La banque connection au sommet de l’Union Européenne

mercredi 24 août 2016.
 

L’embauche de l’ex-président de la Commission européenne par la banque Goldman Sachs, qui a aidé à maquiller les comptes publics grecs et a inventé les « produits dérivés » à l’origine de la crise des subprimes, ne sort pas de nulle part. Revue de détail d’un système où la collusion entre élites politiques et financières est devenue la norme.

L’annonce, le 8 juillet dernier, de l’arrivée au sein de la sulfureuse banque d’affaires américaine Goldman Sachs de l’ex-président de la Commission européenne de Bruxelles José Manuel Barroso (2004-2014) avait suscité l’indignation. « Moralement inacceptable », avait déclaré François Hollande lors de son allocution du 14 Juillet. Mais Barroso n’est que l’arbre qui cache une forêt de collusions et d’arrangements entre la politique et le secteur privé. Un tiers des commissaires européens dont le mandat s’est achevé en 2014 ont trouvé un point de chute dans des entreprises, à l’instar de Neelie Kroes, ex-commissaire à la Société digitale devenue conseillère de l’entreprise Uber. Après s’être abstenus de tout lobbying pendant dix-huit mois, période pendant laquelle ils ont reçu une indemnité « de transition mensuelle », ces anciens commissaires ont pu donner libre cours en toute légalité à ce qu’ils appellent « la porte tournante », version moderne du pantouflage.

A) Les hommes de Goldman Sachs en Europe

Barroso n’est pas le premier dirigeant européen à partir bosser pour la gigantesque banque d’affaires américaine.

Avec son ton potache, la pétition, lancée par le site Internet Pantoufle Watch, n’a recueilli que 400 signatures mais, en demandant de rebaptiser l’Union européenne « UE-Goldman Sachs », elle tape juste. Car José Manuel Barroso, l’ex-président de la Commission entre 2004 et 2014, n’est vraiment pas le premier à aller manger de cette soupe avec une cuillère d’argent.

Romano Prodi, son prédécesseur à la tête de la Commission entre 1999 et 2004, avait été recruté pour conseiller la banque américaine entre 1990 et 1993, puis après 1997, sur les questions internationales.

Commissaire européen à la Concurrence entre 1985 et 1989, directeur général du Gatt puis de l’OMC de 1993 à 1995, l’Irlandais Peter Sutherland a, lui, été président non exécutif de la filiale européenne de la banque (Goldman Sachs International) entre 1995 et 2015. C’est ce thatchérien pur sucre que Barroso est appelé à remplacer au sein des instances de la banque américaine.

Mario Monti, commissaire européen au Marché intérieur, puis à la Concurrence entre 1995 et 2004, est devenu conseiller international de Goldman Sachs dès 2005. Aujourd’hui, après avoir dirigé un gouvernement « technique » en Italie entre 2011 et 2013, il est toujours dans le circuit des institutions européennes  : il reste « conseiller spécial » auprès de la commissaire au Budget Kristalina Georgieva en tant que président du groupe de haut niveau sur les ressources propres de l’Union européenne.

Mais c’est un autre Italien qui, à juste titre, concentre tous les regards  : Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE) depuis 2011, a été le vice-président de Goldman Sachs pour l’Europe entre 2002 et 2005. Nommé associé, il était chargé des « entreprises et pays souverains ». L’une de ses missions consistait alors à vendre aux États des produits financiers complexes, permettant notamment de dissimuler une partie de la dette souveraine, comme en Grèce. Mais Draghi a toujours dit tout ignorer de ces maquillages, ce qui a suffi à convaincre les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro…

La banque américaine spéculait sur les marchés en vue d’une faillite de la Grèce

Ex-membre du directoire de la Bundesbank et chef économiste de la BCE, l’Allemand Otmar Issing a aussi été conseiller de Goldman Sachs. En 2010, il avait été pris la main dans le sac  : il avait publié une virulente tribune dans le Financial Times contre tout plan de sauvetage de la Grèce, en dissimulant ce ménage grassement rémunéré, alors que la banque américaine spéculait sur les marchés en vue d’une faillite du pays…

En Grèce, Goldman Sachs a pu compter également sur d’autres employés  : l’économiste Lucas Papademos qui, après avoir participé au maquillage des comptes publics sous sa houlette à la fin des années 1990 en tant que gouverneur de la Banque centrale hellénique, a été premier ministre en 2011-2012  ; et son ex-trader Petros Christodoulou qui, en 2010, devient patron de l’agence de l’organisme de la gestion de la dette publique grecque.

On le voit avec Barroso, l’idylle entre les dirigeants de l’Union européenne et Goldman Sachs n’est pas que du passé… La Commission dirigée par Jean-Claude Juncker compte encore un ex de la banque américaine  : figure de l’implantation du programme d’austérité dans son pays en 2011, le Portugais Carlos Moedas, commissaire à la Recherche, la Science et l’Innovation depuis 2014, a également travaillé chez Goldman Sachs au début des années 2000.

Thomas Lemahieu

B) Des scélérats très concrets

Balzac rêvait d’hommes politiques qui soient des « scélérats abstraits »… José Manuel Barroso a, lui, le sens du concret. Sonnant et trébuchant.

Balzac rêvait d’hommes politiques qui soient des « scélérats abstraits »… José Manuel Barroso a, lui, le sens du concret. Sonnant et trébuchant. L’ancien président de la Commission européenne, après avoir laissé la banque Goldman Sachs mettre en coupe réglée la Grèce, avoir conseillé le gouvernement de droite pour truquer les comptes nationaux et avoir spéculé sur la dette souveraine, s’est niché dans sa direction. Oubliée, la crise financière de 2008, qui avait révélé le rôle toxique d’un des premiers groupes financiers au monde  ! La morale est un handicap de pauvre et n’encombre pas ces hauts personnages qui défendent les profits des multinationales tout autant lorsqu’ils tiennent les rênes politiques que lorsqu’ils siègent dans les conseils d’administration. Un banquier français devient ministre des Finances, un ex-chancelier allemand prend en main les pétroles de Poutine, un premier ministre danois et ancien secrétaire général de l’Otan copilote ensuite Goldman Sachs… Les uns maquillent le sens de leurs choix à la tête des pays, les autres engrangent les fruits des pillages, avant d’échanger les rôles. Ce ne sont plus des dérives, c’est un système, le capitalisme mondialisé, qui prend ses aises à Davos, se concerte dans le groupe de Bilderberg et se croise l’été dans les palaces et sur les yachts.

D’accord, José Manuel Barroso est coupable. Mais d’une simple maladresse aux yeux des dirigeants européens. Les mêmes qui se sont fendus de communiqués jugeant l’affaire « moralement inacceptable » n’ont pas haussé le sourcil quand d’autres cas – nous en donnons des exemples dans ces colonnes – sont passés inaperçus. Là, ça fait un peu désordre, et c’est bien embêtant alors que Goldman Sachs et son président à l’international vont avoir à gérer le Brexit pour en extraire les plus juteux profits. Un scandale chassera l’autre, espère-t-on à Bruxelles, Berlin ou Paris, avant de prêcher à nouveau l’austérité et la déréglementation du travail. Tout cela a des parfums louis-philippards. Furieusement rances.

Par Patrick Apel-Muller

C) Barroso. Une nomination symbolique d’une Europe au service des marchés financiers

La banque d’affaires américaine Goldman Sachs a annoncé vendredi avoir engagé l’ancien président de la Commission Européenne José Manuel Barroso pour la conseiller après le réusltat en faveur du Brexit du réféendum britannique. José Manuel Barroso occupera les fonctions de président non-exécutif de Goldman Sachs International, branche internationale du groupe américain basée à Londres, et de conseiller de Goldman Sachs, a précisé la banque.

La décision des Britanniques de quitter l’UE, prise lors du référendum du 23 juin, a provoqué un accès de panique sur les marchés, les investisseurs redoutant l’incertitude qui en découle et les conséquences du Brexit sur l’économie. Les grandes banques américaines, qui ont d’importantes activités dans le centre financier de Londres, s’inquiètent des conséquences de cette sortie britannique pour leur accès au marché unique européen.

"José Manuel Barroso va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs, et notamment une profonde compréhension de l’Europe. Nous sommes impatients de travailler avec lui alors que nous continuons à aider nos clients à évoluer au sein d’un contexte économique et de marché incertain et délicat", ont déclaré Michael Sherwood et Richard Gnodde, co-directeurs généraux de Goldman Sachs International. Premier ministre du Portugal de 2002 à 2004, M. Barroso a occupé la présidence de la Commission européenne de 2004 à 2014, période durant laquelle l’Europe et le monde ont été secoués par la grave crise financière de 2008. Goldman Sachs International, dont Barroso va prendre la présidence, a son siège à Londres, où sont basés moins d’un millier de ses 6.000 salariés. "Évidemment, je connais bien l’UE et relativement bien aussi le contexte britannique. Si mes conseils peuvent être utiles dans de pareilles circonstances, je suis prêt à aider", a-t-il commenté Barroso dans le Financial Times.


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