L’indépendance d’un journal ne se mesure pas seulement par son indépendance financière.

dimanche 13 novembre 2016.
 

L’esprit libre est sans prix.

Mediapart, en cette rentrée de septembre 2016, entame une campagne pour dénoncer la concentration des médias et notamment de la presse contrôlés ainsi par la toute-puissance d’une oligarchie financière. Mais l’analyse est incomplète.

Voici quelques liens illustrant cette démarche dont on ne peut qu’approuver le bien-fondé et la légitimité. Les propositions alternatives avancées pour remédier à cette situation concentrationnaire sont tout à fait intéressantes.

Article : Comment libérer l’information ? https://www.mediapart.fr/journal/ec...

Une vidéo YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=YA9...

On découvrira dans cette vidéo des ouvrages récents sur les médias rédigés par les intervenants.

Le livre Main basse sur l’information de Laurent Mauduit déjà présenté sur ce site. Avec la vidéo : : les milliardaires musèlent l’information en France https://www.youtube.com/watch?v=sOw...

Ouvrage de Reporters sans frontières : Médias : le shopping mondial des oligarques https://www.mediapart.fr/journal/cu...

Mais dans la manière d’analyser l’indépendance des journalistes, apparaît une très grosse lacune. En effet, l’indépendance nécessite que la propriété du média ne soit pas détenue par un groupe industriel ou financier mais cela ne suffit pas.

L’indépendance d’un média se mesure principalement, à mon avis, par sa capacité de permettre l’expression de citoyens, de représentants politiques proposant un système économique, social, culturel et politique alternatif (en rupture avec le système actuel) et ce, dans de bonnes conditions.

Cela suppose donc un pluralisme réel et non pas de façade où les seules alternatives pouvant s’exprimer seraient de type social-démocrate, keynésien, social–chrétien, par exemple Mais une telle pratique journalistique remet en cause les fondements même de l’oligarchie industrielle et financière qui domine notre société.

La liberté d’expression ne se réduit donc pas à la possibilité de dénoncer des scandales en tous genres (corruption, abus de pouvoir, mensonges de responsables économiques et politiques, fraude fiscale, etc.), de critiquer le comportement de tel ou telle responsable politique, de dénoncer les incohérences d’une politique économique intérieure ou extérieure, etc. de pointer du doigt des atteintes,par le pouvoir, aux libertés fondamentales ou encore de dénoncer toutes les formes d’injustice sociale, mais surtout de donner la possibilité aux usagers des médias, de penser qu’il est possible de construire une société alternative à la société actuelle. Cela suppose que l’on permette la liberté d’expression, sans cadenas, à ceux et à celles qui sont porteurs d’une telle alternative. Ainsi, l’indépendance d’esprit des journalistes doit compléter l’indépendance financière.

Cela suppose donc des journalistes fondamentalement et profondément attachés à la liberté de pensée, à l’intérêt général concernant les médias, jusqu’à remettre en cause si nécessaire ou mettre de côté, leurs propres cadres idéologiques et culturels issus de leur origine sociale, de leur formation, de leur environnement professionnel (du champ journalistique au sens de Bourdieu). Ces journalistes existent, mais ils sont extrêmement peu nombreux.

Pourquoi donc Mediapart ne mentionne-t-il pas cette condition fondamentale pour affirmer réellement l’indépendant journalistique ?

Tout simplement parce qne ce média ne la pratique pas lui-même.

Nous ne développerons pas en détails cette question que nous avons traitée dans deux articles précédents. Mais pour éviter toute accusation d’esprit partisan, je ne mentionnerai pas ici le cas Mélenchon. Il suffit simplement de constater que : Nathalie Arthaud, Philippe Poutou pour ne prendre que deux exemples connus n’ont jamais été invités par Mediapart (sur plusieurs années). On trouvera deux articles de rédaction concernant Nathalie Arthaud et quelques billets de blog, rien concernant Poutou.

Laurent Mauduit dénonce, à juste titre, le fait que les médias recrutent des commentateurs économiques qui ont travaillé dans des organes proches du patronat, mais des universitaires de haut niveau et marxiens comme Jean-Marie Haribey, Jacques Bidet, Gérard Duménil n’ont jamais été invités par Mediapart. L’économiste hétérodoxe Jacques Généreux n’a été invité qu’une seule fois mais aucunement pour présenter son livre "L’autre société" qui explique ce que peut être une société alternative à économie plurielle. Aucun des ouvrages des intellectuels précédents n’a fait l’objet de la moindre présentation. On pourrait évidemment citer de nombreux exemples de ce type.

Mediapart préfère inviter des intellectuels "moins radicaux", moins dangereux sans doute pour le système…

En réalité, Mediapart fait preuve d’un certain dogmatisme en s’enfermant dans son système idéologique (pour l’essentiel social-démocrate, gauche de la social démocratie) et ses préjugés.

Non, l’indépendance ne se mesure pas uniquement à l’aune de l’indépendance financière. Prenons un autre exemple. Supposons qu’une association religieuse intégriste (qu’importe ici la nature de la religion) décide de créer un journal numérique financé par ses lecteurs et quelques donateurs privés. Sans forcément se consacrer à un prosélytisme religieux, pourrait-on dire qu’un tel organe de presse serait indépendant ? Permettrait à toutes les sensibilités de s’exprimer ? On peut en douter. Pourtant un tel journal ne serait pas dépendant d’un groupe financier ou industriel.

Donc, bravo à Laurent Mauduit pour son ouvrage "Main basse sur l’information" qui est tout à fait utile mais il faudrait que ce journaliste prenne encore un peu plus de hauteur par rapport aux exigences qu’impose un journalisme haut de gamme radicalement pluraliste.

Dans une interview récente (05/07/2016) de Philippe Poutou par l’association Acrimed, titrée : "Philippe Poutou (NPA) : « Nous sommes dépendants du bon vouloir des rédactions »", ce sympathique représentant du NPA se plaint, à juste titre, que les médias préfèrent inviter Olivier Besancenot, regrettant ainsi une personnalisation de son parti dont il souhaite une représentation médiatique plus collective. Voir article ici.

Mais le fond du problème n’est pas là : il est nécessaire de dépasser ses intérêts de parti et de se poser plutôt la question : pourquoi les médias invitent très peu les représentants de l’Autre gauche qui sont ainsi marginalisés par les médias ? (LO, NPA, POI, Ensemble, PG, Alternative libertaire, NGS, PCF, …). On connaît la réponse : les médias écartent tous ceux et celles dont la pensée ne se plie pas aux cadres idéologiques du libéralisme sous toutes ses formes, c’est-à-dire qui sortent du système TINA Un média réellement indépendant, donc libre, doit permettre à ces courants politiques de pouvoir s’exprimer librement. Plus généralement, il doit permettre à tout intellectuel hors système TINA de pouvoir s’exprimer.

L’inexistence de grands médias privés et publics réellement indépendants donne malheureusement raison à une analyse marxiste pure et dure : globalement, la machine médiatique est un appareil de reproduction de l’idéologie de la classe dominante. Cela ne signifie évidemment pas que les médias se réduisent à cette seule fonction et qu’il n’existe pas ponctuellement des journalistes s’affranchissant du système Tina comme nous l’avons déjà expliqué dans un autre article. Cette action de reproduction est sophistiquée.

Annexe : liens Debonrivage

Mélenchon sur Mediapart : blogage et blocage http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Mediapart : le théâtre d’ombres du jeu politique pour une 6ème république. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Hervé Debonrivage


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