Aux funérailles de Georges Séguy

mardi 23 août 2016.
 

Ce jeudi je me trouvais aux funérailles de Georges Séguy. Je pensais que c’était ma place pour manifester la présence de toute notre ample famille politique au-delà des appartenances singulières. Séguy était membre du PCF, certes à sa façon personnelle, mais d’une manière totalement fidèle et loyale.

Mais il était bien davantage encore pour beaucoup de gens et dans de nombreux registres humains. J’avais présent à l’esprit les responsabilités qu’il a eu à prendre dans des moments cruciaux de l’histoire de notre pays.

À mes yeux il est la figure quasi centrale de Mai 1968 quoique je n’ai pas l’intention de minoriser les autres composantes syndicales et de la jeunesse de ce moment.

Pour le comprendre il faut admettre l’idée que ce mois-là fut celui de dix millions de travailleurs en grève avec occupation de leurs usines très souvent, et non le monôme étudiant que Daniel Cohn Bendit prétend avoir dirigé. Séguy avait de très rudes décisions à prendre. Il ne lui fallait aller ni trop au-delà du point à partir duquel les masses ne pourraient aller, ni en deçà pour ne pas démoraliser le mouvement. Les ouvriers de Renault lui crièrent de ne pas signer les accords de Grenelle. Il ne signa pas. Il s’en remit à ce que le mouvement était prêt à faire. Son choix fut le bon comme on le vit ensuite. Car les comités de grève ne se fédérèrent pas comme certains l’auraient cru ou voulu.

Dans le monde d’alors, celui des deux blocs, en pleine négociation sur la paix au Vietnam, une erreur d’évaluation du rapport de force aurait pu déboucher sur un drame.

Il resta de cette immense mobilisation une énorme moisson de conquêtes salariales et sociales. Mais surtout aussi un élan qui contraint le PS à se refonder et à signer le programme commun que proposaient les communistes depuis Waldeck Rocher. 13 ans plus tard c’était mai 1981 et une nouvelle moisson de conquêtes sociales et politiques. L’onde de choc du mouvement social avait rencontré un projet politique fédérateur. A méditer.

Pour ma part je pensais à cela et je constatais combien mon point de vue avait évolué depuis cette époque où le jeune homme que j’étais pensait que le mouvement avait été stoppé du fait de chefs syndicalistes trop prudents. Mener le combat en première ligne oblige au sens de la responsabilité collective : il faut être économe des forces des autres et prudent dans son usage. Pour nous les erreurs de stratégie peuvent être catastrophiques pour de longues périodes.

Autre chose que je veux partager avec mes lecteurs. Georges Séguy avait été déporté au camp de concentration de Mathausen Il avait 16 ans. Il portait le triangle rouge que les nazis mettaient aux militants de gauche et syndicalistes. Il réchappa. Mais de ce lieu qui aurait pu lui faire perdre toute confiance dans l’humanité en voyant de quelle horreur elle était capable dans tous les aspects de la déportation d’alors, il ressortit comme un militant voué au bien commun, à la solidarité caractéristique du syndicalisme.

Dans ce petit cimetière du Loiret, au milieu de ses vieux camarades et de sa jeune parentèle, je voyais s’ajouter au défi et à l’énigme de la mort celui de l’altruisme irrépressible que les humains peuvent aussi porter en eux contre vents et marées, en dépit de tout et malgré tout. Je voulais vous inviter à y penser dans ce moment glauque que nous vivons. L’exemple de Seguy nous apprend à ne pas désespérer sur l’essentiel.

Ensuite on passa au casse-croute chez mes amis Cathy et Jerome Schmitt, syndicalistes eux aussi, militants politiques eux aussi. Eux se comptaient parmi les amis personnels de Georges Séguy. Les jeunes gens à table promirent d’entrer plus avant dans la lutte. Je crois bien qu’ils vont le faire. Et ce jour gris et pluvieux a bien fini puisqu’il commence ainsi un nouveau chapitre quand bien même la main qui tenait le stylo est-elle partie.

Jean Luc Mélenchon


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