Soudan : libéralisme et charia

mardi 27 septembre 2016.
 

Sous pression des Occidentaux, une partie de l’opposition soudanaise vient d’accepter le « dialogue national » avec le régime. Mais beaucoup de doutes subsistent sur les finalités politiques. Les Soudanais subissent la loi du libéralisme et celle de la charia. Reportage.

Le quartier de Mayo, dans le sud de Khartoum, existe-t-il vraiment  ? Les maisons en torchis, pas toujours droites, disent seules le dénuement du lieu. À perte de vue s’étendent des monceaux de détritus. Des femmes et des enfants aux vêtements déchirés s’y affairent pour y trouver des menus objets, voire des restes de nourriture – autant dire un trésor pour ces populations ayant fui les combats, les exactions et la disette du Darfour, des monts Nuba et des autres régions du Kordofan. Des sacs en plastique de toutes les couleurs, balayés par le vent, s’accrochent au moindre arbuste rabougri, les transformant ironiquement en sapins de Noël décorés de boules avariées qui dégoulineraient comme des barbes à papa. À quelques centaines de mètres, par contraste, se dresse le Saria Compound. De belles maisons en dur, fraîchement peintes et protégées de la meute de Mayo par de solides grilles dont les entrées sont filtrées par des gardes. Un remake soudanais du film Soleil vert, de Richard Fleischer, en quelque sorte.

En parcourant les « rues » de Khartoum, on n’a pas vraiment le sentiment de se trouver dans une capitale. Seules quelques artères – notamment celle menant au palais présidentiel – sont goudronnées. Pour le reste, on parlerait presque de pistes. Et en cette saison des pluies, autant dire que les déplacements se compliquent. C’est la réalité physique de ce Soudan soumis à un régime des plus drastiques, s’abritant derrière la charia (la loi islamique) pour faire régner un ordre économique et moral que n’aurait sans doute pas renié un Pinochet.

« Il y a un manque de moyens et de ressources... »

La crise économique frappe de plein fouet les populations déjà meurtries par les guerres dans les provinces du Darfour, du Kordofan du Sud ou Nil bleu. Une crise et des affrontements qui durent depuis des années et se sont aggravés avec la partition du pays en 2011, qui a vu l’émergence du Soudan du Sud. Le régime d’Omar Al Bachir est un des meilleurs élèves du Fonds monétaire international (FMI). Le secteur public, qui fournissait près de 90 % des emplois, il y a vingt-sept ans, lors de la prise du pouvoir d’Al Bachir par un putsch, n’est plus aujourd’hui qu’un auxiliaire économique. Le privé se taille la part du lion.

« Dans le secteur de la santé, la situation est vraiment difficile, témoigne Nahla Osman, une pédiatre qui travaille dans un hôpital public. Il y a un manque de moyens et de ressources. Par exemple, nous avons énormément de mal à trouver de l’oxygène, des instruments pour opérer et même des médicaments d’urgence. » Employé dans ce même hôpital de Khartoum, Masud Hassan dénonce « les bas salaires, les conditions de travail déplorables. Le problème est que les syndicats sont aux mains des partisans du pouvoir, il n’y a pas de démocratie à l’intérieur ». Masud et ses camarades essaient bien de faire signer des pétitions, voire d’organiser des grèves, « mais les leaders sont tout de suite arrêtés ».

L’ordre économique se juxtapose à l’ordre moral. Notamment avec une « loi sur l’ordre public » qui cible particulièrement les femmes. Une brigade spéciale sillonne la ville pour repérer les tenues vestimentaires. « Celles qui portent des manches courtes ou un pantalon sont immédiatement interceptées, certifie Adila El Zaibag, présidente de l’Union des femmes soudanaises. Elles n’ont même pas le droit d’avoir un avocat. Il n’est pas rare de les voir recevoir 40 coups de fouet en public. » Sans parler de ces femmes qui, par contraintes économiques – ce sont souvent des déplacées –, vendent du thé ou de la nourriture dans les rues. Des marchandes ambulantes comme on en voit souvent. Là encore, ce n’est pas de l’humeur de la police des mœurs qui intervient. « Elles sont souvent attaquées par les forces de l’ordre et doivent payer ce qu’on leur demande sous peine de voir leur matériel confisqué », ajoute Adila El Zaibag.

« La priorité est d’arrêter les guerres et fournir de l’aide humanitaire »

En 2014, Omar Al Bachir a lancé l’idée d’un « dialogue national ». Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et des millions déplacées ces dernières années dans les régions du Darfour, du Nil bleu et du Kordofan du Sud. Lors de négociations, en mars, à Addis Abeba, le gouvernement soudanais avait signé une feuille de route mais les principaux groupes rebelles avaient refusé d’apposer leur signature, ayant des réserves sur un certain nombre de points. Lundi, à l’issue de plusieurs jours de discussions dans la capitale éthiopienne, lors desquels ils ont reçu des assurances sur le fait que ces points seraient discutés, les groupes rebelles ont décidé de signer le document. « La priorité est d’arrêter les guerres et de fournir de l’aide humanitaire aux gens affectés » par les combats, a indiqué l’Appel du Soudan, une alliance regroupant plusieurs groupes rebelles et des partis d’opposition.

Le Parti communiste soudanais (PCS) n’est pas hostile au dialogue mais demande avant tout l’arrêt des hostilités, l’ouverture de corridors humanitaires, la libération des prisonniers politiques et l’annulation de toutes les lois liberticides. Il craint surtout que le régime n’utilise ce dialogue – soutenu par l’UE et les États-Unis, plus soucieux de l’environnement international que de la vie quotidienne des Soudanais – pour rester en place. « Je ne pense pas que ces négociations déboucheront sur une solution à la crise au Soudan, dans la mesure où, tenues sous la pression internationale, elles ne s’attaquent pas à la racine des problèmes », estime Khalid Tigani, du journal Elaff. Ahmed, un militant communiste, lui, rappelle le mandat de la Cour pénale internationale (CPI) contre Al Bachir pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour  : « C’est comme un jeu. Quand les Occidentaux veulent lui tirer l’oreille, ils ressortent l’affaire, histoire qu’il soit plus docile. »

Pierre Barbancey, L’Humanité


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