Comment le perdant a remporté la Maison Blanche ... une nouvelle fois

jeudi 24 novembre 2016.
 

(les quelques ajouts entre parenthèses sont du traducteur Jean-Pierre Juy)

Dans une démocratie réelle, le candidat qui obtient le plus de votes gagne l’élection, non ?

Pas dans la « plus grande démocratie du monde ». Pour la cinquième fois dans l’histoire américaine et pour la deuxième fois en 16 ans, le candidat à la présidence qui a remporté le vote populaire ne s’assoira pas dans le Bureau ovale en Janvier prochain parce que le perdant du vote populaire a bénéficié du couperet de l’avantage majoritaire, relique électorale raciste connue sous le nom de Collège Electoral ou Collège des Electeurs (Electoral College)*

* Le Collège Electoral dont il va être question est constitué par l’ensemble des 538 grands électeurs (en 2016) représentant le peuple des Etats-Unis. Les grands électeurs sont chargés d’élire le Président et le Vice Président.

C’est en soi un symbole du caractère profondément anti démocratique du système politique des Etats-Unis. Donald Trump a non seulement obtenu moins de voix que Hillary Clinton, mais lui et ses partisans revendiquent un « mandat » pour un programme réactionnaire, comme si l’élection avait apporté la preuve de l’existence d’une majorité écrasante pour cela. Au contraire, le système états-unien de non-démocratie a fonctionné comme il l’a toujours fait, en recouvrant d’un voile de légitimité un scrutin « gagnant » qui ne représente en fait qu’une minorité de personnes, et cette fois-ci, cette minorité est plus restreinte que d’habitude.

Du point de vue de n’importe quelle véritable acception du mot démocratie, la présidence de Donald Trump est totalement illégitime.

Mais ce n’est qu’un exemple de ce qui est une fraude antidémocratique du système bipartite des États-Unis. Un autre exemple : plus de 1,3 milliard de dollars ont été recueillis principalement pour soutenir les deux candidats des partis majoritaires alors que 43% des électeurs inscrits n’ont même pas voté le jour du scrutin (Election Day).

Ensuite, environ 6,1 millions d’Américains, soit - une personne sur 40 de la population en âge de voter - sont légalement privés de leurs droits de vote en raison d’une condamnation pénale. De plus, des millions de personnes ne pouvaient pas voter faute de documents requis pour justifier de leur Etat-civil. En conséquence de tout cela, le prochain président des États-Unis relève du choix du quart environ de la population en âge de voter.

Au moment où j’écris, Clinton devance Trump pour le nombre total de votes populaires, de près de 800 000 voix. Le compte final ne sera pas disponible avant le mois prochain : des millions de bulletins absents et provisoires doivent encore être comptabilisés, principalement dans les états "bleus" comme la Californie, Washington et New York. D’ici là, l’avantage de Clinton sera de 2 millions de voix et de près de 2 points de pourcentage, selon les estimations citées par le journal Atlantic.

La marge victorieuse de Clinton est déjà supérieure à celle constatée lors de toutes les élections précédentes dans les cas où deux candidats différents avaient remporté l’un le vote populaire, l’autre le Collège Electoral. En 2000, Al Gore avait battu George W. Bush d’environ 550 000 voix.

Mais en 2000, l’écart dans le Collège Electoral était très réduit : l’élection s’est jouée dans l’État de Floride sur un écart de 537 voix sur 6 millions de bulletins. Cette avance n’aurait pas été légalement validée sans le concours des juges républicains de la Cour suprême des États-Unis qui avaient ordonné l’arrêt du recomptage des bulletins sur l’ensemble de l’Etat. Selon une analyse ultérieure, cela aurait eu pour résultat de désigner Gore comme gagnant en Floride, et ensuite à la Maison Blanche.

En revanche, Clinton a été sévèrement battue au niveau du Collège Electoral, bien qu’ayant remporté le vote populaire avec un écart plus important que celui de Gore en 2000. L’élection de 2016 a prouvé encore plus clairement que des reliefs racistes et rétrogrades de l’esclavage datant d’avant la Guerre Civile, devraient être abolis. (Guerre de Sécession 1861-1865),.

Le Collège électoral a été inscrit dans la Constitution pour protéger la classe dirigeante de l’Amérique contre les conséquences du principe démocratique selon lequel : une personne-un vote.

Comme le disait autrefois Alexander Hamilton, la théorie était que les gens ordinaires n’étaient pas intellectuellement capables de choisir le président. A leur place, « un petit nombre de personnes, choisies par leurs concitoyens dans l’ensemble du corps électoral, seraient davantage en mesure de disposer de toute l’information et du discernement requis pour de telles investigations complexes »

Mais il y avait une raison plus précise en faveur du Collège Electoral : la préservation de l’institution de l’esclavage.

Dans un discours proposant une première version du Collège Electoral en 1787, James Madison, lui-même propriétaire d’esclaves en Virginie, avait expliqué que c’était nécessaire parce que les « Noirs » dans le Sud présentaient une « difficulté ... d’une nature sérieuse ».

La « difficulté » était que les esclaves ne pouvaient pas voter alors qu’ils constituaient un pourcentage important de la population de ces États. Tout système électoral fondé uniquement sur la désignation d’un candidat ou d’un parti majoritaire aurait donc favorisé les États du Nord dans lesquels l’esclavage avait été aboli en 1804.

Ainsi, les « Pères Fondateurs » dont bon nombre étaient propriétaires d’esclaves - ont trouvé les moyens de contourner la « difficulté ». Tout d’abord, il y avait l’infâme « règle des trois cinquièmes » , aux fins de déterminer la représentation à la Chambre des Représentants (équivalent de l’Assemblée des députés), dans laquelle le nombre d’élus est pour chaque Etat, proportionnel à l’importance de sa population dans la population fédérale, ainsi les esclaves furent considérés comme représentant trois cinquièmes d’une personne.

Le système du Collège Electoral institua un avantage supplémentaire pour le Sud : dans chacun de ses Etats, le nombre de grands électeurs (membres du Collège Electoral) résultant du vote populaire est égal au nombre de Représentants élus de l’Etat considéré, augmenté de deux, pour les deux Sénateurs. Les États dont la population est plus restreinte sont surreprésentés au Collège Electoral jusqu’à ce jour en raison de ces deux grands électeurs additionnels.

En Virginie, 40 pour cent de la population était composée d’esclaves à l’époque, mais quand le Collège Electoral a été institué, cet Etat y disposait au niveau fédéral de 12 voix sur 91 , soit plus du quart des voix nécessaires pour gagner la présidence (46 voix).

Après la Guerre Civile, la clause des trois cinquièmes a été abolie, mais la discrimination a continué dans les lois de Jim Crow qui ont limité les droits de vote des Afro-Américains. Et bien que le 14e amendement, adopté après la guerre de Sécession, avait reconnu théoriquement le droit de vote aux Noirs, il refusait explicitement le droit de vote aux femmes. Elles finiront par l’obtenir des décennies plus tard, en 1920.

Aujourd’hui, le Collège Electoral continue d’accorder une influence démesurée aux Etats ruraux peu peuplés qui font partie de la base électorale républicaine aux dépens des États plus peuplés qui sont souvent démocrates. Chacun des 55 grands électeurs de Californie représente 705 000 personnes alors que chacun des trois grands électeurs du Wyoming représente 196 000 personnes.

Les grands électeurs de tous les États sauf deux sont répartis selon un système gagnant-gagnant : toute la représentation des grands électeurs d’un Etat fédéré au Collège Electoral fédéral est attribuée à la liste du candidat qui obtient le plus de voix au vote populaire.. Hillary Clinton a particulièrement souffert de cette situation : Trump a remporté la Floride, le Michigan (où un nouveau dépouillement est en cours), la Pennsylvanie et le Wisconsin avec au total une avance de 230 000 voix pour les 4 Etats, ce qui lui a assuré un total de 75 grands électeurs. Par contre, en Californie avec une avance de 3 millions de voix, Clinton n’obtient que 55 grands électeurs.

Dans 29 États et dans le District de Columbia (Washington D.C), les grands électeurs sont légalement tenus de voter pour le candidat qui a remporté le vote populaire. Dans d’autres, ils ne sont pas techniquement liés, mais il serait tout à fait impensable que des grands électeurs votent contre le candidat pour lequel ils avaient promis voter. Ils sont en fait des « Laquais volontaires de parti, dépourvus de volonté intellectuelle » comme l’ancien juge en chef de la Cour suprême Robert Jackson les définissait en 1952. « En tant qu’institution, ajoutait-t-il, le Collège Electoral a été marqué par une incapacité progressive et frappé d’une raideur mortelle quasiment indiscernable. » Pourtant, dans les sphères politiques, la mise en question du Collège Electoral n’a connu aucun précédent.

Pendant ce temps, d’autres aspects absurdement antidémocratiques du système politique des États-Unis sont totalement ignorés. Par exemple, les Républicains ont réussi à conserver le contrôle du Sénat américain avec une marge de 52 à 48 sièges – alors que selon USA Today, les électeurs ont été 45,2 millions à voter pour les Démocrates et seulement 39,3 millions pour les Républicains.

Cela met en évidence le fait que le Sénat est une autre institution non démocratique remontant aux combines du pouvoir esclavagiste. La sénatrice républicaine de l’Alaska, Lisa Murkowski, a été réélue avec 111 000 voix, tandis que le sénateur démocrate de New York, Chuck Schumer, l’a été avec 4,8 millions de voix. Pourtant, leurs votes au Sénat pèsent d’un même poids pour décider des lois fédérales.

Beaucoup d’autres indices ont témoigné au cours de ce jour d’élection, que ce système électoral déglingué fonctionnait à peine mieux que les semblants de scrutins des dictatures autoritaires.

En premier lieu, il y a l’absurdité de faire se dérouler ces élections nationales un jour travaillé pour la grande majorité des gens. Cela limite le temps dont ils peuvent disposer pour attendre de voter de même pour les les longues files d’attente dans les États qui maintenant permettent les votes anticipés. Ces attentes peuvent tout aussi bien en avoir découragé d’autres. Comme l’a remarqué Emily Badger dans le New York Times, le lendemain des élections, « les électeurs matinaux,, les électeurs urbains et les électeurs appartenant à des minorités sont tous davantage résignés à attendre et à attendre et à attendre encore. Les files d’attente dans lesquelles prédominent ces communautés minoritaires sont environ deux fois plus longues que celles des régions à prédominance blanche ... Et ces électeurs sont six fois plus que les blancs disposés à attendre plus d’une heure pour pouvoir voter. Ces disparités persistent même au sein d’une même ville ou dans un même comté. Elles laissent à penser qu’elles ne relèvent pas seulement de plus grandes difficultés d’organisation des scrutins dans les grandes villes. » Charles Stewart III, un politologue du Massachusetts Institute of Technology (MIT) estime que l’attente pour voter à l’échelle nationale pourrait avoir coûté jusqu’à un milliard de dollars en salaires perdus.

Par ailleurs, en 2013 la Cour suprême invalidait certaines dispositions de la loi de 1965 sur le droit de vote. Les Républicains de plusieurs États ont saisi l’occasion pour instaurer de nouvelles restrictions au prétexte de réduire la fraude mais destinées en réalité à restreindre les votes des minorités. Malgré les craintes, le retour en arrière généralisé que permettraient ces dispositions, ne semble pas se concrétiser. Il est vrai que certains États avec ces nouvelles restrictions, y compris les anciens États acquis aux Démocrates comme le Wisconsin et l’Ohio, qui ont basculé du côté Trump, ont connu un taux de participation plus faible. Gerry Hebert, directeur d’un organisme central officiel de surveillance électorale a déclaré au New York Daily News : « les gens qui élaborent ces lois savent bien ce qu’ils font."

À la veille de l’élection, ceux qui ont déclaré qu’ils voulaient voter pour un candidat d’un tiers parti tel que Jill Stein du Parti Vert, se sont vus répondre qu’ils « gaspillaient leurs votes » - et qu’ils témoignaient d’une attitude de dénigrement à l’égard du sacrifice historique de ceux qui avaient combattu pour le droit de vote.

Mais l’ironie est qu’en raison de la nature profondément antidémocratique du système politique des Etats-Unis, des millions de personnes ont voté pour Hillary Clinton - y compris un nombre disproportionné d’Afro-Américains – parce que leurs votes ont été pour l’essentiel refusés au motif qu’un soutien populaire plus important à leur candidat serait vain.

Une grande partie des électeurs des États-Unis se sentent aujourd’hui victimes d’une fraude. Depuis l’élection, plus d’un million de personnes ont signé l’une des nombreuses pétitions pour abolir le Collège Electoral. Plus de 4,3 millions ont signé une pétition appelant les électeurs à voter pour Hillary Clinton vainqueur du vote populaire. Une pétition circule, elle pose la question : « Pourquoi n’utiliserions-nous pas ces institutions les plus antidémocratiques pour assurer un résultat démocratique ? »

Tout cela restera de l’ordre du fantasme pour la simple raison que Clinton elle-même, avec Barack Obama, Bernie Sanders et tous les autres dirigeants démocrates, respectent la légitimité de l’élection de Trump. Ils exhortent même les électeurs démocrates à aborder sa présidence avec un « esprit ouvert ».

Cela ne veut pas dire que tous ceux qui ont l’intention de protester contre la présidence de droite de Trump devraient avoir un esprit ouvert dès le premier jour. Il reste le perdant qui a gagné la Maison Blanche en raison du caractère tellement antidémocratique du système politique américain. Et il n’a assurément pas de « mandat ».

Il est temps de dépoussiérer le slogan avec lequel nous avions salué l’investiture de George W. Bush : « Salut le voleur ! ».


Traduction : Jean-Pierre Juy

Nicole Colson., Socialistworker 16.11.2016


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message