Le prix Nobel de littérature décerné au chanteur Bob Dylan

mercredi 19 octobre 2016.
 

A) Pourquoi Bob Dylan mérite le prix Nobel de littérature (Les Inrocks)

B) Bob Dylan, une poésie pour l’oreille

A) Pourquoi Bob Dylan mérite le prix Nobel de littérature (Les Inrocks)

Source : http://www.lesinrocks.com/2016/10/1...

Enorme et divine surprise : le prix Nobel de littérature a été décerné à Bob Dylan. C’est la première fois que cette suprême distinction récompense un chanteur, un choix qui suscitera peut-être les débats mais nous ravit.

Le Nobel de littérature attribué à Bob Dylan, c’est une nouvelle presque aussi sidérante que l’irruption de Like a Rolling stone dans les radios un jour de 1965. Les jurés de l’institution suédoise ont pris là une décision historique, renversante, qui fera peut-être jurisprudence et suscitera aussi son lot de polémiques. C’est la première fois qu’un troubadour reçoit cette distinction alors que d’immenses écrivains comme Philip Roth ou Don De Lillo attendent toujours leur tour. Précisons tout de suite qu’ici, aux Inrocks, ce prix nous comble.

D’abord parce que même si Dylan n’est pas officiellement étiqueté comme “écrivain”, s’il n’est pas un “professionnel de la profession” comme dirait Godard, nous le considérons nous comme un écrivain à part entière dès lors que le statut d’écrivain se mérite à partir du moment où l’on crée avec les mots, où l’on joue avec la langue, où l’on suscite images, pensée, émotions avec le verbe. Dylan a porté le verbe plus haut, plus fort et plus beau que n’importe quel chanteur et que beaucoup de plumitifs labellisés “écrivains”.

Que l’on pense à ses libelles politiques comme The Times They are a changin, Masters of War ou Hurricane, à ses contes et légendes folk comme Ballad of Hollis Brown ou The Lonesome death of Hattie Caroll, à ses déluges poétiques et baroques comme Like a Rolling Stone, Visions of Johanna ou Desolation row, à ses histoires d’amour ou d’amitié vipérines comme Positively 4th street ou Ballad of a Thin Man, à sa déclinaison du cut-up burroughsien qui préfigurait le rap (Subterranean Homesick Blues), à son retour vers les “stories” du folk et du blues ces quinze dernières années…

Jongleur de mots

Où que l’on regarde dans sa discographie océanique (et par delà sa musique et sa voix singulière qui ne sont pas le sujet ici), Dylan aura porté l’art textuel de la chanson à son degré le plus élevé de sens, de richesse et de sensations littéraires. Il a tout simplement révolutionné la chanson, ouvert en grand l’arc de ses possibilités, accordé un cerveau et un verbe au corps et aux tripes du rock.

Les jurés du Nobel ont sans doute été sensibles également à ses mémoires, Chronicles, extrêmement originales du point de vue de la structure (Dylan n’y raconte pas toute sa vie de façon chronologique mais choisit des périodes très segmentées de son existence qui ont revêtu une importance particulière à ses yeux) et dont le style est aussi cinglant, laconique et non sentimental que dans ses meilleures chansons.

Dans ce corpus littéraire dylanien, il n’y a jamais une goutte de pathos, pas un gramme de putasserie, jamais de coups de coude complice au lecteur, de même que sur scène, il n’a jamais souri ou tendu la main à son public. Toujours droit dans ses boots (de cuir espagnol ?), toujours vertical, toujours aussi mystérieux qu’un sphinx.

Nobel rock

L’autre raison pour laquelle ce prix nous ravit, c’est parce qu’il dépoussière le Nobel et donne un grand coup de boule dans les catégories académiques établies. Pour être reconnu comme œuvrant dans la littérature, et la bonne, pas besoin d’avoir publié dix livres, d’avoir eu d’autres prix littéraires, d’être reconnu par la critique spécialisée, d’être le poulain d’une grande écurie de l’édition, il suffit parfois d’être juste un chanteur, un barde, un rockeur, et de savoir jongler avec les mots. Dylan Nobel, c’est comme le verre moitié vide moitié plein : est-ce le rock qui se nobélise ou le Nobel qui s’encanaille ?

La gentrification ultime du rock ?

Certains verront là la mise en bière ultime du rock, sa gentrification terminale et on peut comprendre ce point de vue. Pour notre part, on préfère y voir le désenclavement de la sphère littéraire, le symbole fort du mélange polysémique des disciplines qui marque notre ère multimède et du chamboule-tout des hiérarchies du monde ancien. De ce point de vue-là aussi, “the times they are a changin” et c’est magnifique.

par Serge Kaganski le 13 octobre 2016 à 14h36

B) Bob Dylan, une poésie pour l’oreille

Le chanteur et compositeur Bob Dylan, 75 ans, qui vient d’être honoré du prix Nobel de littérature est une légende vivante de la musique populaire américaine du XXe siècle aux textes poétiques et engagés qui a influencé des générations d’artistes.

"Bob Dylan écrit une poésie pour l’oreille", a fait valoir jeudi la secrétaire générale de l’Académie suédoise des prix Nobel, Sara Danius. Du troubadour folk des cabarets de Greenwich Village à New York, à l’aube des sixties, jusqu’à la superstar décorée en mai 2012 par un de ses "fans", le président américain Barack Obama, Robert Allen Zimmerman de son vrai nom a toujours suivi son propre chemin de génie musical, rebelle et imprévisible. Ce petit-fils d’immigrants juifs russes né à Duluth (Minnesota) continue de promener son harmonica et sa guitare aux quatre coins de la planète même s’il s’est fait plus rare ces dernières années sur scène et dans les médias. Il s’est produit le week-end dernier et doit encore jouer vendredi au festival des légendes du rock Desert Trip, en Californie. Le chanteur des Rolling Stones Mick Jagger lui a rendu hommage et le guitariste s’est surtout mis au piano, terminant avec "Masters of War", son titre de 1963 sur les prémices de la Guerre Froide.

Bien qu’il n’ait signé qu’un petit nombre de grands albums après l’apothéose créative des années 1965-1975, il reste, au même titre que le tandem Lennon-McCartney, l’un des chanteurs-auteurs-compositeurs les plus influents de l’histoire de la musique, maintes fois recopié, jamais égalé. Dans sa jeunesse, à l’instar de la plupart des adolescents américains, Bob tombe sous le charme du rock avec Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avant de former son propre groupe.

En 1959, étudiant à l’Université de Minneapolis, il découvre les pionniers du blues, du country et du folk : Robert Johnson, Hank Williams et Woody Guthrie. A cette époque, il adopte le nom de scène de Bob Dylan. Abandonnant les études, il déménage à New York en 1961 pour fréquenter la scène musicale embryonnaire de Greenwich Village.

Son premier album "Bob Dylan" (1962) est un fiasco. La percée se produit en 1963 avec l’album "The Freewheelin’ Bob Dylan" et ses deux titres folk de protestation : "Blowin’ in the Wind", chanson pacifiste qui sera un hymne des années 60 contre la guerre au Vietnam et "A Hard Rain’s A-Gonna Fall". En 1963, il participe à la Marche sur Washington autour de Martin Luther King.

"The Times They Are A-Changin’" est le morceau qui donne le titre à son troisième album en 1964. Son succès assoit sa réputation, alors qu’il s’éloigne du mouvement contestataire américain. En guise d’adieu, il écrit "It Ain’t Me Babe" dans l’album significativement appelé "Another side of Bob Dylan". Il se lie avec la chanteuse Joan Baez avec qui il forme un temps le couple du "roi et de la reine du folk".

En 1965, avec l’album "Bringing It All Back Home" - une collection acoustique et électrique qui choque les puristes du folk - il transforme l’écriture des chansons en fusionnant ses textes poétiques et surréalistes avec le rythme rock. Son chef-d’oeuvre "Highway 61 revisited" (1965) avec la chanson "Like a Rolling Stone" et le double album "Blonde on Blonde" (1966) atteignent les sommets du rock-folk. Ses lunettes noires, ses boucles et son chapeau, le transforment définitivement en icône.

En 1966, après un accident de moto, il se retire vivre avec sa femme Sara, épousée l’année précédente. Il revient en 1969, avec l’album purement folk "John Wesley Harding", suivi par "Nashville Skyline" et ses mélodies country en duo avec Johnny Cash. De plus en plus il se détache des fans de folk et des milieux de gauche, refusant d’être l’étendard des contestations et des luttes de l’époque. Après le très critiqué "Self Portrait" réalisé en 1970 avec des reprises, Bob Dylan reste discret jusqu’en 1975 quand paraît "Blood on the Tracks", né durant sa séparation avec Sara.

A la fin des années 70, il découvre le christianisme et déroute une partie de ses fans. Depuis les années 80, son extraordinaire créativité s’est tarie, mais il parcourt la route sans relâche, sans toujours convaincre. Il était l’été 2012 en France au festival des Vieilles Charrues, où sa prestation a déçu. En 2011, il s’est produit pour la première fois dans un concert controversé en Chine, et au Vietnam.

Dans son 37e album studio sorti en mai "Fallen Angels", il interprète des standards américains popularisés par le crooner Frank Sinatra, avec un dépouillement classiquement "dylanien". Le chanteur-compositeur à eu de nombreux imitateurs dans les années 1970 et influencé de nombreux artistes, Leonard Cohen, David Bowie, Jackson Browne, The Doors, Bruce Springsteen, Talking Heads, The Clash, Nick Cave ou Lenny Kravitz. "Là où l’on crée de la grande musique rock, il y a l’ombre de Bob Dylan, encore et toujours", affirme Bruce Springsteen.

L’Humanité avec AFP


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