Revue de détail d’une social-démocratie en crise profonde

samedi 11 mars 2017.
 

- A) Grèce : Le Pasok, hégémonique si longtemps, a disparu du paysage

- B) Allemagne Le boulet des réformes Schröder

- C) Royaume-Uni Les blairistes refusent de céder à Jeremy Corbyn

- D) Espagne Une crise structurelle nommée néolibéralisme

- E) Portugal Un atterrissage turbulent à gauche

- F) Italie Le Parti démocrate au bord de la scission

A) Grèce : Le Pasok, hégémonique si longtemps, a disparu du paysage

Pasok  : ce nom a longtemps brillé au firmament des partis socialistes et sociaux-démocrates de toute l’Union européenne. Fondé en 1974 après la chute du régime des colonels par Andreas Papandreou, ce parti grec, dont l’acronyme signifie Mouvement socialiste panhellénique, a, pendant des décennies, écrasé la concurrence en recueillant entre 39 et 47 % des suffrages lors des élections législatives. En 2009, peu avant l’éclatement de la crise des dettes publiques en Europe, il recueille encore 43,9 % des voix.

C’est le gouvernement de Giorgos Papandreou qui conduira, avec cette confortable majorité au départ, une politique d’austérité extrêmement brutale. Début d’une chute vertigineuse pour le Pasok  : il culmine à peine lors des scrutins suivants autour des 13-14 %, participant aux coalitions avec la droite (Nouvelle Démocratie) et l’extrême droite (Laos) qui appliqueront docilement les mémorandums austéritaires  : coupes dans les salaires et les retraites, privatisations des entreprises publiques, multiplication des taxes et des impôts les plus injustes socialement…

Dans la veine « réaliste » des Blair ou Schröder, Giorgos Papandreou, qui sera remplacé en 2012 à la tête du parti par Evangelos Venizelos, se débarrasse des vieux oripeaux du socialisme en multipliant les attaques directes contre les salariés et en s’en prenant régulièrement aux immigrés.

Aujourd’hui, le Pasok est effacé de la carte  : lors des élections de janvier 2015 qui ont amené la coalition de gauche radicale Syriza au pouvoir, il n’a obtenu que 4,68 % des suffrages, puis 6,28 % (au sein d’une alliance avec Dimar, issu d’une scission précédente de Syriza) lors du nouveau scrutin de septembre 2015. L’expression « pasokisation » a fait florès sur tout le continent. À tel point que les dirigeants du parti grec ont décidé de changer de nom et de se présenter désormais sous la désignation d’Alignement démocratique. Papandreou, qui avait quitté le Pasok il y a deux ans pour créer un minuscule parti (le « Mouvement des socialistes démocratiques »), vient de revenir. Pas sûr qu’avec de tels soutiens, les sociaux-démocrates grecs puissent rivaliser à l’avenir, même face à un Alexis Tsipras très fragilisé par le nouveau mémorandum extorqué par les créanciers en juillet 2015…

B) Allemagne Le boulet des réformes Schröder pour le plus vieux parti social-démocrate européen

Le plus vieux parti social-démocrate européen, le SPD, n’échappe pas à l’épidémie de désertions spectaculaires qui touchent le continent. Sigmar Gabriel, son chef et candidat « naturel » à la chancellerie, vient d’annoncer qu’il renonce à briguer le poste aux élections de septembre prochain et qu’il abandonne la présidence du parti. Pour le remplacer, Martin Schulz, l’ex-président du Parlement européen, a été propulsé dans le rôle de pompier providentiel. Gabriel a pris acte de la défiance manifeste des électeurs. « Les gens veulent du changement. Je suis attaché, que cela me plaise ou pas, à la grande coalition. » Le parti porte comme un boulet les réformes antisociales, telles les lois Hartz de l’ex-chancelier Schröder. D’autant que, associée aux affaires avec Angela Merkel, sa direction s’est obstinée sur cette ligne social-libérale. Résultat : le SPD a atteint des plus-bas historiques lors des derniers rendez-vous électoraux. Et il reste scotché juste au-dessus des 20 % dans les sondages pour l’échéance de septembre.

Signe de l’acuité de ce discrédit, nombre de dirigeants syndicaux n’hésitent plus aujourd’hui à prendre ouvertement le contre-pied des décisions gouvernementales. Qu’ils regardent, pour certains, désormais vers Die Linke, le parti de la gauche alternative, ou qu’ils soient restés, pour le plus grand nombre, membres du SPD. Pour le DGB, l’arrivée d’un gouvernement anti-austérité en Grèce en 2015 constituait « une chance pour l’Europe ». Son secrétaire général, Reiner Hoffmann, brise le tabou qui interdit aux syndicalistes de fouler le champ du politique en allant à Athènes en solidarité avec Alexis Tsipras, sommé par Berlin de s’aligner sur les normes austéritaires, C’est là l’aspect le plus encourageant de cette crise interne. Martin Schulz, chargé par la direction de sauver les meubles, tente de donner le change avec quelques inflexions de gauche contre les superbonus des patrons ou les paradis fiscaux. Mais son appartenance, de longue date, au cercle le plus social-libéral du parti, ne laisse pratiquement aucun doute sur sa volonté de maintenir l’étrave du navire dans le vieux chenal social-libéral. Ce qui annonce de nouvelles crises internes.

C) Royaume-Uni Les blairistes refusent de céder à Jeremy Corbyn

Au secours, Tony Blair revient  ! Celui qui a tenté, avec Anthony Giddens, le théoricien de la « troisième voie », de transformer la démission sociale-démocrate face aux marchés en nec plus ultra de la modernité penserait très sérieusement, d’après les ballons d’essai lancés dans les gazettes ces dernières semaines, à revenir en politique. Selon lui, la première ministre conservatrice, Theresa May, serait un « poids plume » et Jeremy Corbyn, le dirigeant du Parti travailliste depuis 2015, figure de l’aile gauche du Labour depuis les années 1980, est, plus aimablement encore, décrit comme un « cinglé ». Pour Blair et ses affidés, encore très largement majoritaires dans le groupe parlementaire travailliste, la victoire de Corbyn lors des deux élections internes au Labour, en septembre 2015 et 2016, est absolument intolérable. Pas question pour eux de laisser à la tête du Labour l’un de leurs plus inlassables opposants  : après avoir dénoncé sans hésitation les aventures militaires de Blair et Bush, Jeremy Corbyn défend les services publics et les droits sociaux, se range toujours derrière les syndicats et préconise une réforme de la fiscalité permettant d’assurer la justice sociale et l’investissement dans les infrastructures ou la recherche.

À chaque occasion, bon nombre d’élus glissent des peaux de banane sous les semelles de Jeremy Corbyn. Avec des arguments de haut vol, parfois  : ils estiment par exemple qu’il n’a aucune chance de remporter une élection générale et de devenir, dans la foulée, premier ministre, alors même qu’au printemps 2015, avant son arrivée à la tête du Parti travailliste, ils ont subi une de leurs plus cuisantes défaites de ces dernières décennies, disparaissant, en particulier, totalement du paysage en Écosse au profit du parti autonomiste de gauche et anti-austérité SNP. Mais, plus éclairant encore  : au cours des campagnes internes, Corbyn a réussi à convaincre des centaines de milliers de citoyens, dont beaucoup de jeunes, de rejoindre le Labour, qui compte désormais plus de 500 000 adhérents. Dans les négociations qui vont s’ouvrir sur le Brexit, Corbyn entend respecter le résultat du référendum, tout en veillant à ce que la facture salée du Brexit ne soit pas glissée une fois de plus aux classes populaires et aux couches moyennes. T. L.

D) Espagne Une crise structurelle nommée néolibéralisme

Cent trente-huit ans après sa fondation, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’est-il plus qu’un bateau à la dérive ? La guerre intestine qui oppose son ex-secrétaire général, Pedro Sanchez, qui brigue de nouveau la tête de la formation dans le cadre de futures primaires, à la présidente de la région andalouse, Susana Diaz, est l’arbre qui cache la forêt. Car la crise que connaît la formation n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Le PSOE, qui totalisait hier 48 % des suffrages, est à la peine avec ses 22 % lors des élections générales de juin 2016. Il est passé de 202 députés en 1982, lors de l’avènement de Felipe Gonzalez, à 85. L’irruption de deux nouveaux partis, Podemos à sa gauche et Ciudadanos à sa droite, a certes eu un impact mais très limité. Lors des élections de décembre 2015, 24,6 % des électeurs du premier affirmaient avoir voté PSOE quatre ans auparavant et seulement 8,5 % des suffrages socialistes se sont reportés sur Ciudadanos.

Il est vrai que l’Espagne est traversée par un puissant débat sur son devenir territorial avec le poids de ses régions « historiques » dont seule la droite semble sortir indemne. Mais le point d’achoppement sur la conception de l’État n’explique pas tout. Le décrochage date du virage néolibéral de Felipe Gonzalez. Les privatisations des fleurons industriels l’ont été de la main des gouvernements socialistes dont les principaux responsables ont, par la suite, hérité de postes de premier plan dans ces mêmes entreprises. La flexibilité, qui s’est traduite en Espagne par l’explosion des contrats poubelles, ne date pas de 1996 et de la victoire des conservateurs du Parti populaire (PP). La première réforme du marché du travail, qui facilite les licenciements ainsi que leur coût, est signée de la main du socialiste Zapatero après 2004. Ce dernier a initié les terribles coupes budgétaires dans les services publics que le PP a ensuite aggravées à son retour aux affaires en 2011. Sur le plan éthique, le PSOE s’est lui aussi vautré dans la corruption, véritable fléau en Espagne. On rappellera encore le terrorisme d’État contre les membres de l’ETA... L’une des pancartes du mouvement des Indignés de 2011 brocardait ces deux grandes formations qui ont alterné au pouvoir depuis 1982, sans vraiment se distinguer en matière de politiques sociales et économiques, en fusionnant leurs deux sigles...

E) Portugal Un atterrissage turbulent à gauche

« Face à cette droite-là, il aurait été incompréhensible que la gauche laisse passer l’opportunité d’un gouvernement alternatif », déclarait dans ces colonnes (en décembre 2015) le dirigeant socialiste et député Joao Galamba, à la veille d’un accord historique entre les formations de gauche. À l’issue des élections législatives du 4 octobre 2015, la gauche était redevenue majoritaire à l’Assemblée. Depuis, le Parti socialiste a pu former un exécutif, et gouverne seul grâce au soutien ponctuel et critique des parlementaires du Bloc de gauche, du Parti communiste portugais et des Verts. Par le passé, la droite du PSD et du CDS-PP s’était entendue avec le Parti socialiste pour bâtir un exécutif d’« entente nationale ». Mais, en 2015, « face à cette droite-là », qui a poussé jusqu’à l’extrême les politiques d’austérité, le PS portugais n’avait pas d’autre choix que de se tourner vers sa gauche, sauf à connaître le même destin que son cousin grec, le Pasok.

L’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes socialistes aura également pesé sur les orientations de la formation. Dans les années 1980, cette dernière n’avait pas hésité à brader les grandes conquêtes sociales de la révolution des œillets au prétexte de la mise sous tutelle du pays par le FMI. En 2015, le PS jouait bel et bien son devenir. Et, encore aujourd’hui, il sait qu’un revirement de sa part pourrait lui coûter très cher dans les urnes. Depuis 2015 donc, la page de l’austérité se tourne peu à peu et non sans mal, en raison de l’hostilité de la droite. Le salaire minimum a été augmenté de 4 %. Le gel des retraites et des revenus des fonctionnaires a été levé  ; ils ont même été revalorisés dans le cadre du budget 2017. Des jours fériés supprimés ont été restaurés. Une sorte d’impôt sur le patrimoine immobilier de plus de 600 000 euros a été institué et de nouvelles taxes sont prévues sur le tabac et l’alcool. Au final, le défit public, qui était de 7,4 % du PIB en 2014, a été ramené à 2,7 % en 2016.

Les avancées, bien que timides, n’en sont pas moins réelles. Mais la logique néolibérale de privatisations des secteurs publics – à commencer par celui de la santé – n’a pas été brisée. Autre sujet très sensible  : la recapitalisation à venir de la banque Novo Banco, qui, faute d’acquéreurs, pourrait venir aggraver le déficit public. C. D. S.

F) Italie Le Parti démocrate au bord de la scission

Le Parti démocrate (PD) vit la pire crise de son existence. Après l’échec à faire adopter une réforme constitutionnelle par référendum le 4 décembre dernier, Matteo Renzi a dû démissionner de son poste de premier ministre. Il reste secrétaire d’un Parti démocrate divisé comme jamais. Car samedi, Massimo D’Alema, premier ministre entre 1998 et 2000 et membre du PD, a lancé des comités locaux dans le but de « réorienter le centre gauche », en mettant l’accent sur le travail, le social et « plus d’Europe mais une autre Europe ». Ces comités, qui promettent d’organiser des centaines d’initiatives les prochaines semaines, regroupent pour moitié des électeurs de gauche non inscrits au PD.

Matteo Renzi est sous le feu de la contestation. Au pouvoir de 2014 à 2016 avec une ligne volontairement centriste, Matteo Renzi s’est coupé du syndicat le plus puissant, la Confédération générale italienne du travail (CGIL), en promouvant une réforme du travail néolibérale. Il gouverne avec les anciens berlusconiens du Nouveau Centre droit, a refusé tout dialogue avec les autres forces de gauche (Gauche italienne et Refondation communiste) et a marginalisé la gauche de son parti. De plus, il a, comme Berlusconi avant lui, organisé le débat politique autour de sa personne, irritant nombre d’électeurs de gauche.

L’opération de D’Alema – qui défend une politique modérée mais renoue avec un langage de gauche – est une manœuvre. À l’approche d’élections anticipées, le frondeur entend faire pression pour obtenir un congrès, afin de préserver une influence des postcommunistes au sein du parti et du Parlement. Né en 2008, le Parti démocrate est issu de la fusion des Démocrates de gauche (qui rassemblaient les anciens communistes) et de la Marguerite (démocrates-chrétiens de gauche), qui ont toujours eu du mal à cohabiter.

Renzi a fait connaître son refus d’un congrès. En conséquence, lundi, D’Alema a menacé de transformer ses comités en une organisation de gauche, qui « pèserait 10 % des voix », selon les sondages. Si le PD explosait, celui-ci, crédité aujourd’hui d’environ 28 % des intentions de vote, laisserait la place de premier parti du pays au Mouvement 5 étoiles du populiste Beppe Grillo.

Ce dossier a été réalisé et publié par le quotidien L’Humanité


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