L’urgence de sortir de la débilité capitaliste

jeudi 12 mai 2016.
 

Par Marie-Jean Sauret Psychanalyste

Attentats après attentats, passée la stupeur devant l’horreur, force est de constater que rien ne change aux politiques d’austérité, aux logiques de pillage, aux mouvements d’accumulation des capitaux, à l’exportation de la guerre et des entorses aux droits de l’homme, au mépris des pauvres, et jusqu’aux appels à peine implicites à laisser les migrants se noyer…

Sauf peut-être le doute qui insinue que nos États sont incapables de nous protéger du terrorisme que la logique de la globalisation, sinon provoque directement, du moins nourrit. Nos gouvernants n’envisagent pas une seconde, pour autant, de détourner l’argent du capital pour assurer la sécurité des citoyens pas plus que pour contribuer à un monde plus juste.

Ainsi, dans les places boursières, les actions relatives au tourisme en Belgique ont brutalement chuté  : la spéculation continue sur le dos des morts  ! Et le terrorisme renforce les partisans de la confiscation légale de la démocratie et des libertés engagées en France par la tentative d’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, en Pologne par le non-respect du tribunal constitutionnel, en Europe par les lois relatives au partage des données privées et à la surveillance généralisée (comme il se doit high-tech… et inefficace), un peu partout par le contrôle des journalistes, sans parler de l’étranglement économique de la presse d’opinion (comme l’Humanité). Le must est bien sûr l’affinement, social-libéral en France, des décisions qui assurent la domination de l’économie sur la politique et la vie ordinaire quoi qu’il arrive.

Le terrorisme, nourri par le néolibéralisme, enrichit à son tour le terreau sur lequel lève l’extrême droite. La percée de l’Alternative für Deutschland lors des dernières élections allemandes, le poids électoral du FN en France, la montée du Ruch Narodowy polonais, la présence non négligeable d’Aube dorée en Grèce, et encore des partis similaires au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas (pour ne citer que des nations où l’extrême droite franchit la barre des 10 %) – et jusqu’au « succès » de la candidature de Donald Trump aux États-Unis – ne donnent-ils pas une mesure suffisante de la menace qui pèse sur ce monde  ?

Il existe une réaction, quoi que l’on pense de ces caractéristiques et de ces hésitations  : Syriza, Podemos, Jeremy Corbyn en Angleterre, une gauche radicale dans beaucoup de pays d’Europe, et il y a même Bernie Sanders aux États-Unis. Et il faut compter avec la multitude des initiatives locales qui, ici et là, expérimentent de nouvelles solidarités aux plans social, politique, économique. Se pourrait-il qu’une trame invisible dessine ce qui pourrait-être « l’autre monde possible », que la situation soit même meilleure à l’échelle de la planète qu’il y a quelques mois au moment de l’arrivée de Syriza au pouvoir en Grèce  ? C’est une occasion à saisir.

Entre ces deux orientations, il y a la masse de ceux qui « flottent », qui ne s’engagent pas, soit qu’ils profitent du système (jusqu’à voter extrême droite) en redoutant de perdre leurs privilèges, soit qu’ils sont de plus en plus occupés à survivre. Côté « profiteurs », mentionnons par exemple des universitaires et des spécialistes toutes disciplines confondues enrôlés au service du discours dominant  : ils livrent le triste spectacle d’une pensée entièrement consacrée à son propre ravalement. Et du côté de ceux qui se battent pour survivre, comment leur reprocher de préférer un contrat à durée déterminée flexible à l’absence de travail et d’allocation, même si, en l’acceptant, ils n’ignorent pas qu’ils confortent la logique qui les exploite et qu’ils affaiblissent la résistance à l’exploiteur. Au point qu’une frange des victimes du néolibéralisme voit dans le débat sur la loi du travail une querelle de riches qui n’ont même pas l’idée de ce que signifie vivre dans la pauvreté  ! Et ce, alors même que chacun sait désormais (c’est un ordre de grandeur) que 1 % de la population mondiale possède 50 % des richesses, 10 % (y inclus les précédents) règnent sur 83 %, et 80 % doivent se partager 5,5 %. Au « milieu », 10 %, la classe moyenne, celle qui a peur pour ses privilèges, se dispute les 11,5 % restants. Et n’y a-t-il pas quelque chose de ridicule et obscène à la fois à considérer qu’un individu échapperait à l’extrême pauvreté parce qu’il dispose de plus de 1,90 dollar par jour, seuil retenu par les experts  ?

Comment sortir de l’entre-deux  ? L’entre-deux, le non-engagement, l’adoption d’une réponse avant d’examiner les questions (cf. les intellectuels visés plus haut) sont strictement ce qui caractérise la débilité  : le triomphe de la confiscation de la pensée.

Cette confiscation est magistralement servie par le libéralisme de droite comme de gauche qui affirme que l’économie, réel incontestable, pense pour nous. Lacan traitait, au un par un, l’homme de droite de canaille parce qu’il ne visait que sa satisfaction propre, et l’homme de gauche de « bête » parce qu’il renonçait à penser. Il précisait que, collectivement, les canailles deviennent débiles et les débiles canailles. N’est-ce pas illustré pour le pire en un sens quand une section du Front national revendique le nom de Jean Moulin  ?

Il est sans doute impossible de forcer l’autre à sortir de sa débilité. Mais il n’est pas impossible d’en sortir soi-même. Une seule voie  : l’acte par lequel chacun s’extrait de l’entre-deux et s’engage pour un autre monde. Le capitalisme et son économie, son intelligence machinique (même si elle gagne aux échecs ou au go) nous rendent débiles. Récupérer la pensée, en tirer les conséquences constituent le premier pas hors du discours capitaliste.

La sortie de la débilité sur ce mode objecte à la canaillerie, fait front contre le cynisme et le meurtre. Le pas de l’ensemble dépend du pas dont chacun est ici capable et par lequel il met « le capitalisme hors de lui ». La récupération de la politique confisquée par ceux qui nous gouvernent passe par là, afin de restaurer la démocratie, qui nous est plus que jamais nécessaire, pour faire autre chose.

Tribune publiée dans L’Humanité

Bernie Sanders et le capitalisme

Bernie Sanders, candidat à l’investiture du Parti démocrate aux États-Unis pour l’élection présidentielle, a déclaré  : «  Tout ce qui nous effrayait du communisme – perdre nos maisons, nos épargnes et être forcés de travailler pour un salaire minable sans avoir de pouvoir politique – nous est arrivé grâce au capitalisme.  »


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