Manipulations médiatiques en série contre Mélenchon à « Des paroles et des actes »

lundi 6 juin 2016.
 

Le jeudi 26 mai 2016, Jean-Luc Mélenchon était l’invité de « Des paroles et des actes » (DPDA) sur France 2. Une émission au cours de laquelle se sont multipliées les manipulations médiatiques destinées soit à déstabiliser l’invité principal, soit à inviter les téléspectateurs à avoir une certaine lecture de ce qui se passait sur le plateau. Jean-Luc Mélenchon l’expliquait le 25 mai dans un post Facebook :

« DPDA est conçue comme une corrida où l’invité fait office de taureau promis au sacrifice. (…) Le but de l’émission n’est pas de permettre un débat par un exposé des idées ensuite mises sur le grill (…). Il s’agit d’appliquer la méthode du grand oral de type ENA (…) avec cette particularité : on ne connaît ni les sujets de l’examen ni les personnes concernées. (…) Vivre cette sorte de préparation est une épreuve humiliante et pleine de stress délibérément provoqué. »

Des propos qui se sont avérés juste au regard de la soirée de « corrida » et de manipulations médiatiques qu’a proposé France 2 aux téléspectateurs… Boulanger de l’Élysée et agricultrice de Bolloré : des « Français lambda » pas comme les autres.

Incroyable mais vrai. Pensant avoir affaire à un boulanger favorable à la loi El Khomri et à une exploitante agricole favorable à l’agriculture productiviste, Jean-Luc Mélenchon a eu en face de lui un boulanger qui fournissait en pain l’Élysée (comme tous les boulangers, c’est bien connu) et une agricultrice qui avait auparavant été… directrice financière de Bolloré au Chili (comme tous les agriculteurs, c’est bien connu).

Le boulanger de Sarkozy et Hollande

Parlons d’abord du boulanger, Djibril Bodian. Selon le magazine VSD, dans un article intitulé « DPDA : les Français choisis pour débattre avec Mélenchon posent problème », voici qui il est : « Djibril Bodian est le patron d’une entreprise d’une vingtaine de salariés. Lauréat de la meilleure baguette de la ville de Paris en 2010 et 2015, il fournit l’Élysée en pain tous les matins des années 2010 et 2015. Il a donc été le boulanger de Nicolas Sarkozy et de François Hollande ».

Difficile de le considérer comme le « profil type » d’un boulanger alors que la plupart d’entre eux gèrent des entreprises de très petite dimension : 77% des boulangeries comptent entre 1 et 5 salariés. À l’inverse, les entreprises de boulangerie de 20 salariés sont parmi les… 1% les plus grosses !

L’agricultrice de Bolloré et ses 210 terrains de football

Pas mieux pour l’agricultrice… qui est peut-être plus caricaturale encore que le boulanger de l’Élysée. En effet, selon un article de La Dépêche, Céline Imart a été : « deux ans directrice financière pour Bolloré au Chili, puis retour à Paris pour intégrer l’un des plus gros cabinets d’expertise de la capitale ». Pas franchement l’agricultrice lambda, n’est-ce pas ?

Ajoutons une chose. Céline Imart s’est défendu, au cours de l’émission, d’être membre de la FNSEA. Or son syndicat, les Jeunes Agriculteurs, présente des listes communes avec la FNSEA à chaque élection des chambres d’agriculture et est adhérent en tant que syndicat à la FNSEA. Difficile de faire plus lié !

Mais ce n’est pas tout, car l’article de La Dépêche précise également que Céline Imart gère une exploitation céréalière de 150 hectares soit l’équivalent de… 210 terrains de football ! Cela la place selon l’Insee dans les 10% d’exploitations les plus grosses. Sachez, au passage, que les 19% d’exploitations de plus de 100 hectares (les gros) détiennent à elles seules 58,3% de l’ensemble de la surface agricole, tandis que 61% des exploitations de moins de 50 ha (les petits) détiennent seulement 15,7% de la surface agricole. La lutte des classes traverse aussi le monde agricole. Autant dire qu’il est normal que Jean-Luc Mélenchon, qui défend une sortie du modèle productiviste et la valorisation d’une agriculture paysanne, ne soit pas du goût de Céline Imart…

Des photos de fond neutres et innocentes ?

Au cours de l’émission, des photographies étaient diffusées sur l’écran de fond. Un choix neutre et innocent qui semble pourtant bien orienté. D’autant plus que ces photos ont été le plus probablement sélectionnées avant l’émission pour constituer un stock à diffuser pendant. Je ne prendrai que deux exemples, à mon avis particulièrement illustratif de cette stratégie : d’abord les images diffusées pendant toute la première séquence de l’émission, ensuite une image utilisée pendant la séquence de François Lenglet.

Pour Pujadas, mouvement social = casseurs, feu et fumée

Le début de l’émission portait sur l’actualité. Comme l’a bien noté mon ami Alexis Corbière, David Pujadas questionnait Jean-Luc Mélenchon sur son approbation ou sa désapprobation des actions menées par les syndicalistes et en particulier : la grève (que monsieur Pujadas appelle « blocage ») dans les raffineries pétrolières. Or, pendant toute la durée de l’échange étaient diffusées des images inquiétantes, filmées sous des angles peu avantageux : pneus brûlés dégageant une fumée noire, voiture de police incendiée, casseurs affrontant des policiers (alors que Jean-Luc Mélenchon a toujours condamné les violences).

Ces photographies mettent une ambiance sur le plateau et sur l’écran de télévision. Elles associent l’action syndicale organisée à une action violente et destructrice. Elles constituent en soi une disqualification du mouvement contre la loi El Khomri. Pour rappel, et Jean-Luc Mélenchon l’a signalé sur le plateau, 70% des Français considèrent que le gouvernement est responsable des « blocages » dont monsieur Pujadas voulait tant parler.

Pour Lenglet, Mélenchon = Le Pen

Plus perfide encore pour l’invité était une autre photographie. Elle est amenée par la séquence de François Lenglet, qui déclare, concernant les propositions de Jean-Luc Mélenchon : « “Souverainté”, “frontières”, c’est quand même des mots qu’on entend plutôt dans l’extrême droite et qui jusqu’ici n’étaient pas du tout dans votre vocabulaire. On dirait du Le Pen dans le texte ».

Quelle image passe pendant cette séquence ? Le Pen et Mélenchon qui se serrent la main. Bien trouvé non ? Cette image date de 2012 alors que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen allaient être face à face sur un plateau de télévision de France 3 dans le cadre d’un débat pour les élections législatives. On y voit Jean-Luc Mélenchon pris en contreplongée, la bouche ouverte, tenant un dossier : il a l’air ravi d’être là, n’est-ce pas ? Et bien voilà la photographie qu’avait l’invité de DPDA face à lui pendant que Lenglet lui posait sa question. Mélenchon = Le Pen, une manipulation classique du monde médiatique souvent relevé sur ce blog ou sur l’OPIAM.

François Lenglet, ou la corruption du débat dans Des paroles et des actes

Des tweets choisis innocemment ?

C’est l’une des dernières séquences de l’émission, celle de Karim Rissouli. Le chroniqueur sélectionne de manière supposément neutre et objective quelques tweets pour les passer à l’écran ou les citer. La séquence est censée s’organiser en trois temps : premièrement les tweets positifs, deuxièmement les tweets négatifs, troisièmement les « temps forts » de l’émission. Or, à bien y regarder, la séquence a quasi exclusivement été composée de tweets négatifs passés à l’écran.

Les tweets sélectionnés

Dans le détail, il n’y a eu qu’un tweet réellement positif sélectionné par Karim Rissouli… Et il n’a pas été passé à l’écran ! Le voici : « Quelle que soit l’opinion de chacun sur Mélenchon, il faut bien reconnaître que c’est l’orateur le plus doué aujourd’hui en France ». Dans la catégorie des tweets dits « positifs », le seul passé à l’écran est le suivant : « “Permettez, vous venez avec vos questions je viens avec mes réponses”. Comme un parfum de George Marchais. #DPDA »… Autant dire que suivant qu’on aime ou pas le personnage, il peut être perçu soit positivement, soit négativement…

Concernant les tweets négatifs, en revanche, la sélection est généreuse et systématiquement passée à l’écran. Voici les trois tweets sélectionnés :

« #Mélenchon parle de lui à la 3e personne… Mégalo… #DPDA #JeNeSoutiensPasLaGreve »

« Dans un tel climat Mélenchon pourrait juste essayer de se montrer moins hargneux ! Certaines de ses idées passeraient peut-être mieux #DPDA »

« #Mélenchon est insupportable dans sa haine des journalistes ! C’est dommage, il pourrait être bon ! #DPDA »

Conclusion : trois des quatre tweets choisis pour cette séquence servent à taper sur Mélenchon. Au total, sur les huit tweets montrés sur l’ensemble de la chronique de Karim Rissouli… six sont franchement négatifs, un est neutre (celui sur Cosse) et un est lu différemment suivant qu’on aime ou pas Georges Marchais (et est incompréhensible si on ne sait tout simplement pas qui c’est). Neutre et objectif.


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