Sous le choc (Clémentine Autain)

vendredi 22 juillet 2016.
 

Nos pensées terriblement émues sont à Nice, avec les victimes et leurs proches. Le bilan est si terrifiant… 84 morts et 18 blessés graves. Un camion a fendu la foule, l’homme au volant a tiré avec un calibre 7.65, des dizaines et des dizaines de personnes venues fêter le 14 juillet sur la promenade à Nice ont péri. Cet acte de terrorisme fait suite à ceux que la France a connus depuis les événements de Charlie Hebdo et l’hyper-casher.

Nous sommes en deuil, les drapeaux sont en berne, la tristesse et la colère ont gagné nos cœurs.

Ce matin, nous pouvons pleurer en (re)lisant Antoine Leiris, dont la femme est morte au Bataclan et qui a livré un récit poignant sur la perte de l’être cher et l’infernale vie dans ce moment de deuil avec son fils de dix-sept mois. « Alors non, écrit-il, je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu ».

Comprendre ne signifie pas justifier. Comprendre, c’est l’étape indispensable avant d’agir, c’est la seule voie qui peut conduire à une stratégie efficace. Des hommes et des femmes qui ont grandi dans notre pays, dans ce monde globalisé d’aujourd’hui, sont prêts à tuer et à mourir pour Daesh. Il faut prendre la mesure de cette articulation entre politique et spiritualité : ce qui est en jeu, c’est l’espérance, celle qui fait défaut dans notre époque contemporain où les grands idéaux semblent évanouis.

La demande de protection de la part de la puissance publique est légitime. Oui, il faut déployer des moyens inédits. Pour autant, soyons lucides, même l’Etat le plus policier du monde ne saurait venir à bout d’un tel mouvement destructeur. Ce n’est pas en plaçant des CRS à chaque coin de rue que nous empêcherons l’embrigadement d’un noyau de jeunes qui se jettent dans les bras d’un projet mortel. C’est au plus près des filières de recrutement qu’il faut agir, en développant les services de renseignement et les structures de socialisation.

J’ai reçu un prix de l’humour politique en postant un tweet, parmi d’autres, appelant à davantage de service public pour faire face à Daesh. La pensée dominante ne lasse pas d’être affligeante car le fond du propos n’a non seulement rien de drôle mais repose sur un parti pris qui mériterait d’être considéré car il est peut-être plus efficace que le tout sécuritaire tant vanté pour faire face au terrorisme.

Les personnes recrutées dans les filières djihadistes le sont par le biais de rencontres humaines. Leurs familles, leurs proches, se sentent souvent démunies quand apparaissent les premiers signes de l’embrigadement. La mise en place d’un numéro vert fut un premier pas mais si insuffisant pour aider les personnes qui voient l’un de leurs proches sombrer, pour identifier précisément les rouages des réseaux de recrutement qui se développent. Où sont les cellules d’écoute psychologique pour les familles touchées par l’embrigadement ? Les réseaux éducatifs et culturels, tournés vers la vie et la liberté, fondent comme neige au soleil à l’heure de la réduction des dépenses publiques. Dans certains territoires où de véritables poudrières intégristes prospèrent, ces moyens de la République font défaut, laissant la population dans une immense solitude. Dans notre modèle social historique, nous avons un potentiel qu’il faut exploiter et non démanteler. Vu de Sevran où j’ai entendu tant de témoignages d’alerte, je ressens cette urgence des moyens humains concrets dont il n’est nulle part vraiment question.

Nous sommes face à un défi immense, infernal, difficile. C’est avant tout à l’échelle internationale que des pistes stratégiques doivent être imaginées. Notre force, ce n’est pas la haine mais l’amour de la vie, de la liberté, de la démocratie.


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