Violences policières : une volonté délibérée de « dégoûter les manifestants »

mercredi 25 mai 2016.
 

Un gouvernement de trouble à l’ordre public

- A) Le syndicat majoritaire des policiers Alliance dénonce les consignes reçues pendant les manifs (AFP)

- B) « Tout est mis en place pour que ça dégénère » (Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT police)

- C) Violences policières : un jeu dangereux (Noël Mamère)

- D) Violences policières « La volonté de marquer les chairs de la jeunesse » (L’Humanité)

28 avril : choix gouvernemental de violences policières

« L’attitude des forces de l’ordre est irresponsable » (article de L’Humanité)

Les fausses photos d’incidents dans les manifestations contre la loi travail (Le Monde)

Non, M. Cazeneuve, nos étudiants n’ont pas à payer votre dérive sécuritaire !

23 mars 1979, un policier casseur entre dans l’Histoire : il s’appelle Gérard Le Xuan

A) Le syndicat majoritaire des policiers Alliance dénonce les consignes reçues pendant les manifs (AFP)

Le syndicat Alliance s’interroge sur les consignes de non-intervention reçues face aux casseurs. Et accuse le gouvernement de vouloir décrédibiliser les mouvements sociaux.

La charge est inattendue. Sur France Info, le secrétaire général du syndicat policier majoritaire Alliance, Jean-Claude Delage, s’est interrogé sur les consignes reçues par les policiers pendant les manifestations. Il s’interroge notamment sur la passivité imposée aux forces de l’ordre lorsque des casseurs sont en action.

« Attendre une heure »

Pourquoi les CRS n’interviennent-ils pas plus rapidement lorsque des groupes de personnes s’en prennent à des vitrines ou des équipements publics ? Selon le patron d’Alliance, les policiers ne font qu’obéir aux ordres.

« Lorsque vous voyez des casseurs détruire les vitrines, saccager des panneaux publicitaires, se servir des tubes néons à l’intérieur pour attaquer les forces de l’ordre et que des policiers mobilisés sont en face d’eux et qu’ils doivent attendre une heure en face d’eux pour intervenir (…) on se demande bien pourquoi. »

Celui qui appelle les policiers à manifester contre « la haine anti-flics » le 18 mai l’assure : « les policiers veulent interpeller les casseurs ». Et d’ajouter :

« L’Etat doit prendre ses responsabilités, ne pas nous laisser attendre des heures face à des casseurs identifiés, qu’on pourrait même peut-être préventivement assigner à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ou interpeller. »

Quelle est la logique derrière ces ordres ?

Pour Alliance, la stratégie de laissez-faire du gouvernement n’a qu’un objectif, jeter le discrédit sur l’ensemble de la mobilisation contre la Loi Travail.

« Je pense que ça vise aussi à discréditer le mouvement social et syndical parce qu’évidemment, lorsque des syndicalistes manifestent contre un texte et qu’il y a des casseurs qui cassent tout dans le quartier, que les riverains sont exaspérés et que la police ne peut pas rapidement intervenir, et bien ça discrédite aussi quelque part le mouvement social » estime Jean-Claude Delage.

B) « Tout est mis en place pour que ça dégénère » (Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT police)

Entretien. Gardien de la paix, Alexandre Langlois dénonce une volonté délibérée de « dégoûter les manifestants ». Il raconte les coulisses des violences.

Comment analysez-vous les violences policières qui ont marqué les dernières manifestations contre la loi El Khomri  ?

Alexandre Langlois Tout est mis en place pour que les manifestations dégénèrent. Côté renseignement, on constate depuis une dizaine d’années une double évolution, avec des manifestants beaucoup plus pacifiques qu’avant, mais des casseurs toujours plus violents, organisés de manière quasi paramilitaire. Certains de ces groupes sont identifiés avant qu’ils intègrent les manifestations. Mais aucune consigne n’est donnée pour les interpeller en amont.

Vous parlez d’une « volonté délibérée » que les manifestations dégénèrent. Comment cela se traduit-il pour vous, sur le terrain  ?

Alexandre Langlois Prenons l’exemple du 9 avril. En fin de journée, nous savons qu’un groupe de casseurs dangereux vient d’arriver gare du Nord pour aller perturber Nuit debout, à République. Une compagnie de CRS se trouve sur leur passage, prête à intervenir. Mais l’ordre leur est donné par la préfecture de se pousser dans une rue adjacente  ! Les collègues leur signalent l’imminence de l’arrivée du groupe de casseurs. Mais ordre leur est confirmé de les laisser gagner place de la République, avec les conséquences que l’on connaît  ! Par contre, quand il s’est agi d’aller protéger le domicile privé de Manuel Valls, ce soir-là, cette fois les ordres ont été clairs…

Au-delà des casseurs, comment expliquez-vous les ruptures de cortèges, l’usage systématique de gaz lacrymogènes, voire les brutalités policières gratuites  ?

Alexandre Langlois C’est important de rappeler que, dans les manifestations, tous les collègues sur le terrain n’interviennent que sur ordre. Si certaines, comme le 1er Mai, se terminent en « souricière » place de la Nation, c’est que l’ordre en a été donné. Le message qui est passé, c’est « casseurs venez, vous pourrez agir en toute impunité, et manifestants ne venez plus avec vos enfants, car c’est dangereux pour vous ». Et à la fin de la journée, les médias ne parlent que des violences, et surtout plus des raisons pour lesquelles les citoyens manifestent. Le pouvoir politique instrumentalise la police, qui sert de bouc émissaire. Cela permet au gouvernement de faire diversion.

Comment les policiers vivent-ils cette situation  ?

Alexandre Langlois Nous sommes épuisés. Les collègues souffrent d’une perte de sens de leur métier. Aujourd’hui, on leur demande du rendement statistique et d’exécuter des ordres qu’ils jugent incompréhensibles ou injustes. La police est déshumanisée. On compte un suicide en moyenne par semaine dans notre profession. À la CGT police, nous défendons l’idée d’une force publique à l’usage du peuple, celle de la déclaration des droits de l’homme de 1789, une « force pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

Entretien réalisé par Maud Vergnol, L’Humanité

C) Violences policières : un jeu dangereux (Noël Mamère)

Source : https://blogs.mediapart.fr/noel-mam...

L’état d’urgence, que nous combattons depuis le début comme un état d’exception inefficace et attentatoire aux libertés, est en train de créer un climat de peur, alimenté par les violences récurrentes des forces de l’ordre. Elles sont en première ligne, pendant que leurs commanditaires, eux, se réfugient dans une hypocrisie sans limites. Leur seule justification, mais ils n’osent le dire, c’est de faire passer en force une loi rejetée par la société. Le débat qui s’ouvre au Parlement le 3 mai ne doit pas être occulté par cette tentative de détournement.

Sur le front des manifestations contre la loi Travail, les jours se suivent et se ressemblent. Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont décidé « d’encadrer les manifestations » pour, soi-disant, isoler les casseurs. Résultat : dès le début du cortège, des centaines de CRS bloquent le départ de la manifestation traditionnelle du Premier Mai. Les conséquences ne se font pas attendre et se traduisent par un surcroit de violences et de mise en danger physique des manifestants et de la police. Jamais un Premier Mai n’avait été l’occasion de tels débordements : matraquages en règle de jeunes, de retraités, de syndicalistes, utilisation de gazeuses à hauteur d’homme, jets de grenades assourdissantes, pourtant « interdites » depuis Sivens et la mort de Rémi Fraisse…

A qui profite cet « encadrement » des cortèges par des CRS et des gendarmes mobiles ? Aux chaines d’information en continu qui diffusent en boucle les images de violence et, principalement, au gouvernement, qui tente par tous les moyens de déconsidérer la mobilisation contre la Loi Travail commencée il y a deux mois maintenant. Cette stratégie, appliquée aux militants écologistes lors de la COP21 est allée crescendo face à la mobilisation contre la loi travail. C’est ce jeune lycéen de 15 ans, tabassé le 24 mars dernier par trois policiers devant le lycée Bergson, à Paris. Le 5 avril, plus de 130 lycéens sont interpellés avant même d’arriver à la manifestation prévue à Bastille l’après-midi, après avoir subi des tirs de gaz lacrymogènes et des coups de matraque par des CRS et policiers en civil. Même chose à Nantes, Lyon, Montpellier, Toulouse, Mayotte, etc. Le 28 avril, un étudiant perd un oeil à Rennes, après un tir de LBD ( lanceur de balles de défense) dont le défenseur des droits demande pourtant l’interdiction, tout comme certains d’entre nous depuis longtemps. Le gouvernement prend prétexte de la présence d’une minorité organisée dans la mouvance dite « autonome » pour agir avec une telle violence. Certes, cette minorité, décidée à en découdre avec la police, existe. Personne ne le nie. Mais ce n’est pas en multipliant les provocations à l’intérieur même des cortèges que l’on y mettra un terme. D’ailleurs, pourquoi ces manifestants, isolés par les forces de l’ordre en fin de manifestation, ne sont-ils pas massivement interpellés ? Que cherche le ministre de l’Intérieur, prouver que les manifestants ne sont pas responsables pour mettre en cause le droit de manifester ? Poser la question, c’est y répondre.

Voilà que sous un gouvernement dit de gauche, nous nous retrouvons dans la même situation qu’en 1986 durant la cohabitation où un gouvernement dirigé par Jacques Chirac voulant appliquer de gré ou de force la loi Devaquet, n’avait abouti qu’à la mort de Malik Oussekine. François Hollande, Manuel Valls et leur ministre de l’Intérieur sont en train de créer une situation d’exaspération dans le pays qui peut à tout moment se traduire par un drame du même type. Cela s’appelle de la gouvernance irresponsable. Irresponsable car les policiers envoyés pour encadrer les manifestants sont surchargés de travail, exténués, leurs millions d’heures supplémentaires pas payées. Irresponsable, car les ordres donnés ne sont pas clairs : La police perturbe, de fait, le cours normal des cortèges en cherchant à séparer les « casseurs » de la masse des jeunes tout en voulant éviter des affrontements qui pourraient faire des victimes. Mission impossible. Plus les provocations policières se répètent, plus les manifestants sont soudés entre eux.

Comme Président de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre, qui avait suivi la mort de Rémi Fraisse, j’avais largement dénoncé les failles de la chaine de commandement et les ordres erratiques donnés par l’exécutif… Mais j’avais été le seul, avec ma collègue Marie-Georges Buffet. Et nous avions finalement voté contre le rapport qui annonçait la politique de maintien de l’ordre que nous connaissons aujourd’hui.

Alors que l’extrême droite et une partie de la droite jouent leur va-tout sur les questions identitaires, Manuel Valls tente d’imposer sa marque frappée au coin de l’autoritarisme. Il montre ses muscles pour tenter de faire diversion face à la mobilisation massive contre la loi travail. Ce jeu est non seulement stupide, mais encore dangereux.

Les apprentis sorciers au pouvoir sont en train d’éduquer une génération à la violence. Les jeunes qui s’éveillent à la politique sur la place de la République constatent chaque jour que la gauche au pouvoir est plus sensible aux demandes de la droite sarkozyste et de l’extrême droite qu’à leurs propres revendications. Alors que les responsables de droite se succèdent pour demander l’interdiction de Nuit Debout, ces « sans cerveaux » selon l’ex-président, les responsables de la gauche de droite organisent le matraquage systématique de la jeunesse. Cela se traduira dans les urnes, bien sûr, mais pas seulement car la gauche institutionnelle est en train de perdre son âme en voulant à la fois imposer une loi d’essence libérale et user de la force brute pour bâillonner sa jeunesse. Traiter par le mépris la jeunesse et les syndicalistes conduit à perdre sur tous les tableaux.

L’état d’urgence, que nous combattons depuis le début comme un état d’exception inefficace et attentatoire aux libertés, est en train de créer un climat de peur, alimenté par les violences récurrentes des forces de l’ordre. Elles sont en première ligne, pendant que leurs commanditaires, eux, se réfugient dans une hypocrisie sans limites. Leur seule justification, mais ils n’osent le dire, c’est de faire passer en force une loi rejetée par la société. Le débat qui s’ouvre au Parlement le 3 mai ne doit pas être occulté par cette tentative de détournement.

« Hé Oh », en haut, à l’Elysée et Matignon, arrêtez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. « Eh Oh », au lieu d’organiser des mascarades de meetings pour défendre un bilan indécent, vous feriez mieux de garder votre sang froid et de mieux contrôler celui des forces de l’ordre… Vous auriez du entendre les 400 musiciens de l’orchestre Nuit Debout interprétant la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. La musique adoucit les mœurs.

D) Violences policières « La volonté de marquer les chairs de la jeunesse »(L’Humanité)

Source : http://www.humanite.fr/la-volonte-d...

Flash-Ball, tonfas, grenades en tous genres… Les manifestants sont confrontés à l’arsenal policier et le nombre de blessés augmente à une vitesse astronomique. À Paris et en province, les militants témoignent d’une volonté de stopper le mouvement social à tout prix.

Des quartiers en état de siège, des manifs survolées par des drones ou des hélicos. Et des blessés, d’innombrables blessés. Un nouveau chapitre s’est ouvert dans l’histoire déjà bien chargée des exactions de la police française. « C’est complètement dingue, estime Pierre, militant nantais. Lors du CPE, Dominique de Villepin s’inquiétait, du moins publiquement, qu’un jeune ne se fasse tuer. Les socialistes font mieux  : ils s’en foutent complètement. » Pierre avait 16 ans lors du CPE et un tir de Flash-Ball l’a privé de l’usage de son œil droit. Alors que la chasse semble ouverte et la bride lâchée sur le cou des agents, Pierre redoute un nouveau Rémi Fraisse  : « C’est parti très fort dès le début. Et si ça continue comme ça, la police va finir par tuer un manifestant. » Pierre Douillard est auteur du livre l’Arme à l’œil, violence d’état et militarisation de la police. Derrière les techniques « d’encagement » des cortèges et les policiers qui ne retiennent pas leurs coups, il voit « la volonté politique de marquer les chairs de la jeunesse, le corps des gens, pour casser le mouvement à tout prix. La répression et l’antiterrorisme, ce gouvernement n’a plus que cela pour tenir debout, de toute façon ».

Difficile de tenir le compte des lycéens qui se font ouvrir le crâne, des artères sectionnées par des tirs de Flash-Ball, des yeux éclatés et des commotions diverses. « Effectivement, c’est un vrai miracle que personne ne soit encore mort », estime Gaspard Glantz, en insistant sur le terme « miracle ». Gaspard est le fondateur du site Taranis News, spécialisé dans la vidéo coup de poing filmée en tête de manif. Depuis 2009, il a observé les affrontements lors du contre-sommet de l’Otan, ceux de Sivens ou encore de Notre-Dame-des-Landes. « On a franchi un cap par rapport à cette époque. Le niveau de violence policière que j’observais une ou deux fois par an, aujourd’hui, je le vois deux fois par semaine. Et en plein Paris », raconte Gaspard Glantz. Il évoque les tirs tendus de lance-grenades fumigènes Cougar, les grenades de désencerclement tirées en l’air alors qu’elles sont censées être utilisées au niveau du sol. « C’est devenu le grand n’importe quoi, poursuit Gaspard. J’espère qu’il est clair pour tout le monde que la jeunesse de ce pays exprime autre chose que son rejet de la loi travail. Il est temps que le gouvernement entende cela et lâche du lest. »

« Il y avait tellement de lacrymo que même les CRS se sont mis à vomir  ! »

À Paris, la manif du 1er Mai a tourné à la bataille rangée. Juliette, étudiante en anglais, hallucine encore  : « Il y avait tellement de lacrymo et de bombes au poivre que même les CRS se sont mis à vomir  ! » Dans le trajet entre Bastille et Nation, cinq rangées de policiers ont coupé le défilé en deux, pour séparer le bloc de tête et le reste cortège. Une fois les gens à peu près immobilisés, ils ont essuyé tirs de lacrymo et coups de matraque. « J’ai vu un homme d’une quarantaine d’années s’évanouir au pied des CRS, la police charger les gens assis dans l’herbe à Nation et tirer des grenades lacrymo jusque dans les bouches de métro. » Plus tard, à Nuit Debout, Juliette voit « des personnes se faire frapper au sol, dans une atmosphère de guerre civile ».

Un photographe présent à la manif du 28 avril raconte comment la BAC et les CRS les ont pris pour cible, à coups de grenades lacrymo et de « Alors, on fait moins les malins  ! » Selon lui, l’objectif était de les empêcher de travailler  : « Une fois neutralisés, nous ne pouvions plus prendre de photos des violences. » Ce n’est pas beaucoup mieux en province. Alors que l’usage du Flash-Ball reste – relativement – limité à Paris, c’est un véritable festival, à Rennes, Bordeaux, Lyon ou encore Nantes. Après avoir été lui-même blessé, le militant nantais Pierre Douillard s’est penché sur l’usage du Flash-Ball. L’engin arracheur d’œil a été mis entre les mains des policiers par Nicolas Sarkozy en 2002 mais ce sont les socialistes qui ont fait monter en gamme les agents, en généralisant l’usage du LBD 40. Cette version « fusil » du Flash-Ball, plus puissante et plus précise, fournit actuellement aux hôpitaux le gros des blessés graves. « Cette arme a réhabitué les policiers à tirer sur la foule et cela n’a rien d’anodin, pointe Pierre. C’est une rupture avec l’ancienne doctrine du maintien de l’ordre qui consistait à faire barrage et à repousser les manifestants. Aujourd’hui, les policiers nous rentrent dedans et font une utilisation industrielle de leur matériel contre toutes les composantes du mouvement social. »

Vincent, un tranquille expert-comptable de 66 ans, en a fait les frais alors qu’il défilait à Lyon le 28 avril. Il se croyait pourtant en sécurité, à une trentaine de mètres de la zone de confrontation. « J’ai été touché par un tir de Flash-Ball et une grenade de désencerclement. Une amie a également été touchée et j’ai été demander de l’aide aux policiers. » Ce qui lui a valu un coup de matraque d’un policier énervé, calmé de justesse par ses collègues qui l’ont empêché de frapper le sexagénaire.

Les techniques mises au point lors des guerres coloniales 

Mathieu Rigouste, militant à Toulouse, n’est pas étonné par cette montée en puissance de la répression. Auteur de la Domination policière, une violence industrielle, véritable archéologie des pratiques répressives françaises, Mathieu pointe une nouvelle fois la très ancienne expertise de la police française, en matière de répressions de mouvements populaires. Les matraquages meurtriers et les techniques d’intimidation n’ont rien de nouveaux  : les jeunes de banlieue en font les frais tout les jours. « Ces techniques, mises au point lors des guerres coloniales et utilisées en permanence dans les quartiers populaires ou les prisons, sont aujourd’hui déployées contre le mouvement social, pour protéger un pouvoir à la dérive. »Dans les rues de Paris, des policiers de commissariat, sans contrôle direct de leur hiérarchie, sont équipés de tenues anti-émeute et lâchés dans la foule où ils frappent à tout-va. Et pour le chercheur en sciences sociales, leur violence est tout à fait délibérée. « La férocité des unités répressives est en fait très maîtrisée, poursuit Mathieu Rigouste. Cette manière de faire a été observée lors des printemps arabes. Frapper la foule au hasard, et non plus seulement les meneurs, c’est transmettre un message clair  : les anonymes seront touchés pour ce qu’ils sont, juste parce qu’ils sont là, parce qu’ils veulent protester. Ils veulent nous instiller la peur d’aller en manifestation. » Il remarque  : « On observe ces effusions de violence dans tous les pays où le capitalisme traverse une crise et où l’État craint de perdre la main et s’attache à réagencer son système de contrôle. » De l’état d’urgence antiterroriste à des étudiants laissés en sang sur le trottoir, la même logique est à l’œuvre.

Face à la répression, les manifestants apprennent, parfois dans la douleur, à réagir. « La foule en tête de cortège augmente de manif en manif et cela aussi c’est nouveau, témoigne Gaspard Glantz. J’y vois des personnes de la quarantaine, des classes moyennes, avec des casques, des lunettes de plongées ou des masques à gaz. Les manifestants commencent à prendre le réflexe de se protéger les uns et les autres. Et lors du 1er Mai, lorsque la police a voulu « nasser » la foule, les manifestants ne se sont pas laissé faire et ont refusé d’être séparés du cortège de tête. » Il y a aussi les « street medics », des médecins volontaires, qui ont fait leurs armes lors de la COP21 et qui, ces dernières semaines, ramassent des blessés à la pelle. « Ils s’occupaient de sept personnes pour des brûlures, des arcades sourcilières explosées », racontait un manifestant le 28 avril.

Agression filmée mais impunie  ? Parmi les nombreux documents qui circulent sur Internet, celui du cinéaste Matthieu Bareyre et de l’ingénieur du son Thibaut Dufait est l’un des plus accablants. Sur la place de la République, on voit un CRS décocher un violent coup de poing à un manifestant qui a les mains liées dans le dos.

Mehdi Fikri, avec Alexandre Fache, Loan Nguyen et Marion d’Allard.


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