Soutien à Guillaume Vadot

mardi 4 octobre 2016.
 

C) Soutien à Guillaume Vadot

Layla Yakoub, Secrétaire Nationale responsable du Réseau Jeunes et Clément Fradin, responsable de la commission Enseignement Supérieur et Recherche

Le Parti de Gauche apporte tout son soutien à Guillaume Vadot, ATER à l’Université Paris-1 et militant politique.

Selon son témoignage, Guillaume Vadot, enseignant de science politique à la Sorbonne, a assisté le 27 septembre dernier à une scène de violence policière à la gare RER de Saint-Denis : des agents de police molestant une dame noire de 45 ans lors d’un contrôle d’identité. Comme il souhaitait enregistrer ces faits en vidéo sur son téléphone, les même agents de police s’en sont pris à lui en l’insultant et le molestant.

Entre autres horreurs homophobes et menaces de viol, les policiers auraient également professé des menaces envers les "gauchistes" de la communauté enseignante, notamment en citant la Sorbonne.

Guillaume Vadot a porté plainte auprès du parquet de Bobigny pour les faits suivants : abus d’autorité, violences volontaires aggravées, agression sexuelle aggravée, menaces, injures publiques et vol. Évidemment, nous ne doutons pas que l’enquête administrative en cours de l’IGPN déterminera l’enchaînement des événements et permettra à la version de Guillaume Vadot de subir autre chose qu’une mise en doute systématique.

Il est en effet tout à fait intolérable que sa parole ait été immédiatement remise en cause lorsqu’il s’est exprimé sur cet incident, alors même que le climat délétère entretenu par la prolongation ad nauseam de l’état d’urgence et la répétition des violences policières choquent toujours plus l’opinion publique et les citoyen-ne-s engagé-e-s.

Le Parti de Gauche suivra de près les développements ultérieurs de cette "affaire" supplémentaire et affirme son soutien à ce jeune camarade.

B) Train-train raciste à la gare du Nord (L’Humanité)

La gare du Nord est un sas entre Paris et la banlieue nord. Un passage obligé pour les jeunes des quartiers  : les étudiants qui rejoignent leur fac, les travailleurs filant au boulot ou les fêtards du samedi soir. De fait, c’est aussi un haut lieu de la stratégie policière de mise sous pression des populations issues de l’immigration. Gare du Nord, les contrôles au faciès ont pris une telle ampleur qu’ils ne surprennent même plus les Noirs et Arabes interrogés pour ce reportage. « Bah, évidemment que je me fais contrôler presque tous les jours. Me faire coincer par les keufs, c’est l’histoire de ma vie », raconte tranquillement Bilal, 35 ans, sur le parvis. Il vient de Maisons-Alfort et passe ici pour se rendre au travail  : « Je m’arrête sur le parvis pour fumer une clope, et boum  : “vos papiers  !”, ça ne manque presque jamais. » Nous sommes samedi midi. Une demi-douzaine d’unités (policiers, militaires et sûreté ferroviaire) tournent dans la gare. Si vous êtes blanc, pas de souci. Pour les autres, mieux vaut ne pas traîner ici.

«  Rase ta barbe, on dirait un musulman  »

Douglas, Karim, Théo et Diska ont entre 20 et 25 ans. Une équipe de potes, tous noirs ou arabes, qui vivent au Mans et transitent souvent par la gare pour aller voir familles et copains parisiens. « Ça part systématiquement en vrille. Les flics nous touchent les parties intimes et ils nous balancent des réflexions racistes. La dernière fois, c’était  : “T’es bien bronzé, toi  ! Tu reviens de vacances  ?” Et d’autres conneries du genre. » Théo et Diska évoquent l’obsession capillaire qui a saisi les agents ces derniers mois  : « Ils ont un gros délire sur les barbes  : “rase ta barbe, on dirait un musulman”, tu vois le genre  ? » Ces quatre-là sont tellement habitués à se faire serrer qu’ils n’en font pas scandale. « OK, j’avoue, lance Karim en riant et levant les mains en l’air. Des fois, on fume du shit. D’accord. Mais on vole pas, on deale pas, on n’est pas des terroristes. »

Ben a 16 ans. Il ne fume ni shit, ni clope. Ce jeune Noir sapé de frais est posé avec ses amis contre une balustrade, à deux pas d’un groupe de militaires. « Le truc chiant, c’est que c’est interminable, jusqu’à quinze ou vingt minutes. Ils nous palpent, nous fouillent et nous enchaînent de questions sur la nationalité  : “Vous êtes français  ?”, “Vous avez des papiers français  ?”, et ainsi de suite. C’est super agaçant. » En fait, Ben n’a pas de papiers. Mais, étonnamment, les contrôles qu’il subit ne se terminent presque jamais par une interpellation. « Ils veulent juste nous mettre la pression, en fait. Alors, on leur dit qu’on est des jeunes mineurs, qu’on n’a pas les papiers sur nous. On négocie et on finit par s’énerver. » Il dit n’avoir été traîné qu’une fois au poste de police de la gare, un local ceinturé de barrières inauguré par Bernard Cazeneuve en avril 2015.

La plupart des jeunes interrogés ce samedi précisent qu’un bon moyen de se dégager d’un contrôle d’identité est de faire un esclandre. « C’est clair que péter les plombs et se mettre à hurler, cela marche bien », confirme Ben. Preuve que ce n’est pas le comportement des Noirs et des Arabes qui est évalué par les policiers. Mais leur simple présence dans l’espace public. « Ils contrôlent la couleur de peau, les casquettes et les joggings, voilà », raconte Djamel, 21 ans. Il bosse ici, à la boutique Relay près des quais des TER. Et même lui se fait attraper plusieurs fois par semaine. « Je sais, ça a l’air dingue, sourit-il. Ils me coincent quand je sors fumer une clope ou quand je vais aux toilettes. » Il plaisante  : « Ils pourraient me reconnaître, à force. Mais, avec toutes les personnes qu’ils chopent, ils ne doivent pas me reconnaître. » Djamel travaille ici pour financer cses études à la fac. Il raconte les « petites phrases humiliantes » et le jour où « ils ont fait exprès de me retarder », alors qu’il quittait la boutique pour se rendre en cours.

Saïd, avec son gilet orange et son talkie-walkie, est agent de sécurité dans la gare du Nord depuis dix ans. Il observe les policiers, avec qui il entretient peu de contacts, et résume  : « Pour eux, les gens de couleur sont suspects de base et cela a empiré depuis les attentats. » Saïd ajoute  : « J’ai remarqué que quand il y a un Noir ou un Arabe dans l’équipe de policiers, cela change un peu les règles. Là, ils s’acharnent sur tout le monde. » D’après l’agent, les vendeurs à la sauvette postés à l’entrée de la ligne 4 sont parmi les plus exposés. Là-bas, on rencontre Dwam, un Bangladeshi fraîchement arrivé à Paris. Il vend des sachets de cacahuètes à deux euros pièce. « Cette semaine, c’était tous les jours, le lundi, le mardi, jusqu’à vendredi, raconte-t-il. Cela se finit au ­commissariat et parfois au dépôt. » Il semble épuisé, montre le gros sac de cacahuètes posé à ses pieds  : « Y a pas d’armes, là-dedans. Vous pouvez vérifier si ça vous amuse. »

Marina, une femme noire de 36 ans, attendait sur le quai du RER B. Elle, son quotidien, c’est la combinaison racisme-sexisme. « Je me fais contrôler quand je suis en jupe, voilà. La semaine dernière, pendant la canicule, je me suis fait arrêter par les CRS. Ils ont pris mes papiers, et là, ils ne se sont pas gênés  : “C’est bon, elle est française, elle est des îles”, avec leurs gros rires gras », raconte-t-elle d’un air dégoûté. Elle s’en est sortie en hurlant et en leur arrachant sa carte d’identité. « Gare du Nord, c’est la merde pour nous. Quand je donne un rendez-vous ici, je dis à la personne  : si tu as plus de cinq minutes de retard, je me casse. »

Mehdi Fikri

A) Témoignage de Christian Salmon, enseignant à Panthéon-Sorbonne

Il vient d’arriver cela à un collègue, nommé Christian Salmon, enseignant à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Une scène horrible et impensable il y a quelques années. Le discours anti-flic primaire me fatigue. Mais à un moment il faut ouvrir les yeux.

"Je sortais d’une gare de banlieue avec une copine, en fin de journée. Au moment de passer les tourniquets, on entend des hurlements. Pas un cri normal, mais un cri de douleur, intense, et l’on comprend immédiatement qu’il se passe quelque chose. Comme tous les autres à côté de nous, mon regard est capté par la scène qui se déroule sur notre gauche. Une femme noire d’une cinquantaine d’années est menottée, et c’est elle qui hurle que les menottes lui broient les mains, qu’elle n’en peut plus. Entre elle et le petit attroupement d’habitants qui s’est formé, une trentaine de policiers équipés, avec un chien d’assaut. Il y a la sûreté ferroviaire et la police nationale.

Les gens sont inquiets, l’ambiance est très tendue, tout le monde demande ce qui se passe, pourquoi ils torturent cette femme en pleine rue. La scène est marquante, elle ressemble à cet été après l’assassinat d’Adama, ou aux images de la mobilisation aux Etats-Unis : une rangée de policiers, face à une autre rangée d’habitantes et habitants noirs de la ville. Ces derniers sont clairs, ils n’ont aucune confiance. Un homme raconte comment son frère a été interpellé sans raison, mis en garde à vue et violenté. Les flics nous disent de « nous casser ».

J’avais peur pour la victime de cette interpellation, peur de cette scène raciste, je voyais la police déraper à tout moment. J’ai sorti mon téléphone pour filmer, en me disant que cela pourrait cadrer les choses, faire baisser le niveau d’impunité. Ça n’a pas duré plus d’une minute. L’un des flics m’attrape par l’épaule gauche et me fait pivoter : « celui-là on lui fait un contrôle d’identité ». Je demande pourquoi, il m’arrache mon téléphone. Je lui dis qu’il n’a pas le droit de le consulter sans mandat de perquisition.

Mais tout s’accélère : dès qu’ils ont réussi à me tirer de leur côté du cordon formé par leurs collègues, ils se mettent à deux sur moi, chacun me faisant une clé à l’un des bras. Une douleur énorme me traverse les articulations. J’ai les deux bras torsadés dans le dos, avec ces deux hommes dans des positions qu’ils ont apprises, qui pèsent de toute leur force pour me plaquer contre le mur. A plusieurs reprises, ils m’écartent un peu et me rebalancent, pour que je me cogne. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait juste de m’intimider et de me mettre à l’écart. Mais ils ne relâchent pas. J’ai le souffle coupé et je ne proteste plus, je me dis qu’ils vont m’embarquer pour « outrage » ou « rébellion », et sont en train de chercher à créer des faits de toutes pièces.

Le pire en réalité n’était pas la douleur. Les deux flics qui sont sur moi sont surexcités. Et ils se lâchent. Crânes rasés, les yeux brillants, j’ai du mal à croire que la scène qui suit est réelle. « On va te tuer, tu es mort, on va te défoncer, je te crève là sur place dans dix minutes ». Et au fur et à mesure que les cartilages s’étirent sous la torsion, ils remontent mes poignets dans mon dos, et augmentent la torsion. Celui de gauche me met la main sur les fesses. « T’as cru que t’allais jouer avec la police ? Regarde comme on va jouer avec toi ». Et il me met une première béquille. Puis il remet sa main sur mes fesses. Avec les clés de bras, je ne peux plus respirer normalement. Nouvelle béquille. « On va te violer, ça te plaît ça ? Je vais te violer et on va voir si après tu filmeras la police ».

Ça continue. « Tu soutiens Daesh c’est ça ? ». « Quand ils vont venir tu feras quoi ? Tu vas les sucer ? ». « Faudra pas pleurer et demander qu’on te protège ». Je n’ai réalisé que plus tard qu’ils étaient en train de parler de Daesh...pour justifier leur attitude face à une femme racisée qui avait oublié son pass navigo.

Ils ouvrent mon sac et prennent mon portefeuille, le vident dans mon dos. Ils me prennent mes clopes en me disant de m’asseoir dessus. Ils trouvent ma carte de prof précaire à la fac. « T’es prof ? Quand l’Etat islamique viendra à la Sorbonne tu vas les regarder en te branlant ? ». Celui de gauche : « Regarde-moi sale pédé. Sale pute. Tu habites là-bas hein ? (il montre mon immeuble). Je vais venir chez toi, je vais mettre une cagoule et je vais te violer ». Je suis vraiment abasourdi, je pense qu’il a répété les mêmes menaces une bonne vingtaine de fois en tout. J’ai affaire à des flics politisés, des flics de l’état d’urgence permanent, qui se vivent comme en guerre contre Daesh, un Daesh qu’ils assimilent à toute personne racisée, et avec qui j’aurais pactisé en me solidarisant de leur victime du jour.

Ils montent encore d’un cran. « Maintenant on va te mettre des coups de tazer, tu vas voir comment ça pique ». Et, toujours celui de gauche, m’envoie une décharge dans le bras. Je sursaute, et je me mets à trembler. J’essaie de ne pas le montrer, je ne dis rien, mais la pensée qui me vient à ce moment est que la situation va peut-être déraper encore plus. Qu’ils vont me faire une autre clé, ou me frapper avec leur tonfa avant de m’embarquer. « Tu vas crever ». « Je vais t’enculer ». Avec toujours les attouchements. Et la douleur est telle dans les bras, les épaules, le dos, que je me dis que je dois me préparer à ce qu’une de mes articulations lâche.

Derrière, j’entends la copine avec qui j’étais qui crie, qui leur dit de me lâcher. Je voudrais lui dire de laisser tomber. J’ai une boule au ventre : qu’est-ce que ces tarés lui feront s’ils l’interpellent ? Mais entre-temps, l’attroupement a probablement un peu grossi, et le groupe de policiers doit savoir qu’il ne peut pas faire durer indéfiniment la situation. Celui qui me torsade le bras droit me dit : « Il faut qu’on chope la meuf, on la charge pour appel à rébellion ».

J’entends qu’ils discutent entre eux. Un des deux hommes me lâchent le bras et me dit : « Tu regardes le mur, si tu te retournes, si tu bouges, on t’ouvres le crâne ». Je ne bouge pas. « On va venir à la Sorbonne, on va vous exterminer toi et tes collègues, sale gauchiste ». Puis ils me retournent et je me retrouve devant les yeux exorbités du flic qui me tenait le bras gauche. « T’es contractuel sale bâtard ? On va te faire un rapport salé, ta titu tu peux te la mettre ». Je ne dis rien. Ils m’appuient sur la poitrine. « Maintenant tu déverrouilles ton téléphone et tu effaces la vidéo ». Je m’exécute, en me disant que c’est dans ma tête et pas sur ces images de l’attroupement statique que ce qui vient de se passer est gravé. Il m’arrache l’appareil, et ouvre le dossier photo, commence à tout regarder.

Puis tout à coup, le reste de leur groupe charge les habitants qui s’étaient regroupés. C’est rapide et extrêmement violent. Je vois leur chien se jeter sur les gens, et eux avec les gazeuses et les tonfas. Tout le monde fuit, en panique, y compris les personnes âgées. Les deux policiers qui m’ont agressé me jettent mon portefeuille et son contenu à la figure et partent en courant. Je craint pour mon amie, je ne la vois pas. Mais je l’aperçois finalement qui revient, elle avait réussi à s’échapper. Rien à faire d’autre que rentrer chez nous, la rage au ventre, et tout le torse ankylosé et douloureux. Je me dis que cette police raciste serait allée encore plus loin si j’étais racisé. Un homme nous explique que c’est comme ça dans toute la ville depuis ce matin. « Vous voyez on ne fait rien, mais ils tabassent des gens au hasard pour susciter des troubles ». On se réconforte mutuellement, se souhaite bon courage. Il en faudra ; mais on n’en manque pas."


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