Tournant dans la campagne entre le 18 et le 21 mars 2017

lundi 3 avril 2017.
 

Du 18 au 21 mars, trois jours ont marqué un tournant dans la campagne que j’ai commencée il y a un an et un mois. De fait, la publication de la liste complète des candidats le 18 au matin ouvrait d’elle-même une nouvelle phase. En effet, à partir du moment où l’on sait qui va être vraiment candidat, chaque citoyen est conduit à se prononcer en fonction d’un tableau connu et stable. En toute hypothèse, cela change tout, après des mois et des semaines où l’incertitude a été la règle dominante.

Incertitude en effet. De février 2011 jusqu’à décembre nous avons vécu au rythme de l’incertitude sur la tenue ou non d’une primaire de toute la gauche ou du seul PS et de ses alliés. Puis ensuite dans l’inconnu de la candidature ou non de François Hollande. Dans la même période se jouait le feuilleton à suspense de la primaire de la droite et même de celle d’EELV. Une fois ces deux- là réglées on a aussitôt commencé à douter de la pérennité de la candidature de Jadot. À cela s’est ajouté qu’il fallait attendre la fin du mois de janvier pour connaître le résultat de la primaire au PS. Jusqu’à la décision des électeurs du PS, la construction du paysage restait inachevée et il ne pouvait être observé ni évalué sérieusement. Entre la fin du mois de janvier et de la primaire du PS et la mi-février, l’incertitude est encore restée de mise. On aura vécu l’épisode de la disparition de la candidature de Yannick Jadot. Puis ensuite : incertitude sur mon sort et sur celui de Philippe Poutou quant à la collecte des parrainages. Autant d’éléments qui ont contribué à maintenir éloignées de la scène plusieurs millions de personnes dont elle ne parvenait pas à capter l’attention.

Pour ce nouveau commencement de campagne, le calendrier était bien chargé. D’abord parce que nous avons convoqué la marche pour la sixième république le 18 mars. Ensuite parce qu’il y avait le premier grand débat public sur TF1. Le faible intervalle d’un jour entre les deux a conduit à faire de ce temps une seule et même séquence. Comme je donne mon avis sur le « débat » télévisé dans un autre chapitre, je veux ici m’en tenir à la marche du 18 mars.

Je laisse de côté les habituelles mises en doute concernant le nombre des participants. Elles sont désespérantes. Car nous avons donné, avant l’évènement, les outils informatiques nécessaires à la presse pour évaluer elle-même la situation. Il s’agit d’une application qui établit le nombre de personnes présentes dans un espace à partir d’une photo satellite. Sur la base de l’espace ainsi délimité et en fonction d’une évaluation du nombre de personnes au mètre carré, que chacun peut faire en regardant n’importe quelle photo, l’application permet de savoir combien il y a de monde réellement. C’est basique, super-simple et cela épuise toutes les querelles. C’est de cette façon que nous-mêmes nous avons procédé pour donner notre chiffre de 130 000 personnes. Personne ne sait comment ni pourquoi l’observateur du journal Le Parisien peut dire que nous étions « certainement plus près de 80 000 que de 130 000 ». Pas davantage qu’on peut savoir pourquoi le Canard enchaîné dit que la place était aux trois quarts occupés alors qu’elle l’était entièrement et même au-delà comme le montrent toutes les photos et vidéos sur le sujet. Je place ici un lien qui permet de de regarder une vidéo qui balaie l’ensemble de la place. Mais c’est surtout pour le plaisir du souvenir d’un si grand moment ! En réalité peu de gens ont contesté notre chiffre mais je voulais que mes lecteurs sachent pourquoi nos informations sont dorénavant sûres et garanties dans ce domaine. Au point que chacun d’entre vous peut procéder lui-même a son comptage s’il le souhaite avec les mêmes outils !

Mais ici je veux évoquer deux questions plus directement politiques. La première pour souligner la signification politique du rassemblement. Certes, il prenait sa place dans une campagne électorale. Mais pour l’essentiel, sa signification est concentrée sur son propre objectif politique : le passage à la sixième République. Chacun aura pu remarquer qu’il n’y avait aucune pancarte aucun panneau à mon effigie dans les cortèges. Une fois rassemblés sur la place, tous ceux qui s’y trouvaient s’en sont tenus à des slogans purement politiques : « Résistance ! », « Dégagez ! Dégagez ! ». Tout au long du parcours, regroupés par thèmes derrière un camion sono et banderoles thématiques, les marcheurs reprenaient les slogans lancés par les rédacteurs des différents livrets du programme qui se trouvaient sur place et lançaient les mots d’ordre.

C’est donc bien une force politique consciente qui s’est déployée dans les rues. 1000 volontaires sont venus encadrer la marche dont 300 affectés à des tâches de service d’ordre, somme toute assez ingrates. 5000 drapeaux bleu-blanc-rouge étaient disponibles et davantage encore de pancartes préfabriquées en plus de celles que les gens avaient eux-mêmes apportées. Qu’il s’agisse des drapeaux comme des pancartes, nous avons observé comment les gens se présentaient d’eux-mêmes, aux points de distribution et faisaient leur choix entre les pancartes d’après leur slogan. Puis ils se mettaient en mouvement en suivant scrupuleusement les consignes de sécurité qui était données. Ce sont autant de signes très significatifs quant à la nature du rassemblement et sa composition.

Pour ma part, au fil du discours, et en regardant les visages des gens puisque le nouveau dispositif de hauteur scénique le permet, j’ai pu faire d’autres constats politiques. J’ai été frappé de voir quelle partie de mon discours étais reçue avec le plus de réactivité et d’adhésion. Sans entrer dans les détails, deux réactions m’ont frappé. La première, unanime, puissante et quasiment hurlée, répondit à ce que je disais à propos de la constitutionnalisation de l’IVG et du fait que le corps des femmes leur appartient en propre, exclusivement. Ce fait montre qu’il existe une conscience large du danger qui pèse sur ce droit. Une autre réaction forte m’a d’autant plus impressionné, que je ne m’y attendais pas. C’est celle qui concernait la phrase où je disais : « les animaux ne sont pas des choses ». J’ai prononcé ces mots parce que je pensais que c’était mon devoir de le faire. Mais je ne m’attendais à aucune réaction dans ce propos qui est si totalement inhabituel dans le discours d’un homme politique. Pourtant il suscita une énorme réaction d’approbation. J’estime que c’est le signal d’une prise de conscience populaire profonde sur ce thème. En cela, la marche du 18 mars aura aussi fait avancer cette idée car dorénavant nul ne peut plus ignorer l’adhésion qu’elle soulève.

Encore une remarque : tandis que je parlais régnait un profond silence sur la place. Ce comportement est typique d’une foule très politisée pour qui chaque mot a une importance particulière. Mais cette politisation doit se comprendre au sens le plus général du terme. Je voudrais le dire d’une autre manière : cette politisation exprime davantage une culture commune qu’une adhésion au discours d’un parti. En effet la diversité d’origine de composition et d’engagement s’est rapidement observée. Prenons un exemple. Il est vrai que tout le monde a chanté « la Marseillaise » à pleine voix. Mais quand j’ai proposé que l’on chante « l’internationale » puisque nous étions le jour anniversaire du commencement de la commune de Paris de 1871, il n’en fut pas de même. Et cela non parce que les gens refuseraient de chanter quelque chose en relation avec cet événement constitutif de l’idée de gauche, mais tout simplement parce qu’ils ne connaissaient pas les paroles et peut-être ne l’avait-il jamais entendu chanter. Ce détail atteste du poids des nouvelles générations et des nouveaux arrivants dans le mouvement « la France insoumise » que la marche donnait à voir pour la première fois.

Voici la deuxième série de remarques. Les lecteurs de ce blog savent l’importance que j’attache à la formation progressive du mouvement « la France insoumise ». Dans le cortège, peut-être avez-vous remarqué que des personnes marchaient à mes côtés. Certaines sont très directement et personnellement impliquées dans la réflexion sur la construction de ce type d’outil politique. Il s’agit par exemple de Chantal Mouffe, la philosophe belge, épouse de feu Ernesto Laclau avec qui elle a posé les bases d’une pensée théorique sur le « moment populiste » en Europe et dans le monde. Elle publie bientôt un livre avec Iñigo Errejón, l’un des co-cofondateurs de Podemos et longtemps son principal théoricien. À mes côtés marchait aussi Zoé Konstantopoúlou, l’ex-présidente du Parlement grec de la première période du gouvernement Tsipras d’avant la capitulation. Face à une gauche désormais explosée par la mésaventure et la déroute qu’a été la gestion par Alexis Tsipras de la victoire électorale populaire, elle suit de près la méthode avec laquelle nous avons reconstruit une force de masse avec le mouvement la France insoumise. D’autres participants-observateurs m’entouraient encore, venus de divers horizons politiques, non seulement en Europe mais en Afrique et en Amérique latine. Chacun d’entre eux suit au fil des jours, à travers les vidéos, les notes de blog et l’activité de la plate-forme jlm2017.fr, le développement de ce que nous avons entrepris. Construire un mouvement politique de masse d’une part et d’autre part mener une campagne électorale qui, par vocation, doit s’adresser à tous sans exception.

Si cette formule tient en une phrase, l’expérience montre que sa mise en œuvre est d’une grande complexité. On vient d’en avoir une démonstration. La semaine du 18 au 26 mars aura été pour nous une remarquable combinaison dans la mise en œuvre de moyens, et de circonstances maîtrisées, le tout en coïncidence avec le début d’une activité populaire de politisation intense. Un chiffre le résume : nous avons gagné 40 000 signatures d’appui en huit jours. Selon nos analyses, nous sommes parvenus à franchir des étapes dans la méthode que nous nous étions fixé, exprimée d’une façon un peu abstraite : fédérer politiquement le peuple. Je ne reviens pas ici sur ce que cette expression contient de singulier par opposition à d’autres orientations. Mais la confrontation de cette façon de faire avec l’ancienne méthode de l’addition des sigles d’organisation et des accords d’états-majors a produit un résultat spectaculaire dans cette période.

La tactique « rassembler la gauche » qui était censée nous asphyxier aura tout simplement étouffé ses auteurs. Elle ne débouche sur rien parce que rien n’existe dans la réalité qui correspond à cet objectif. Pour mieux dire : l’ensemble de ce que le mot « gauche » recouvrait jusqu’à ce jour est en pleine recomposition. Il s’agit d’un processus qui a sa propre dynamique. Croire qu’il est possible de le paralyser par des invocations touchantes et des pétitions pour l’unité est une vue de l’esprit. Ce processus de recomposition se déroule comme un fait autonome vivant, dans le fil même de l’élection, et celle-ci se trouve en être l’expression la plus aboutie. Le processus électoral et la réorganisation du champ politique en France sont une seule et même chose à présent. Il en est ainsi d’abord bien sûr parce que les organisations qui exprimaient tout ce champ, c’est-à-dire principalement les deux partis dits « de gouvernement », ont explosé en vol.

L’origine profonde de cette explosion est évidemment dans celle des rapports sociaux dont ils ont été pendant longtemps l’expression politique. La société abîmée, disloquée par le précariat, labourée par le déclinisme, assommée par les vociférations sécuritaires, ne donnent plus aucune place à la fameuse « synthèse » du PS et pas davantage à l’attelage hétéroclite que représente « Les Républicains ».

Pour finir, je propose un tableau qui résume la situation. On peut dire que trois pôles se disputent l’hégémonie idéologique sur notre société. Le premier : « ma tribu d’abord, périssent les autres ! » C’est la règle brune. C’est l’extrême droite de Madame Le Pen qui domine ce bloc où l’on trouve aussi Dupont-Aignan et Asselineau. Le second c’est : « chacun pour soi, le marché pour tous ». C’est la règle d’or. Ici domine à cette heure la candidature d’Emmanuel Macron. Le troisième c’est le « tous ensemble ». C’est ce que fédère en majeure partie ma candidature. Entre ces blocs, d’inégale importance, les candidatures qui essaient de se positionner entre deux de ces pôles entrent dans une tension ingérable. Ainsi quand Fillon tâchait d’unir le tribalisme réactionnaire et le libéralisme économique ou bien quand le PS a voulu établir un pont entre le « chacun pour soi » libéral et le « tous ensemble ». On ne sait pas de quoi demain sera fait, mais on sait à cette heure ce qui se produit : une profonde et ample redistribution des adhésions entre ces trois groupes. Elle devient l’enjeu de l’élection. Elle fournit la base de trois programmes bien distincts. Et chaque jour qui passe, en dépit des remuements de l’écume des choses, le grand nombre se positionne progressivement à l’un ou l’autre de ces trois pôles.

Évidemment, c’est une autre histoire que de décrire comment le tableau électoral se compose et se recompose à partir de chacune des candidatures connues et comment la position de chacun détermine l’équilibre de l’ensemble. Mais au final, je suis bien d’accord avec l’éditorialiste du journal Challenges, Maurice Szafran, lorsqu’il titre : « présidentielles 2017 : et si Mélenchon passait lui aussi devant Fillon… » et commence son analyse en disant : « un croisement des courbes des sondages de Jean-Luc Mélenchon et de François Fillon pourrait conduire à un choc politique et la décomposition de la Ve République et de ses institutions ». Après que ce croisement des courbes a déjà eu lieu avec Benoît Hamon cette semaine, il est clair que nous comptons puiser dans cette progression l’énergie qui nous permettra de dépasser Monsieur Fillon. Chacun peut imaginer ce que cela signifie alors…


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