Une seule urgence, la démocratie  !

dimanche 13 novembre 2016.
 

De glissement en glissement, la démocratie s’en va, le citoyen s’éclipse et la finance gagne. D’où l’urgence d’affirmer, ici et maintenant, que la seule permanence qui vaille est celle de l’exercice des libertés.

Mais que se passe-t-il  ?

En Pologne, le nouveau gouvernement a fait voter deux lois, l’une pour réduire les pouvoirs du tribunal constitutionnel, l’autre pour confier au ministre du Trésor la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public. Et aussitôt, la nouvelle directrice de la radio publique, Barbara Stanislawczyk, a fait savoir qu’elle s’opposerait à tout ce qui vise « à la destruction de la famille traditionnelle, à la lutte contre l’Église et à la déconstruction de la morale chrétienne ».

En Hongrie, le premier ministre, Viktor Orban, met en place un régime autoritaire fier que le « roi saint Étienne ait bâti, il a mille ans, l’État hongrois sur des fondations solides et ait fait de notre patrie une partie de l’Europe chrétienne », censure la presse et réduit le pouvoir des juges.

Et en France même, pays de la Déclaration des droits de l’homme, le gouvernement augmente les pouvoirs des préfets, des policiers, des procureurs, donne au juge de l’administration compétence pour contrôler l’administration et réduit les pouvoirs de l’autorité judiciaire, pourtant seule gardienne, selon la Constitution, de la liberté individuelle.

Et c’est ainsi que, de glissement en glissement, la démocratie s’en va, le citoyen s’éclipse et la finance gagne. D’où l’urgence d’affirmer, ici et maintenant, que la seule permanence qui vaille est celle de l’exercice des libertés. Il peut paraître saugrenu, pour ne pas dire « déplacé », « inconscient » ou « aberrant », de soutenir que l’urgence est que la démocratie continue.

Les gens, dit-on en effet, demanderaient plus d’autorité que de discussion, plus de sécurité que de libertés, plus d’un homme fort que d’une assemblée délibérante, plus de policiers que de juges. À supposer qu’il en soit ainsi, le rôle des juristes est de rappeler l’importance du droit pour l’existence d’une société qui veut rester démocratique. Difficile, compliqué, mais, quand tout le monde semble emporté par les images, l’émotion ou la peur – tous sentiments au demeurant légitimes et auxquels le juriste n’échappe pas –, il leur appartient de rappeler, avec une force redoublée par les circonstances tragiques, qu’oublier, négliger ou réduire le droit, c’est abandonner la démocratie.

Propos de juristes, dira-t-on  ! Pourtant, une société démocratique ne peut se construire que par la transformation de l’individu en sujet de droits et cette transformation s’opère précisément par la reconnaissance et l’accord des droits. La force propre du droit, écrivait Pierre Bourdieu, est d’instituer, c’est-à-dire de faire exister, de donner vie à ce qu’il nomme.

Si une société ne se construit pas par un « accord sur le droit », comme l’écrivait Cicéron, par quoi se construit-elle  ? Par un accord sur le sang  ? Sur la race  ? Sur la religion  ? Sur un chef  ? Un seul exemple. De l’article 6 de la Déclaration de 1789 selon lequel « tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement à la formation de la volonté générale » il faut inscrire dans la Constitution que les parlementaires doivent avoir l’obligation de réunir des assemblées primaires de citoyens dans leur circonscription pour discuter des projets et propositions de loi et recueillir leurs avis avant qu’ils ne soient présentés à l’Assemblée nationale. Ainsi passera-t-on d’un monopole de la fabrication de la loi au profit des représentants à la garantie pour les citoyens de pouvoir intervenir en continu dans cette fabrication.

Par Dominique Rousseau Professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne


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