François Ruffin, « être député, cela va me permettre de coincer les ministres »

lundi 27 mars 2017.
 

Le réalisateur de Merci Patron et figure du mouvement des Nuits Debout s’est lancé le nouveau défi de représenter les ouvriers à l’assemblée nationale. Libération l’a suivi en campagne.

François Ruffin a le sens du contre-pied. Quand, au début du mois de mars 2017, il fête le césar du meilleur documentaire pour son film Merci Patron et ses cinq cent mille entrées devant une salle bondée de trois cent personnes à Longueau, dans la Somme, le réalisateur commence par le récit de ses déprimes et de ses doutes. Il explique qu’il s’est un peu lassé de son bimestriel Fakir, créé en 1999, avant même d’intégrer une prestigieuse école de journalisme à Paris. Avec la statuette du césar posée devant lui, le journaliste revient sur la genèse de son documentaire et assure qu’il s’est lancé pour trouver « une autre raison d’être ». Soutenu par plusieurs partis à la gauche du Parti Socialiste, François Ruffin, quarante et un ans, a désormais un autre défi. Il est candidat aux élections législatives du mois de juin 2017. Sur son tee-shirt blanc, porté par-dessus une chemise à carreaux, il y a le slogan de sa campagne, Picardie Debout.

Le ton du soir tranche avec ses habituels coups de gueule médiatiques. Le dernier coup de gueule date de la cérémonie des césars à la fin du mois de février 2017. Devant le petit monde du cinéma français, salle Pleyel à Paris, François Ruffin éclate les codes du discours de remerciement. « Mon film parle de personnes licenciées car leur entreprise a été délocalisée en Pologne. Au moment où je vous parle, c’est une usine d’Amiens, l’usine Whirlpool, qui subit la même histoire. Cela dure comme cela depuis trente ans, parce que ce sont des ouvriers qui sont touchés et donc on n’en a rien à foutre ». François Ruffin propulse le sort de cette usine à l’antenne et termine son discours en invitant François Hollande à se « bouger le cul ». Une grande partie de la salle applaudit. Dans l’auditoire, le ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, affiche un sourire de façade.

Aujourd’hui, François Ruffin revient sur ses intentions. « Ma première action de campagne, c’était d’aller rencontrer les salariés de Whirlpool, parce que, avant cela, il n’y avait que le Front National qui tractait devant l’usine. Je suis arrivé là-bas avec une proposition de stratégie, mais il faut qu’il y ait de l’envie ».

« L’objectif pour moi est de réussir à faire de la politique pas seulement place de la République à Paris mais aussi en Picardie », récite le candidat François Ruffin. Il y a près d’un an, il était l’une des figures du mouvement des Nuits Debout. Ce mouvement, dont l’idée est née au détour d’une réunion sur son documentaire, débute sur la place de la République à Paris le 31 mars 2016. En se greffant à la mobilisation sociale contre la loi travail, les participants mettent en place une organisation horizontale, sans chef, ni représentant officiel. Chaque soir et pendant des heures, des prises de parole de deux minutes s’enchaînent.

Très vite, François Ruffin estime que ces interminables débats ne permettront pas de faire « émerger des propositions concrètes ». Au bout de trois semaines, il échafaude un improbable scénario pour reprendre la main. Dans une soirée à la bourse du travail de Paris, intitulée « l’étape d’après », il essaye d’obtenir un mandat pour convaincre la Confédération Générale du Travail (CGT) de faire déboucher sur la place de la République le cortège syndical du premier mai 2016. Ce qui devait être un pas vers la fameuse « convergence des luttes ».

Mais sa méthode fâche et plusieurs personnes présentes lui reprochent de se retrancher à l’écart de la place de la République pour tenter de court-circuiter le fonctionnement du mouvement des Nuits Debout. Les gens quittent la salle et la soirée se termine dans le brouhaha. François Ruffin arrache alors un serment et des images qui feront le buzz à ceux qui restent. Lever le poing en l’air et répéter que « je ne voterai plus jamais pour le Parti Socialiste », prémisse du lancement de sa campagne. « Je suis toujours entre le ridicule et le formidable. Enfin, formidable, c’est peut-être un peu trop fort », juge aujourd’hui François Ruffin.

Le journaliste François Ruffin détaille ce que pourrait représenter son élection. « Etre député, cela va me permettre de coincer les ministres dans les couloirs de l’assemblée nationale, les interpeller dans l’hémicycle, bosser des dossiers et en rendre compte dans Fakir ». Dans la première circonscription de la Somme, qui va d’Amiens à Abbeville, François Ruffin va affronter la sortante à ce poste, la socialiste Pascale Boistard. Elue en 2012, cette vallsiste a laissé son siège à l’assemblée nationale à son suppléant en 2014 lors de sa nomination comme secrétaire d’état en charge des droits des femmes, depuis un an, elle est chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Dans un article de Fakir, bien avant d’être candidat, François Ruffin avait étrillé sa députée.

« Après deux heures d’échanges, deux heures quand même, j’étais troublé, rarement j’avais réalisé un entretien aussi vide », écrivait-il au mois de février 2015. Contactée, Pascale Boistard nous fait savoir qu’elle ne souhaite pas « commenter la campagne de ses adversaires ».

A droite, Stéphane Decayeux, vice-président du conseil départemental de la Somme, est investi par les Républicains. Le Front National, lui, choisit de lancer sa dernière recrue, le comédien Franck de Lapersonne.

Quelques jours après son meeting à Longueau, François Ruffin passe une tête dans l’émission des Grandes Gueules de Radio Monte Carlo (RMC).

Le candidat attend son tour, assis seul sur un canapé dans un couloir, presque penaud. En plateau, il est accueilli par un reproche. « Vous donnez de faux espoirs à ces gens. Il y a des manifestations tous les jours, cela sert à rien ». François Ruffin rétorque que « mon adversaire, c’est l’indifférence ». Pendant la publicité, alors que tout le monde continue de s’engueuler, François Ruffin grattouille sur un bout de papier. A la reprise, la discussion tourne rapidement autour du protectionnisme. Le candidat a du mal à dérouler ses idées et ressort lessivé. A peine le temps de dire au revoir, un chauffeur l’attend, direction la gare, pour un retour en Picardie.

La Somme a été un bastion du communisme et de ses innombrables divisions. Lors de précédentes élections, plusieurs listes étaient en concurrence. Pour réussir son pari, François Ruffin, non encarté, a rassemblé autour de sa candidature les sections locales du Parti Communiste Français (PCF), du Mouvement de la France Insoumise (MFI) et d’Europe Ecologie Les Verts (EELV). « C’est un département où il y a eu la guerre entre les communistes et ce n’est jamais bon. Il y a encore du travail à accomplir mais objectivement les choses bougent », commente le responsable de la fédération du PCF, Jacky Hénin. « En interne, cela commence à aller mieux depuis un an et demi », estime Zoé Desbureaux, vingt-cinq ans, membre du PCF et suppléante de François Ruffin. Michel, qui habite Abbeville et affiche quarante années de lutte au compteur, est du même avis.

Pour financer sa campagne, François Ruffin a mis de sa poche « trente mille euros à peu près ». Ce qui correspond aux dépenses remboursées par l’état pour les candidats qui dépassent le seuil de cinq pour cent des suffrages. Il doit trouver environ la même somme pour le financement du reste de sa campagne. « Si je n’arrive pas à dépasser ce score, c’est que je suis vraiment un gland. C’est sûr, je vais le faire ».

Dans son local de campagne, à Abbeville, vingt-cinq mille habitants environ, François Ruffin fait connaissance Jeudi 9 Mars 2017 avec des militants locaux. Un porte-à-porte avec cinquante personnes avait été organisé au lancement de sa campagne. « A ce moment-là, nous avons eu peur que ce soit seulement un truc de bobos, parce qu’il y a eu beaucoup de parisiens qui sont venus pour filer un coup de main », explique Mathilde, originaire de la Somme et engagée auprès de François Ruffin.

Sur les murs du local, des plans des quartiers sont accrochés. Un code couleur indique les zones à démarcher en priorité. « Ma notoriété n’est pas immense au niveau de la circonscription, je ne me fais pas d’illusion à ce niveau-là. Il y a encore des noms de villages que je découvre alors que j’ai fait du journalisme local pendant dix ans dans le coin. J’ai l’impression que nous n’arriverons jamais à tout couvrir ». Et même à Amiens, ville que François Ruffin connaît très bien, la tâche pourrait s’annoncer plus compliquée que prévu. Dix-huit ans à la tête de Fakir, « journal fâché avec tout le monde, ou presque », cela ne facilite rien. Les vieilles embrouilles refont vite surface. Dans un livre sur les quartiers du nord de la ville publié en 2006, François Ruffin décrivait le fonctionnement d’une société de sécurité, fondée par des habitants, comme le bras armé de la mairie dans le quartier. Un travail que lui reprochent encore certains riverains. Rapidement repéré lors d’une visite sur un marché du quartier nord, au début du mois de mars 2017, il a été expulsé manu militari.

par Ismaël Halissat, envoyé spécial de Libération dans la Somme


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