Boucs émissaires de systèmes de production intensifs : « Non, les oiseaux n’ont pas importé la grippe aviaire »

lundi 3 avril 2017.
 

par Allain BOUGRAIN DUBOURG

Pour expliquer l’épizootie actuelle, le défenseur de la cause animale met en cause la concentration des élevages sur de petites surfaces, l’augmentation du nombre d’exploitations et la production intensive.

Face au désarroi des éleveurs de canards, il a bien fallu trouver un coupable. L’oiseau migrateur fut tout indiqué pour jouer les boucs émissaires. Pointer quelques oiseaux sauvages est plus facile que de remettre en cause le commerce mondial et l’élevage industriel. Alors, on continue de diffamer ponctuellement l’avifaune sauvage, en allant jusqu’à affirmer que ce sont les migrateurs, venus d’Asie, qui auraient transmis le virus H5N8, de même qu’ils l’auraient fait, il y a près de dix ans, avec le H5N1.

Pour information, il n’existe pas d’oiseau migrateur reliant l’Asie du Sud-Est et la France. La seule espèce « long courrier » est la sterne arctique, qui effectue un déplacement vertical de 40 000 km entre la Scandinavie et l’Antarctique. Cela dit, il n’est pas question de nier que l’oiseau sauvage peut être porteur. La question est de savoir s’il est à l’origine ou s’il subit le virus.

Le 23 février, après avoir découvert des tourterelles turques victimes du H5N8, une battue administrative a été organisée dans le Lot-et-Garonne. Ce cas de figure est révélateur car les tourterelles en question, malgré leur nom, sont… sédentaires. La probabilité d’être contaminées vient donc davantage de la fréquentation d’un élevage du Sud-Ouest que d’un voyage vers les contrées asiatiques.

N’est-il pas temps de s’interroger sur la concentration des élevages sur de petites surfaces, l’augmentation considérable du nombre d’exploitations et de leur taille durant ces dernières années – multipliée par six en trente ans ! – ou encore l’accélération des échanges, qui ne permet plus de parler de productions traditionnelles ? Ce nouveau contexte nécessite en particulier des règles d’hygiène intra et inter-élevages très strictes, qui ne sont manifestement pas toujours bien appliquées. Les nombreux transports d’animaux imposés par les divers maillons de la chaîne industrielle font, du reste, l’objet d’une enquête ouverte début février pour savoir si des échanges contaminés ne l’ont pas été en connaissance de cause.

Les fantasmes du « péril aviaire »

Ce n’est pas un hasard si la flambée du H5N8 est apparue en France, en particulier durant les fêtes de fin d’année, alors que la filière palmipèdes – 78 % des foyers recensés dans cette filière, notamment celle des canards gras – s’affairait dans les opérations de négoce. La région Nouvelle-Aquitaine est particulièrement affectée par cette flambée du H5N8 puisqu’elle assure à elle seule plus de 57 % de la production française et près de 43 % de la production mondiale de foie gras.

Ce n’est pas un hasard non plus si le département des Landes est le plus impacté : avec une production de 11 millions de palmipèdes en élevage, dont 8 millions en gavage, les concentrations sont telles que le virus peut s’y transmettre par aérosol, sans qu’il soit besoin d’oiseaux transporteurs.

La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) dénonce le détournement des causes réelles de cette épizootie en surfant sur les fantasmes du « péril aviaire ». Les seuls oiseaux qui nous arrivent en masse d’Extrême-Orient sont des volailles domestiques qui prennent l’avion ! Les oiseaux hivernant en France ne croisent pas de région d’élevages industriels de plein air, sauf… dans le sud-ouest de la France, et ponctuellement depuis les élevages de l’Europe centrale et de l’Ouest.

La LPO s’étonne que l’on ait continué à autoriser l’usage d’« appelants » – canards domestiques destinés à attirer les canards sauvages – pour les chasses à la hutte, alors que le H5N9 est apparu dans le Pas-de-Calais à partir d’« appelants », et tandis que tous les éleveurs ont eu l’interdiction de transporter leurs volatiles, y compris au Salon de l’agriculture.

Débattre de la biodiversité

Les oiseaux sauvages, comme les autres animaux, dont l’homme, jouent ponctuellement un rôle dans le processus de propagation de ces virus influenza. Dans cette situation d’épizootie, il paraît pourtant essentiel de bien identifier et de hiérarchiser les risques et les responsabilités. Les éleveurs comme les consommateurs, la faune domestique comme la faune sauvage sont une nouvelle fois victimes de systèmes de production intensifs à courte vue.

Plus de 80 % des Françaises et des Français demandent que les questions de protection de la nature soient abordées dans le débat présidentiel (sondage LPO/IFOP réalisé du 8 au 9 décembre 2016). Lors du Salon de l’agriculture, les responsables politiques et agricoles ne devraient pas faire l’économie d’un questionnement précis sur les systèmes de production.

Allain Bougrain-Dubourg (Président de la Ligue pour la protection des oiseaux)


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