Extrême droite : de la Finlande à la Grèce, la dérive européenne

jeudi 30 mars 2017.
 

Percée impressionnante dans certains pays ou montée lente mais sûre dans d’autres, l’extrême droite s’ancre désormais en Europe. Un phénomène pas uniquement dû aux effets du marasme économique ou de l’ampleur de la crise migratoire.

Il n’y a pas que l’Autriche. De la France à la Suède, du Royaume-Uni à la Grèce, ces dernières années ont vu progresser une droite radicale, populiste, xénophobe et antieuropéenne. Souvent comparé à une « vague » ou un « raz-de-marée », le phénomène est plus complexe, et pas toujours lié à l’ampleur de la crise économique ou à celle des mouvements migratoires.

Quelle est l’ampleur du phénomène ?

La montée de l’extrême droite est manifeste dans certains pays européens. En France, le Front national bat des records électoraux depuis 2012. Créé il y a seulement trois ans, le parti allemand AfD a réalisé une percée lors des élections régionales de mars. En Grèce, les néonazis d’Aube dorée disposent depuis septembre 2015 de 18 sièges à l’Assemblée nationale. « Alors que l’extrême droite était assez marginale il y a trente ou quarante ans, elle est, par endroits, en mesure de contester le leadership de la droite « traditionnelle » », commente Jean-Yves Camus, spécialiste de cette famille politique et auteur avec Nicolas Lebourg d’un ouvrage sur les Droites extrêmes en Europe (Seuil, 2015). « Le problème pour ces partis est qu’ils n’accèdent que marginalement au pouvoir, le plus souvent comme alliés minoritaires de la droite traditionnelle, nuance Jean-Yves Camus. Souvent, leur rôle est donc avant tout celui de lobbys qui font pression sur l’agenda politique. Ils imposent les thèmes de l’immigration et de l’identité, mais sans tirer eux-mêmes les marrons du feu. » Par ailleurs, l’extrême droite reste très marginale dans certains pays tels l’Espagne ou le Portugal. « Les extrêmes droites locales sont restées confites dans la mémoire du franquisme et du salazarisme, qui ne dit pas grand-chose aux jeunes générations, explique Camus. Alors que les grands partis de droite affichent un discours conservateur et libéral, et une certaine prudence sur les questions mémorielles. C’est assez pour les électeurs potentiels de l’extrême droite. »

La faute à la crise ?

Crise = extrême droite. Soutenue par l’exemple des années 30, cette équation se voit remise au goût du jour pour expliquer les actuels progrès de cette mouvance. Mais le facteur économique est-il vraiment déterminant ? Les exemples de la Grèce et, dans une moindre mesure, de la France, plaident en ce sens. Pourtant, dans d’autres pays durement touchés tels l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande, l’extrême droite reste marginale. A l’inverse, celle-ci pourrait conquérir le pouvoir en Autriche, où la situation est bien meilleure en dépit d’une croissance ralentie. De même, le nombre d’immigrés ne semble pas déterminer, seul, les résultats de l’extrême droite. Selon Jean-Yves Camus, c’est en réalité un ensemble de causes, et la « personnalité » propre de chaque pays, qui expliquent les niveaux de celle-ci : « Globalement, celle-ci prospère lorsque trois crises se déroulent en simultané : une crise de la représentativité, c’est-à-dire du fonctionnement des institutions ; une crise de la redistribution, c’est-à-dire une remise en question du caractère équitable de l’impôt ; et une crise de l’identité. » Un cocktail que le spécialiste voit à l’œuvre notamment en France.

Quelle extrême droite ?

L’expression « montée de l’extrême droite » semble désigner un phénomène uniforme, mais la réalité est plus contrastée : sous ce terme générique cohabitent en effet plusieurs sous-ensembles. Ceux-ci ont en commun l’exaltation de la communauté nationale, le refus de l’immigration, la défiance vis-à-vis de l’Union européenne ou encore l’hostilité vis-à-vis des élites et l’appel permanent au « bon sens populaire ». Au-delà, deux blocs se distinguent. L’un représente une extrême droite « traditionnelle », héritière plus ou moins directe du fascisme ou du nazisme : « Une sorte de fossile politique antidémocrate et ethniste, précise Jean-Yves Camus, regroupant par exemple le NPD allemand [Parti national démocrate, ndlr], les Grecs d’Aube dorée ou les Bulgares d’Ataka. » Peu soucieuse de « dédiabolisation », cette extrême droite reste le plus souvent marginale, à quelques exceptions près, tels le cas grec ou l’ultranationaliste Jobbik hongrois.

L’autre ensemble regroupe des mouvements dits « néopopulistes », ayant au cours des années 2000 adopté un autre angle d’attaque. A l’image du FN de Marine Le Pen, ce néopopulisme droitier a officiellement renoncé à certains traits historiques de l’extrême droite, comme l’aspiration à un régime autoritaire ou l’antisémitisme. Il retourne même contre ses adversaires une partie de leurs propres arguments, en se posant en défenseurs des « libertés » : celles du peuple souverain contre le « totalitarisme bruxellois » ; celles des femmes et de certaines minorités contre le « totalitarisme islamique ». Outre le FN, cet ensemble comprend le PVV hollandais, la Ligue du Nord italienne ou encore le FPÖ autrichien, membres avec d’autres du même groupe au Parlement européen.

Quel bilan au pouvoir ?

Malgré d’incontestables progrès, la plupart des partis d’extrême droite ne sont pas, pour l’heure, en situation d’accéder seuls au pouvoir. En raison de leur isolement, à l’image d’un FN sans alliés et donc régulièrement battu au second tour, ou de résultats trop faibles (10,1 % pour le PVV hollandais lors des élections législatives de 2012). Lorsque l’extrême droite accède aux responsabilités nationales, c’est donc le plus souvent comme alliée minoritaire de la droite « traditionnelle ». Tel est par exemple le cas pour les « Vrais Finlandais » (« Perussuomalaiset »), parti xénophobe membre de la coalition au pouvoir à Helsinki, et détenant plusieurs ministères, dont celui des Affaires étrangères. Toutefois, note Camus, « ce parti, qui avait recueilli 17,6 % des voix en avril 2015, est aujourd’hui à 10,7 % dans les sondages, preuve que le passage aux affaires ne fait pas toujours du bien à l’extrême droite ».

De manière générale, selon le chercheur Nicolas Lebourg, « lorsqu’elles accèdent aux responsabilités, les extrêmes droites renoncent au volet social de leur discours et soutiennent une politique libérale, à condition que soient menées des politiques de lutte contre l’immigration et de fierté nationale. On l’a vu avec les Vrais Finlandais, avec le FPÖ autrichien, avec la Ligue du Nord en Italie, entre autres. Plutôt que des attaques contre les libertés fondamentales, on a la mise en place d’un libéralisme ethnicisé. Les alliés de Marine Le Pen ont presque tous participé à des majorités et appliqué ce genre de politique ».

Quelles alliances internationales ?

Une coopération internationale entre partis nationalistes ? L’idée peut sembler contradictoire. Outre certaines tentatives dès les années 50, elle se traduit aujourd’hui par la constitution de groupes au Parlement européen, rassemblant des mouvements de différents pays. Le dernier en date, né en juin 2015, est dominé par le FN et comprend aussi le FPÖ, la Ligue du Nord italienne et le PVV hollandais, entre autres. L’existence de ce groupe permet à ses membres de bénéficier de moyens supplémentaires au Parlement. Mais elle est aussi un instrument de légitimation, notamment pour un FN isolé sur la scène nationale et jugé infréquentable même par d’autres mouvements nationaux populistes, comme l’Ukip britannique. Ce dernier a d’ailleurs son propre groupe à Strasbourg, où figurent notamment les Italiens du Mouvement Cinq Etoiles ou les Démocrates suédois. Hors du Parlement, des mouvements ultra-radicaux tels qu’Aube dorée ou Forza Nuova (Italie) se sont quant à eux regroupés au sein du parti européen « Alliance pour la paix et la liberté ».

Dominique Albertini, BIG


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