"Si la loi El Khomri est votée, le PS est mort"

mardi 17 mai 2016.
 

- A) Yann Galut, député PS : « Si la loi El Khomri est votée, le PS est mort »
- B) La gauche face à sa raison d’être (Christian Paul, député PS de la Nièvre)
- C) 10 et 11 mai 2016 : Mobilisations spontanées contre le 49-3 (AFP)

A) Yann Galut, député PS : « Si la loi El Khomri est votée, le PS est mort »

Dans une interview au Parisien.fr, Yann Galut, député PS du Cher, qui ne fait pas partie des frondeurs, « conjure François Hollande de retirer ce texte ».

Manuel Valls affirme sur RTL que le gouvernement « ira au bout » sur le projet de loi. Etes-vous prêt à le voter ?

Yann Galut. Non, et nous sommes nombreux dans ce cas. J’appelle même solennellement le président François Hollande à le retirer. Je crois qu’ils ne mesurent pas à quel point ce texte heurte nos militants, et au delà tous les sympathisants de gauche. Depuis plusieurs jours, je ne peux pas faire un pas dans la rue à Bourges (ndlr. sa circonscription) sans qu’on ne m’en parle.

Les opposants à la déchéance de nationalité le disaient déjà , mais finalement les sondages montraient que les sympathisants de gauche y sont plutôt favorables...

C’est vrai. Et je dois reconnaître qu’hormis quelques militants, peu de monde sur le terrain ne me parlait de cela. Mais sur la question du code du travail, je sens vraiment la différence. Une militante a même pleuré pour me dire on ne peut pas faire ça. Le débat sur la déchéance a aussi libéré la parole de nos militants. Trop c’est trop, ils n’en peuvent plus. La déchéance de nationalité a déchiré nos valeurs, et là ça déchire notre histoire. Le PS a toujours avancé en reculant la durée du travail, et là d’un coup on fait l’inverse. J’ai fait partie de ceux qui comprenaient qu’on fasse des gestes pour les patrons. Nous sommes beaucoup à avoir accepté ce changement, une évolution de la politique de la demande vers la politique de l’offre. Mais nous avons toujours souhaité des contre-parties pour les salariés... et là, il y a un déséquilibre grandissant. On ne peut pas encore une fois tout donner au patronat...

Manuel Valls et François Hollande ne semblent pas réaliser que désormais, il y a un risque d’atteindre un point de non retour avec le peuple de gauche. Si ce texte est voté, le PS est mort.

B) Loi El Khomri : la gauche face à sa raison d’être (Christian Paul, député PS de la Nièvre)

Faciliter les licenciements économiques, accroître le temps de travail de ceux qui travaillent déjà, inverser la hiérarchie des normes prenant ainsi à rebours l’histoire et la construction du droit du travail… L’avant-projet de loi El Khomri symbolise, plus que tout ce qui l’a précédé -pacte de responsabilité, loi Macron,…- le basculement idéologique dans lequel François Hollande et Manuel Valls, inspirés par le Medef, voudraient désormais entraîner la gauche française. Ce n’est pas le compromis historique dont le pays a grand besoin, mais c’est un profond « changement » de modèle social.

Députés socialistes, respectueux de l’héritage et des combats des générations qui nous ont précédés, soucieux de concilier la modernisation de nos réponses et la fidélité aux principes qui nous ont valu la confiance des Français, nous considérons qu’il est de notre devoir de combattre les reculs concrets que comportera cette loi et de nous opposer d’ores et déjà clairement aux fondements qui l’inspirent.

Un renoncement paresseux

Nous devons en premier lieu rappeler que la belle idée de « sécurité sociale professionnelle », présente dans le programme des socialistes et des organisations syndicales depuis longtemps, n’a rien à voir avec la « flexisécurité ». La sécurité sociale professionnelle est la recherche de nouveaux droits pour les salariés dans un contexte économique où ceux-ci n’ont plus vocation à passer la totalité de leur vie professionnelle dans la même entreprise. Elle vise à adapter les objectifs inchangés de la gauche aux nouvelles réalités des trajectoires professionnelles souvent discontinues. La flexisécurité, telle qu’elle est illustrée par cet avant-projet de loi, c’est l’idée qu’on ne pourrait dorénavant accorder de nouveaux droits aux salariés qu’à condition de leur en retirer d’autres ! Loin de traduire un souci d’adaptation aux réalités, elle reflète la triste inhibition d’une partie de la pensée socialiste face au libéralisme économique et le renoncement paresseux et coupable à inventer une voie nouvelle dans la mondialisation. Comme nous l’avons indiqué aux dirigeants de notre parti, des socialistes, libres et en accord avec leur histoire, peuvent parfaitement décider de bien terminer ce quinquennat par une grande loi sociale donnant corps à la sécurité sociale professionnelle, sans se sentir pour autant obligés d’abîmer le droit du travail.

Mais nous devons aussi contester la vision sociale sous-jacente à ce projet. Devant la difficulté objective à présenter malgré tout cette réforme du Code du travail comme un progrès pour les salariés, on voit en effet ressurgir dans le discours du gouvernement et des tenants de la réforme actuelle la vieille opposition entre inclus et exclus, « insiders » et « outsiders ». Depuis deux décennies qu’elle sert à donner au libéralisme économique une motivation sociale, la fable nous est parfaitement connue : si la France a un taux de chômage élevé, c’est parce que son système social protège les salariés au détriment des chômeurs.

Une lecture caricaturale

Elle ne tient pas économiquement : depuis ces deux décennies que l’on assouplit déjà le contrat de travail, nous n’avons guère observé la corrélation avec une quelconque baisse du chômage. Nombre d’études récentes l’attestent, émanant d’instituts aussi peu suspects de gauchisme que l’OCDE par exemple. Qui peut sérieusement prétendre que le recours à des heures supplémentaires moins bien payées réduit le chômage et débouche sur l’embauche des jeunes ? Qui peut démontrer sans cynisme que la fragilisation des CDI révélera des centaines de milliers d’emplois potentiels pour la jeunesse ? Elle ne tient pas sociologiquement : cette lecture duale et caricaturale sous-estime le continuum de situations entre chômeurs et salariés, et notamment l’existence d’un nombre croissant et important de travailleurs pauvres ou précaires qu’il est particulièrement indécent de considérer comme des « nantis ». Elle oublie l’intensification du travail, la stagnation salariale, les nouveaux risques créés par la numérisation qui interdisent de voir la condition salariale comme un eldorado. Surtout, elle ne tient pas politiquement : prenant le relais de la gauche républicaine du XIXe siècle, le mouvement socialiste n’a jamais renoncé à reconnaître la place dans nos sociétés de la confrontation d’intérêt entre le capital et le travail.

Rester fidèle à cette interprétation des dynamiques économiques et sociales n’est en rien archaïque ou incompatible avec des choix réformistes, au sens réel et non pas galvaudé du terme, c’est-à-dire avec la reconnaissance de la liberté économique, le soutien aux entrepreneurs innovants et la création de conditions favorables à l’investissement productif. Cela signifie simplement être conscient que le rôle spécifique de la gauche reste d’organiser la régulation et les cadres de cette économie de marché au nom des attentes et des intérêts de l’ensemble de ceux qui ne peuvent vivre que de leur travail et sont soumis pour cela à la pression permanente du capital.

Oublier cela, tourner délibérément le dos à cette raison d’être de la gauche, à la justification même de sa volonté d’exercer le pouvoir, serait se perdre gravement et prendre le risque de disparaître pour longtemps du champ de la représentation politique. C’est le risque que nous encourrons avec ce projet, justement contesté par un puissant mouvement venu du salariat et de la société. C’est ce que nous ne permettrons pas.

Christian Paul et Laurent Baumel

C) 10 et 11 mai 2016 : Mobilisations spontanées contre le 49-3 (AFP)

En Normandie, plusieurs rassemblements ont eu lieu dans la soirée du mardi 10 mai 2016, après la décision d’appliquer l’article 49-3 pour faire passer en force la loi Travail. À Caen (Calvados), le siège du Parti socialiste (PS) a été la cible de manifestants, qui se sont introduits dans les locaux, rue Paul-Toutain, vers 18h, avant de saccager les lieux.

À Paris, ils étaient 500 opposants ( selon la police), à manifester devant l’Assemblée nationale, aux cris de « Tout le monde emmerde le 49-3 », « la vraie démocratie, elle est ici », ou encore « Assemblée nationale assemblée du capital ». Des slogans tels que « libérez le Parlement » ou « Hollande démission » ont été entendus. Les manifestants, qui ont envahi la chaussée, bloquaient à 20h30 la circulation sur le pont de la Concorde. Des dizaines de véhicules de police les encadraient, leur interdisant l’accès au Palais Bourbon. Le Premier ministre, Manuel Valls, a engagé mardi après-midi la responsabilité de son gouvernement via l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution afin de faire adopter sans vote le projet de loi Travail. Un tel procédé relève d’un « recul sans précédent des droits des travailleuses et des travailleurs en France, un retour au XIXe siècle », affirmait mardi 10 mai 2016, dans la matinée, le collectif Nuit debout, promettant une réponse « par tous les moyens légitimes en proportion au mépris affiché ».

L’appel a été entendu dans plusieurs villes, notamment à Toulouse (Haute-Garonne), où un cortège de 1 000 personnes selon la police, 2 000 selon la CGT, s’est d’abord réuni place du Capitole, avant de sillonner la ville aux cris de « Toulouse, soulève-toi », « cette société-là, on n’en veut pas ». Jeunes, salariés, étudiants et lycéens, réunis spontanément à l’appel d’une intersyndicale CGT, FSU, Solidaires et Nuit debout, se sont ensuite dirigés vers le siège du PS de Haute-Garonne, où ils ont été bloqués par un cordon de police. Des incidents sont alors survenus. Deux jeunes manifestants ont été blessés à la tête ainsi qu’un policier, selon les pompiers et la police.

Nantes, Rennes, Lyon, Grenoble...

Dans l’Ouest, plusieurs manifestations tendues ont eu lieu simultanément, les manifestants ciblant particulièrement le Parti socialiste.

À Nantes (Loire-Atlantique), un premier défilé s’est déroulé en fin de journée avec quelques 400 personnes, qui ont manifesté peu après 19h30 aux cris de « Tout le monde déteste le PS ».

Les premiers heurts sont intervenus vers 21h30. Passant devant la mairie de Nantes, à majorité socialiste, les manifestants ont tagué sa façade et essayé de casser les vitres. Après des jets de bouteilles dirigés vers les forces de l’ordre, ces dernières ont répliqué avec des gaz lacrymogènes. Les manifestants ont aussi jeté des poubelles sur les grilles du conseil départemental de Loire-Atlantique, également à majorité socialiste et tagué « 49-3, provoc », sur un mur. Après une pause, et la construction d’une barricade, certains manifestants auraient cherché à forcer l’entrée d’un supermarché, et se sont violemment affrontés, vers minuit, avec les forces de l’ordre.

D’autres rassemblements ont eu lieu à Rennes (Ille-et-Vilaine), avec plus de 300 manifestants, 500 personnes à Lyon (Rhône), ou un local du PS et de la police municipale ont été dégradés.

De nombreux incidents auraient également eu lieu dans le centre-ville de Grenoble (Isère), selon la police, avec notamment des vitrines de commerces brisées, et six policiers blessés. La rédaction du Dauphiné libéré a également été la cible de jets de projectiles, indique le journal sur son site internet.


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