L’esprit d’entreprise s’insinue dans les jeunes cerveaux

jeudi 25 août 2016.
 

Mini-entreprises dans les collèges et lycées, statut «  d’étudiant entrepreneur  », sensibilisation de tous les étudiants à l’entrepreneuriat... Mais que vient donc faire le monde de l’entreprise sur les bancs de l’école  ? Insertion professionnelle ou bourrage de crâne  ?

« Il y a encore quelques années, dans la fonction que j’occupe, il n’était pas si simple de dire qu’il fallait mettre notre système d’enseignement, l’université, les filières professionnelle au service de l’économie.  » Le débit de paroles, volontairement hésitant, n’enlève rien à la clarté du message adressé par François Hollande à la communauté éducative, le 2 mai dernier, lors des Journées de la refondation de l’école du ministère de l’Éducation nationale. En clair, les portes de l’école sont désormais ouvertes au monde de l’entreprise. Et ce sont les entreprises qui fournissent les clés pour transmettre au plus grand nombre l’esprit d’entreprendre et les valeurs de l’entrepreneuriat.

L’entrepreneuriat, donc. Le néologisme a fait son entrée dans le Petit Larousse en 2002 ; dix ans plus tard, dans le Petit Robert. C’est aussi à cette période que ce mot a fait son apparition dans les cours d’école et les campus universitaires. Au moment précis où, comme l’explique la sociologue Lucie Tanguy (lire notre entretien ci-contre), les gouvernements, celui de François Hollande prenant le relais de celui de Nicolas Sarkozy, ont décidé que l’éducation était aussi l’affaire des entreprises. «  Depuis environ deux décennies, l’État a recours à des associations pour mener des actions qu’il ne peut ou ne veut pas mener. Parmi celles-ci “Entreprendre pour apprendre” (EPA), dont l’objectif déclaré est de “favoriser l’esprit d’entreprendre des jeunes et développer leurs compétences entrepreneuriales”.  » Lucie Tanguy, sociologue, directrice de recherche honoraire au CNRS, précise que cette association, membre d’un vaste réseau international, est engagée dans «  une véritable cause militante dotée d’un manifeste des entrepreneurs, intitulé  : le «  Le New Deal, c’est maintenant  ». Ce texte déroule un programme politique d’obédience radicalement libérale (redéfinir le Code du travail, réduire les dépenses publiques, etc.). La loi El Khomri et son monde, en quelque sorte. Certains étudiants sont entrepreneurs à plein temps

Dans le secondaire, «  l’esprit d’entreprise  » a discrètement pris racine dans le premier socle commun de connaissances et de compétences institué sous l’ère Sarkozy. Le socle énumère les compétences que doivent acquérir les élèves à la fin de la scolarité obligatoire. Olivia Chambard, professeur agrégé en sciences économiques et sociales à l’université Paris-I, a observé le phénomène à tous les étages de l’éducation nationale. «  Tandis qu’au niveau européen, l’esprit d’entreprise est érigé en compétence de base devant être acquise par tous les élèves, le socle commun, lui-même inscrit dans le cadre de référence européen en matière d’éducation, ne mentionne qu’un pilier, situé en fin de liste, intitulé sobrement “Autonomie et initiative”.  » Toutefois, les dispositifs qui en découlent, à l’image des mini-entreprises du secondaire, ne laissent aucun doute.

L’entrepreneuriat est aussi entré dans les facs. Avec une définition à géométrie variable selon les filières et les établissements, constate la jeune sociologue. «  Dans les écoles de commerce et les cursus orientés vers la gestion, l’entrepreneuriat est clairement associé à l’économie et à l’entreprise. Il peut d’ailleurs y être enseigné comme une sous-discipline des sciences de gestion. Dans les écoles d’ingénieurs, les filières techniques et scientifiques, le discours est plus axé sur l’innovation. Enfin, il est assimilé à la créativité, à la réalisation de soi, à la conduite de projets associatifs ou dans le secteur de l’économie sociale et solidaire pour les littéraires et les étudiants en sciences humaines.  »

Héritière du mouvement de 1968, l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), dite la Rouge, devenue Paris Ouest-Nanterre-La Défense, a aussi pris le virage. «  Nous avons notre culture, notre histoire. Les valeurs d’autonomie, de créativité, d’innovation, nous les mettons en pratique. Nous accompagnons les projets des étudiants dans tous les domaines. Nous ne faisons absolument pas de business  », se défend Bernard Quinio, vice-président délégué à la formation. Sur le site Internet de l’université, «  l’esprit d’entreprendre  » a toutefois sa vitrine, louangeuse. On y lit qu’il permet «  d’avancer par soi-même, de passer de l’envie au projet, du projet à sa réalisation, de construire la réalité  ». Les enseignants sont invités à prévoir des séminaires «  Esprit d’entreprendre  » dans les emplois du temps de leurs étudiants. Cinq colloques sont déjà fixés. Le premier entraînera ses participants dans «  L’aventure entrepreneuriale  ».

Aux étudiants qui veulent créer leur entreprise, l’université propose le statut d’étudiants entrepreneurs. Un statut né en octobre 2013, dans le cadre du plan d’action gouvernemental pour l’entrepreneuriat des étudiants. Il comprend quatre mesures  : la généralisation des formations à l’entrepreneuriat et à l’innovation dans toutes les filières dès la licence, la mise en place de Pépites (pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat), la création d’un prix Tremplin entrepreneuriat étudiant , et un statut officiel d’étudiant entrepreneur.

À Nanterre, 52 jeunes ont conservé leur statut d’étudiant (Sécurité sociale, accès au restaurant universitaire, bourse, etc.), tout en ayant pris les manettes d’une entreprise. Certains sont entrepreneurs à plein temps. Ils sont accompagnés par Maixent Genet, le coordinateur du pôle entrepreneuriat du campus. «  Nous leur ouvrons des possibles. Il leur suffit d’exposer clairement leur projet et de montrer leur motivation pour être retenus. Les critères de rentabilité n’entrent pas en ligne de compte  », tient-il à préciser. Il quitte tout juste un atelier animé par un cabinet d’expertise comptable. «  Les participants ont bénéficié d’un coaching individuel  : une manière d’apprendre qui repose sur l’expérience, la pratique, le vécu, la pédagogie de projet  », raconte-t-il. Quand on l’interroge sur sa définition de l’entrepreneuriat, la réponse a tout du projet politique : «  La possibilité de se réaliser, de trouver sa place dans la société, voire de changer le monde à son niveau.  »

Une licence franco-allemande de gestion en poche et après un échec douloureux à l’entrée à la grande école de commerce qu’elle convoitait, Céline Zimmermann se concentre «  à 100 %  » sur son projet de création d’une entreprise de location de vêtements pour femmes. Un concept découvert lors d’un stage en Allemagne. «  Cela correspond à mes valeurs. Je propose une alternative à la consommation de masse. Avec mon entreprise, je résous un problème. Je fais changer les choses.  » En attendant, son statut d’étudiante entrepreneuse lui permet de disposer d’un bureau gratuit (financé par le département), de tuteurs et de formations express en finances, communication, etc. Pourquoi s’est-elle lancée dans la création d’entreprise ? «  Le goût du risque !  » répond-elle du tac au tac. Mais, concède-t-elle, «  si cela ne marchait pas, je ne perdrais qu’un peu d’argent. Mes parents, chez qui je vis, peuvent m’aider  ». Au fil des confidences, la jeune femme reconnaît que le chômage a pesé sur son choix. «  On nous en parle tout le temps, alors je me suis dit que j’allais créer mon emploi. Pour le moment, mon entreprise ne dégage pas de salaire. Si cela ne marche pas, je reprendrai mes études.  »

Le discours entrepreneurial glisse sur Léon Caquant, qui attend les résultats des épreuves du Capes. Si tout se passe bien, il enseignera l’économie. «  On nous présente l’entrepreneur comme le modèle désirable. Or la plupart des créateurs d’entreprise ou des autoentrepreneurs ne s’en sortent pas. Les autres avaient souvent un sérieux capital de départ. On construit des mythes pour que les jeunes ne désespèrent pas totalement. Certains tombent dans le panneau d’une fausse liberté. En fait, en rejetant le salariat, ils renoncent surtout à leurs droits.  »

Les syndicats patronaux, le Medef en tête, ont toujours considéré l’entreprise comme membre à part entière de la communauté éducative. «  Il ne faut pas en exagérer l’importance, même s’il existe un mouvement de fond en faveur d’un vision utilitariste des études et des valeurs de l’entreprise. On ne peut pas pour autant dire ce qu’il en sortira, analyse Olivia Chambard. Une chose est sûre, l’école est un outil formidable pour diffuser des valeurs, mais les jeunes peuvent se saisir de ces dispositifs pour les détourner.  »

Philippe hayat, une militant actif de l’entrepreneuriat Philippe Hayat, polytechnicien et diplômé de l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales), se définit comme entrepreneur. En 2007, il a créé l’association 100 000 entrepreneurs, très active dans le milieu scolaire. Dans ses écrits, il rejette l’enseignement général «  qui étouffe tout questionnement, empêche toute projection dans un avenir professionnel  ». En 2012, le gouvernement lui a confié une mission pour «  une véritable mobilisation entrepreneuriale en France  ».


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