Cette Europe qui étrangle l’Afrique – Les traités iniques

mardi 14 juin 2016.
 

On a (un peu) parlé récemment de l’un de ces odieux traités de libre-échange que la dictature des entreprises multinationales impose aux peuples du monde : notre bon président avait laissé entendre que, nom d’un petit bonhomme, la France ne signerait pas le traité en négociation (dans la plus grande opacité) entre l’Europe et les États-Unis...

Pré-campagne électorale oblige, il avait dû retrouver au fond d’un placard son déguisement d’« homme de gauche » et saisi l’occasion de replâtrer un mauvais maquillage qui ne cessait de tomber par plaques. Le traité en question, le Tafta, n’est pourtant pas le seul, loin s’en faut...

Des « accords » ? Non, des traités iniques...

Il y a bien des traités iniques procédant, dans la plus pure logique capitaliste, de la volonté du plus fort de faire toujours peser davantage sa loi sur le plus faible, quitte à niveler par le bas normes et droits. À cet égard d’ailleurs, le traité déjà signé avec le Canada, CETA, contient à peu près tout ce que notre gouvernement feint désormais d’écarter. Parmi ces traités, la palme pourrait bien revenir aux plus discrets APE, accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

De quoi s’agit-il ? Rien de moins que de mettre complètement à bas le dispositif instauré par la Convention de Lomé en 1975, relativement protectrice pour ces ACP. À l’époque, l’Union européenne avait en effet accepté une non-réciprocité en matière de droits de douane : en clair, les produits des ACP n’en acquittaient pas pour entrer en Europe, tandis que les barrières tarifaires étaient maintenues pour l’exportation des produits européens.

Même si les effets de cette disposition étaient limités par les incessantes tracasseries visant à limiter l’importation des produits africains (prétextes sanitaires, exigences de calibrage des fruits...) et par l’avantage que les subventions offraient aux agriculteurs européens, c’en était encore trop pour l’Organisation mondiale du commerce qui s’est avisée que cela était contraire au sacro-saint principe de « concurrence libre et non faussée » et qu’il fallait y remédier d’urgence.

Aussi, en 2000, à l’expiration de la Convention de Lomé, l’Accord de Cotonou avait donc introduit l’idée d’abolir progressivement les obstacles aux échanges en négociant ces APE.

Libéraliser les échanges, au profit de qui ?

Le moins que l’on puisse dire est que l’UE ne s’est pas fait prier car, comme le dit finement le commissaire au Commerce Peter Mandelson : « Notre prospérité est directement liée à l’ouverture des marchés où nous cherchons à vendre. » Mais comme il est mal venu d’avoir l’air de ne se soucier que de sa prospérité, l’UE constate benoîtement que les règles antérieures n’ayant « pas produit les résultats espérés » (sniff !), « une approche plus globale est requise ».

En l’occurrence, il fallait donc procéder à la libéralisation totale des échanges entre, par exemple, les 16 pays d’Afrique occidentale (PIB moyen par tête en 2014 : 1 547 euros) et l’UE (PIB moyen par tête : 27 355 euros) : une bonne base, on le voit, pour des accords équilibrés ! Et, concrètement, cela se traduit par ces prétendus « accords » qui, quand ils sont conclus avec tel ou tel pays ou groupe de pays, sont en réalité l’objet d’énormes pressions exercées par l’UE, tout particulièrement sur les pays les plus à même de résister tels que le Nigeria.

Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il est évident que ces « accords » scélérats sont une catastrophe pour les pays pauvres ? D’une part, alors que les recettes douanières représentent entre 35 % et 70 % des budgets des pays africains, ils privent ces pays de ressources consacrées à des billevesées... telles que l’éducation et la santé. D’autre part, ils autorisent l’UE à inonder sans limites leurs marchés de ses précieux biens, cela au détriment des productions locales, ruinant un peu plus les petits paysans et bloquant les efforts de modeste développement industriel. Quant à la libre exportation des produits africains, les accords ne changeront rien au fait que, à titre de simple exemple, c’est déjà le groupe Bolloré qui gère 65 % des exportations de Côte-d’Ivoire.

Le seul avantage que pourraient en tirer les pays ACP serait un terme aux subventions à l’exportation des agricultures européennes... Mais attendons de voir ce que ça donnera quand le feu prendra devant les préfectures !

De la misère aux réfugiéEs économiques

Tout cela est donc révélateur au plus haut point de la double hypocrisie de l’UE. En premier lieu, à cette aune, que penser des discours lénifiants sur l’aide au développement quand on arrache d’une main ce qu’on saupoudre de l’autre ? D’autre part, au-delà du débat sur la libre circulation et la libre installation ou de la distinction spécieuse entre migrants économiques et réfugiés, on voit plus clairement encore que cette UE, qui avec force vibratos exprime sur tous les tons son regret de ne vraiment pas pouvoir accueillir « toute la misère du monde », est directement productrice de cette misère et donc d’afflux toujours plus massif de réfugiéEs économiques.

Une fois de plus, l’UE (gendarme français en tête pour ce qui est de l’Afrique) se montre aux antipodes de l’Europe que nous appelons de nos vœux. Mais, au moins, ces jours-ci, est-il plus que jamais possible de faire mieux que de simplement l’observer. Un peu partout, des hommes et des femmes en Europe témoignent de leur refus de continuer à tenir pour inébranlable l’ordre du monde tant au plus près d’eux qu’au niveau planétaire. C’est bien le sens de l’expression renforcée d’une volonté de « convergence des luttes », notamment entre les anticapitalistes qui s’en prennent, à sa racine, à l’ordre économico-politique, et les divers mouvements citoyens ou militants de solidarité avec les migrantEs.

C’est pourquoi, il n’est pas surprenant que dans des cadres tels que les Nuit debout, les explications données sur les traités de libre-échange et plus spécifiquement sur le lien entre APE et migrations soient bien reçus, l’objet d’une curiosité croissante et potentiellement mobilisateurs.

Car de la prise de conscience au soulèvement, il arrive heureusement qu’il y ait des raccourcis.

François Brun


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