viennent d’arriver sur la place. Il est 14 h 45, un premier chant s’élève. « On est chez nous, on est chez nous ! » Beaucoup tiennent des canettes. L’un allume un fumigène. Ceux qui étaient là auparavant refluent peu à peu vers les côtés. La place paraît noire désormais. Une femme demande aux policiers, qui fouillaient encore les gens un par un il y a quelques instants : « Pourquoi vous ne faites rien ? » « Pas de commentaires. »

« We are the belgian hooligans ! »

La deuxième chanson retentit : « We are the belgian hooligans ! » Dans le groupe, la plupart se présentent comme des supporteurs, toutes équipes belges confondues. « D’habitude, on se tape dessus, mais on a décidé de s’unir pour première fois. C’est beau, non ? », dit l’un. L’inspiration serait venue d’Allemagne, où une coalition du même genre a récemment défilé contre les réfugiés. Des bouteilles volent. Des bras se tendent, façon salut nazi. D’autres lèvent le poing pour entonner la troisième chanson : « Daech, on t’encule, Daech, on t’encule ! » Un crâne rasé, voix rauque : « On va leur montrer que nous aussi, on sait faire des commandos. Quand ils seront dans ma maison en train de violer ma femme, ce sera trop tard. »

D’un coup, sans que les forces de l’ordre n’interviennent, une colonne en cagoule grimpe sur les marches de la Bourse, d’où décampent ceux qui y étaient assis. « On veut donner un signal fort aux politiques : faites quelque chose sinon, on s’en charge », explique un supporteur de Bruges. Un autre hurle contre Bruxelles, « devenue un Etat islamique, capitale de la corruption et du laisser-aller ». Il dit être venu sans matraque : « On n’est pas des fachos, on est des Belges.

Maintenant, les marches de la Bourse ressemblent à certaines tribunes de football, mais avec des fleurs et des cierges tremblant sous les semelles des rangers. « Ce sont des images de honte pour nous, les Bruxellois. Quand je pense qu’elles vont faire le tour du monde ! », dit un étudiant, larmes aux yeux. « Les fachos voulaient cette photo, ils ont réussi », lance sa petite amie.

Des policiers commencent à avancer sur la place, bouclier en avant. Le groupe se replie. Le dernier hymne monte au son du canon à eau et des poubelles renversées boulevard Emile-Jacqmain, lors du repli définitif des hooligans : « Regarde-toi, regarde-toi, tu as les deux pieds dans la merde. » Bilan : dix interpellations.

« Nous avons été interdits de manifestation, et ces salauds sont arrivés sans encombre depuis la gare du Nord », s’insurge une Bruxelloise

Sur les marches, tout le monde a repris sa place. Une femme encore sous le choc laisse éclater sa colère : « C’est un scandale. Nous avons été interdits de manifestation et ces salauds sont arrivés sans encombre depuis la gare du Nord. » « Mais quelles ont été les consignes données ?, s’insurge un vieux monsieur. Le chef de la police de Bruxelles va devoir s’expliquer… » Un couple de Mons prie à haute voix. Une infirmière raconte comment, après les attentats, une femme a refusé de monter dans le bus à cause d’un émigré à bord. Aucun voyageur n’a protesté. De son côté, Fatima Bouchirab, 55 ans, pense que « tout va changer dans le bon sens ». « Ma sœur, enseignante, a décidé de dénoncer les enfants à l’école. La racaille, ça commence là. »

Jusqu’ici, aucun slogan n’était apparu place de la Bourse. « Tant mieux, pas de récupération, ces gens-là passent leur temps à nous diviser », estime Steve Elleboudt, 35 ans, ouvrier. Aucune association non plus ne s’y affiche, « ça nous a semblé évident, sans même en débattre », dit Alexis Deswaef, de la Ligue des droits de l’homme, venu « en citoyen ».

« Nous avons décidé de leur laisser prendre le train »

Mais ce dimanche, la politique a salement fait irruption dans ce sanctuaire. A Vilvorde, où les hooligans s’étaient donné rendez-vous place de la mairie, le bourgmestre, Hans Bonte (Sp.a, socialistes flamands), a reconnu qu’ils se rendaient à la « marche contre la peur », mais « clairement pour provoquer », selon l’agence Belga. Pourtant, « en concertation avec la police, nous avons décidé de leur laisser prendre le train (…) » pour éviter « trop de frustrations ». A Bruxelles, les demandes de renforts policiers avaient de toute façon été satisfaites, a soutenu Jan Jambon, le ministre de l’intérieur. M. Jambon est membre de l’Alliance néoflamande (N-VA), principale formation de Flandre, qui a refusé de s’associer aux quatre partis démocratiques (libéral, socialiste, chrétien-démocrate et écologiste) pour condamner l’action des hooligans. « Afin de ne pas leur faire de publicité », se justifie la N-VA.

Une polémique a immédiatement démarré avec Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles (PS, Wallonie). « Nous avons été prévenus de la venue (…) de ces crapules aux visées nazies et je constate que rien n’a été fait. » Quant aux renforts, Jan Jambon a expliqué qu’ils n’étaient pas destinés à s’opposer à l’arrivée des hooligans, mais à assurer la sécurité des citoyens sur la place de la Bourse.

Au milieu de la place, un père et ses deux fils, en tenue de cycliste. Ils sont venus « pour comprendre ce qui nous arrive ». Le père se revoit le soir du 22 mars, collé devant le journal télévisé, alors que l’aîné ne décollait pas de son ordinateur. « Il s’en fout », a râlé le père. Alors, le fils s’est retourné : « Papa, je suis né un mois avant le 11 septembre 2001. Je n’ai rien connu d’autre. Pour moi, le monde normal, c’est ça. »

Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen), Marie-Béatrice Baudet et Florence Aubenas


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