Retrait du projet "d’évaluation" des personnels enseignants !

vendredi 9 septembre 2016.
 

Le mirage de la "revalorisation" : Retrait du projet "d’évaluation" des personnels enseignants !

La mise en place de la loi de "refondation" de l’école (2013) impose la redéfinition du métier d’enseignant en "missions". Le décret sur les obligations de service de 2014 a permis de rendre "contrôlables" par le chef d’établissement toute une série de tâches en plus des heures d’enseignement devant élèves, ouvrant ainsi la porte à une redéfinition totale du métier. Le gouvernement prévoit une nouvelle évaluation des personnels enseignants avec laquelle il entend aller jusqu’au bout de la refonte totale du système d’enseignement. À la clé, il y a la destruction du métier et des garanties statutaires.

Bienfaits des compétences

Une "politique des ressources humaines"

Cette réforme de l’évaluation associée à une modification des rythmes d’avancement et à un mirage de revalorisation salariale s’inscrit dans l’application du protocole sur les Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) : l’objectif est d’instaurer de véritables outils de ressources humaines.

Les négociations engagées par le gouvernement en juin-juillet se sont tenues sur la base des documents transmis aux directions syndicales : ils définissent clairement cette nouvelle évaluation.

Des enseignants évalués sur neuf compétences

Aujourd’hui, l’évaluation des enseignants du secondaire comporte un rapport d’inspection et une note pédagogique sur 60 attribuée par le corps d’inspection (suite à l’observation d’une séance d’enseignement disciplinaire) ainsi qu’une note administrative sur 40 attribuée par le recteur sur proposition du chef d’établissement (établie à partir de trois critères : ponctualité-assiduité, activité-efficacité, autorité-rayonnement) accompagnée d’une appréciation littérale sur la "manière de servir".

Le "projet de grille d’évaluation professionnelle" de tous les enseignants présenté par le Ministère, comporte neuf compétences dont une seule fait référence à la "maîtrise des savoirs disciplinaires et leur didactique" ; les autres sont liées aux objectifs de la loi de refondation, notamment :

- prendre en compte "la diversité des élèves", favoriser "l’apprentissage et la socialisation des élèves", - "coopérer au sein d’une équipe", "contribuer à l’action de la communauté éducative", - "agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques", - "s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel".

Dans le second degré, certains critères seraient évalués par l’inspecteur, d’autres par le chef d’établissement, d’autres encore par un tandem inspecteur-chef d’établissement…

De plus une appréciation générale des évaluateurs reposerait sur trois niveaux. L’enseignant "s’inscrit dans une démarche progressive de progression de compétences" ; il "répond aux attentes de son métier et de l’institution (compétence conforme aux attendus)" ; "implication, compétences reconnues par les pairs de l’institution". Un espace serait réservé aux "observations de l’enseignant". Et l’appréciation finale portée par "l’autorité académique" se ferait selon quatre niveaux : "à améliorer", "bon", "très bon", "excellent".

Alors que l’opposition des enseignants s’est largement exprimée contre la "refondation" (rythmes scolaires, "réforme du collège" et sa prolongation au lycée), cette évaluation des "compétences" impose l’accroissement de la charge de travail, la docilité des personnels et une application stricte de la "réforme" Peillon.

Des "négociations" totalement cadrées

Le document de "cadrage" appliquant les PPCR à l’enseignement fixe les objectifs : "La rénovation de la carrière des personnels enseignants qui repose notamment sur l’instauration d’une cadence unique permet de modifier les finalités de l’évaluation professionnelle avec l’objectif d’en faire un véritable outil de politique de ressources humaines (…). L’évaluation doit permettre de plus et mieux faire participer les personnels d’inspection et, dans le second degré, les personnels de direction au pilotage pédagogique, à la formation continue, au suivi et au conseil individuels et/ou collectifs ainsi qu’à l’accompagnement des personnels enseignants dans le cadre de leur exercice et de leur parcours professionnels." (1)

Les pages 11 et 12 précisent les axes de la nouvelle évaluation. Sur cette base, trois groupes de travail intégrant les directions syndicales (grilles, 3e grade, évaluation) ont été mis en place le 1er juin 2016. En juillet, les négociations se sont poursuivies à partir de textes ministériels qu’aucune direction syndicale n’a alors publiés.

Les personnels ne doivent "découvrir" que le plus tard possible ce changement de paradigme qui disloque les acquis statutaires. Car chacun a en mémoire l’importante mobilisation contre le décret Chatel publié en mai 2012 et que Peillon avait dû abroger face au rejet unanime des syndicats. L’agence d’informations spécialisées (AEF) a publié ces documents de travail "Top secret" envoyés aux syndicats. Le SNUDI-FO des Landes y fait référence avec de larges extraits (2)

Des "entretiens" réguliers avec la hiérarchie

En plus des "quatre rendez-vous de carrière", l’enseignant devra se soumettre à un "entretien conduit à intervalle régulier" ("par le chef d’établissement dans le 2nd degré"). Le protocole PPCR prévoit en effet d’étendre à tous les corps la procédure de l’entretien contre lesquels se sont mobilisés les personnels administratifs. Dans les deux cas, l’enseignant devra présenter son "bilan professionnel" : un document qu’il devra réaliser et mettre à jour tout au long de sa carrière.

Ce bilan "devra permettre" (…) de faire participer les personnels d’inspection et de direction au pilotage pédagogique, à la formation continue, au suivi et au conseil, de reconnaître la valeur professionnelle des enseignants et d’identifier les enseignants à "fort potentiel" dans le cadre de la gestion de parcours de carrière pouvant déboucher sur d’autres missions/métiers/fonctions".

Il comportera 3 grandes parties :

"1. Le parcours professionnel. L’enseignant indique ses postes occupés avant et depuis l’accès au corps ainsi que les niveaux d’enseignement, les contextes sociaux économiques des élèves, le nombre d’élèves par classes.

2. Les perspectives d’évolutions professionnelles, de diversifications des fonctions : "missions de tuteur, de coordonnateur, de formateur, de formateur académique, (…) souhaits d’évolution professionnelle et de diversification des fonctions"…

3. L’appréciation des compétences mises en œuvre par l’enseignant dans le cadre de son parcours professionnel :

• Dans sa classe. L’enseignant décrit ses activités en contextualisant et personnalisant ses analyses au regard de sa pratique, en particulier sur les points suivants : mettre en œuvre les transpositions didactiques appropriées ; intégrer les enjeux et les problématiques de l’enseignement de sa discipline au regard des programmes et des référentiels ; développer les stratégies d’apprentissage afin d’accompagner tous les élèves et favoriser leur réussite (y compris l’usage du numérique) ; faire évoluer sa pratique professionnelle ; prendre en compte la diversité des élèves et s’assurer de l’adéquation des propositions pédagogiques ; prévenir et lutter contre le décrochage scolaire ; favoriser la transversalité des enseignements ; faire fonctionner le groupe classe et favoriser les situations d’apprentissage ; mettre en place les outils et méthodes d’évaluation des acquis des élèves ; former les élèves à une culture citoyenne.

• Dans une dimension collective. L’enseignant décrit sa participation à la vie de l’établissement et son implication dans les relations de l’école/établissement avec son environnement.

• Dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel. L’enseignant expose les moyens qu’il met en œuvre pour : compléter et actualiser ses connaissances scientifiques, didactiques et pédagogiques ; se tenir informé des acquis de la recherche afin de pouvoir s’engager dans des projets et des démarches d’innovation pédagogique visant à l’amélioration des pratiques ; réfléchir sur sa pratique et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action ; identifier ses besoins de formation et mettre en œuvre les moyens de développer ses compétences en utilisant les ressources disponibles" (2).

C’est une claire et nette soumission aux exigences de la "réforme" qui sera ainsi imposée de façon permanente.

"Accompagnement" des enseignants = mise sous tutelle

Pour le gouvernement, ce nouveau dispositif d’évaluation devrait permettre un "meilleur accompagnement" des enseignants : en fonction des résultats des "rendez-vous de carrière" ou des "entretiens réguliers", des accompagnements, individuels ou collectifs, pourront être imposés aux enseignants. Il s’agit ainsi d’une véritable mise sous tutelle des personnels. L’accompagnement individuel pourra "être initié, à tout moment de la carrière, par les personnels d’inspection et de direction, ou à la demande des personnels" et "les visites dans la classe constituent le vecteur central de l’accompagnement professionnel".

L’accompagnement collectif pourra "concerner l’équipe pédagogique d’une école, une équipe disciplinaire ou pluridisciplinaire d’un établissement du 2nd degré ou une équipe interdegrés d’enseignement (…) être mis en place à la suite d’une demande de l’équipe concernée ou sur proposition du chef d’établissement, du conseil pédagogique ou de l’inspecteur.

Il "pourra porter sur l’explicitation des réformes, la conception et la mise en œuvre de projets ou de dispositifs pédagogiques, sur l’évolution des pratiques pédagogiques, sur une aide à la mise en place de nouveaux programmes et à l’évaluation des acquis des élèves" ou "répondre à tout autre besoin exprimé localement".

Qui effectuera cet accompagnement ? Les inspecteurs, "relayés par les conseillers pédagogiques et par les professeurs des écoles maîtres formateurs, notamment dans le cadre de la formation continue", pour le 1er degré. "Les professeurs formateurs académiques, des professeurs intervenant en appui aux corps d’inspection et des tuteurs « repérés conjointement par l’inspecteur et le chef d’établissement » pour le 2nd degré. Il pourra aussi être fait appel "au potentiel de formation de l’Espé ".

L’organisation pédagogique des enseignements et le travail des enseignants seront ainsi mis sous tutelle du chef d’établissement. Et on note une hiérarchisation accrue des corps.

Diviser les personnels, les mettre en concurrence

Ces évaluations seront également utilisées pour l’avancement des enseignants, lequel est modifié : le gouvernement annonce un seul rythme d’avancement avec des "accélérations" possibles au 6e et au 8e échelon, ainsi qu’un troisième grade.

Les 4 rendez-vous de carrières auront lieu : aux 6e et au 8e échelon (pour permettre à 30% d’avancer plus vite), pour l’accès à la hors classe et au 3e grade.

La hors classe ne sera pas automatique et ne sera accessible qu’après le 9e échelon.

Le troisième grade ("classe exceptionnelle") débouchant sur une "hors échelle" sera contingentée (10% de l’effectif d’un corps en 2023). 80 % des promus le seront selon le poste occupé (éducation prioritaire, enseignement supérieur ou post-bac, directeurs d’école, chefs de travaux, conseillers pédagogiques, formateurs) et les autres selon le "parcours" professionnel. Jusqu’à présent, les choix professionnels, le poste occupé, n’avaient pas de répercussion directe sur l’avancement (l’exercice de certaines fonctions permettait tout au plus d’obtenir une meilleure note et d’accélérer l’avancement ou l’accès à la hors classe).

C’est un véritable changement de système qui est ainsi introduit : le "mérite" déterminera le déroulement de carrière créant l’individualisation et la division entre les personnels, avec une hiérarchisation accrue dans les corps.

"Aujourd’hui, pour les PE et certifiés, l’écart entre l’échelon le plus faible et le plus élevé est de 434 points. En 2020, 582 points sépareront les débutants des "meilleurs". (F. Jarraud, Café pédagogique, 31/06/16). Et pour les professeurs d’école, se pointe à la fenêtre ce que la grève massive des PE avait évacué en 1987 : des "maîtres directeurs" ayant autorité sur leurs collègues.

Mirage de la "revalorisation" des grilles

Le gouvernement annonce 21 points d’indice supplémentaire en moyenne pour chacun (environ 100 euros par mois). Les analyses syndicales révèlent une pseudo-revalorisation.

Parmi ces 21 points, 9 points proviennent en effet de la transformation d’une partie des indemnités (ISOE, ISAE), ce qui n’augmente pas le salaire. (Cela bénéficie un peu aux collègues qui vont partir à la retraite mais ne compensera pas les nouvelles ponctions sur les pensions).

Les 12 autres points d’indice sont annulés en partie par l’augmentation de la retenue pour pension, et financés pour une autre partie par les économies faites sur le dos des personnels par le blocage de la valeur du point d’indice depuis 2010. Et il faut ajouter à cela l’allongement de la durée de carrière induite par ces nouvelles grilles.

Cette reconstruction des grilles, des professeurs des écoles (PE), des certifiés et des agrégés permettra, à une étape suivante, d’instaurer le système du cadre d’emploi (par exemple, des enseignants polyvalents à qui l’administration pourra imposer, selon les besoins d’enseigner en primaire ou au collège).

Le blocage du point d’indice de fait maintenu

"De 2000 à 2014, le traitement net d’un enseignant a perdu deux mois de sa valeur en euros constants" ; "le salaire réel des enseignants diminué d’environ 10% depuis 2000". "Dans les années 1980 : un enseignant gagnait 2 fois le Smic en début de carrière, et 1,3 fois le Smic aujourd’hui." (L’Université Syndicaliste, septembre 2015).

De source syndicale, il faudrait 8% d’augmentation de la valeur du point d’indice pour le mettre au niveau de 2010. Or, depuis 2010, les prix ont augmenté de 10% (indice INSEE). Et les 1,2% accordés en deux fois (juillet 2016, avril 2017) sont bien loin de faire le compte : cela représenterait de 14 à 22 euros par mois, ce qui ne compense même pas les 2,09% d’augmentation des cotisations pour pension initié il y a six ans et va passer à 11,1% en 2020 pour parvenir au même taux de prélèvement que le secteur privé.

Et le 13 juin, aux fédérations de fonctionnaires qui souhaitaient une nouvelle discussion sur les salaires, le gouvernement répondait qu’il "doit tenir compte des équilibres à préserver quant à l’évolution des rémunérations de la Fonction Publique..." !

Appuyé sur les "négociations" d’application du protocole PPCR, il a en effet décidé de subordonner l’augmentation du point d’indice aux "indicateurs macro-économiques", ce qui permet de maintenir le blocage.

Un projet ni négociable, ni amendable

Suite aux "négociations", le gouvernement prévoit de modifier profondément les décrets statutaires de 1972.

On passerait de la gestion administrative de la fonction publique de carrière (avec des règles statutaires strictes, limitant la concurrence) à une "Fonction publique d’emploi", l’avancement, la paye variant selon le poste occupé et "l’engagement" (dans la mise en œuvre des contre-réformes). Cette individualisation des carrières liée au nouveau type d’évaluation (liste de compétences, rendez-vous de carrière, entretien…) caractérise le "nouveau management", la "véritable politique des ressources humaines" prônée par le gouvernement. Cela entre en cohérence avec le Compte personnel d’activité : ce dispositif essentiel de la loi Travail qui doit aussi s’appliquer aux fonctionnaires (3).

En 2011 la mobilisation et le rejet unanime des syndicats avait permis imposer l’abrogation du décret Chatel sur l’évaluation et l’entretien. Dans la droite ligne du soutien apporté à la "réforme Peillon" en 2013, les directions syndicales en acceptant de participer aux concertations et négociations du gouvernement apportent la caution du syndicat à ces projets inacceptables. Car la modification des grilles et la nouvelle évaluation font partie d’un projet global et cohérent. Les personnels seront mis en concurrence au quotidien, incités à faire valoir auprès de leur supérieur les "missions" et "activités" réalisées dans l’équipe, dans l’établissement et en dehors. Et cela conduira à entraver durablement les possibilités de mobilisation.

Le report à septembre-octobre des conclusions qui devaient être publiées fin juillet provient manifestement des difficultés à "faire avaler" de telles attaques.

Il y a donc urgence de prendre, dès la rentrée, des initiatives pour imposer aux directions syndicales qu’elles exigent le retrait pur et simple du dispositif gouvernemental. Cela implique d’exiger aussi l’arrêt immédiat des concertations et le boycott de toutes les structures de concertation.

Hélène Bertrand, 15 août 2016

(1) Application des PPCR à l’EN : http://cache.media.education.gouv.f... (2) http://40.fo-snudi.fr/spip.php?arti... (3) Unité contre le CPA, mort annoncée du statut : http://www.emancipation.fr/spip.php...

Rappels d’informations sur le site : http://69.emancipation.fr/spip.php?...

Le 25/08/16, Acteurs publics dévoile l’essentiel des nouveaux principes de l’évaluation présentés le 23 août aux recteurs d’académie et annonce la tenue de 3 réunions avec les syndicats (14, 15, 16 septembre). Le 27/08/16 la direction du SNES publie deux des fiches remises aux syndicats le 12/07/16 (à noter que les critères d’évaluation par compétences et le modèle sur lequel devra être établi le bilan professionnel selon un futur arrêté n’y figurent pas).

Article publié dans le n°1 de la revue L’émancipation syndicale et pédagogique


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message