Des socialistes toujours plus nombreux à torpiller la campagne de Hamon (Mediapart)

mercredi 5 avril 2017.
 

À Solférino, certains permanents, qui avaient très majoritairement voté pour Benoît Hamon à la primaire, confient leur inquiétude. « Ce n’est pas que la direction ne fait pas campagne, c’est pire… Elle encourage à ne rien faire », glisse l’une d’eux.

« C’est moche. » Alors que Benoît Hamon visitait, jeudi, le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé son ralliement officiel à Emmanuel Macron. Un soutien attendu depuis plusieurs semaines mais qui confirme, pour les proches du candidat, qu’une partie du PS a choisi de torpiller sa campagne, quitte à se résoudre à l’explosion du parti.

Le calendrier a été choisi avec minutie. Cela fait plusieurs semaines que le choix de Le Drian semblait acquis, malgré des tiraillements au sein des élus bretons, notamment au conseil régional dont il est le président. Mais le ministre, qui avait été prévenu du programme de Benoît Hamon, a attendu le jour du déplacement consacré à la défense du candidat socialiste pour le laisser fuiter, via Ouest-France. Le quotidien régional a annoncé jeudi matin un entretien à paraître vendredi. Une concomitance aussitôt relevée par l’ancienne ministre de la fonction publique, élue elle aussi en Bretagne, Marylise Lebranchu :

« Voilà plusieurs semaines que certains déçus du résultat de la primaire organisent le feuilleton de leur ralliement à un autre candidat, ont aussi réagi les porte-parole de Benoît Hamon, dans un communiqué. Élu député par les électeurs de gauche depuis 40 ans, Jean-Yves Le Drian ne respecte pas le vote des électeurs de gauche qui, y compris dans le Morbihan, ont largement désigné Benoît Hamon comme leur candidat pour cette élection présidentielle. Il n’est pas acceptable, en démocratie, que des responsables politiques ne s’accommodent du vote des électeurs que lorsque celui-ci leur convient. »

« En adhérant à cela, Jean-Yves Le Drian rejoint ses adversaires de toujours du centre droit. Pour un homme de gauche, c’est une terrible résignation », a aussi dénoncé l’eurodéputée Isabelle Thomas, élue en Bretagne et membre de l’équipe de campagne de Benoît Hamon. Le candidat a quant à lui réagi vendredi sur Europe 1 : « Je ne m’attendais pas à autant de trahisons », a-t-il dit. Avant d’ajouter : « Ce qui me frappe, c’est qu’aujourd’hui, au moment où le Front national, qui est un parti profondément anti-démocratique et qui est aux portes du pouvoir, on oublie jusqu’au principe le plus élémentaire qui consiste à respecter la démocratie. »

Pour Hamon, le coup est rude. Parce que Jean-Yves Le Drian est ministre de la défense depuis cinq ans, qu’il est un proche de François Hollande, et qu’il jouit d’une forte popularité. Mais aussi parce qu’il contribue à alimenter le feuilleton des défections qui fragilise le candidat du PS, déjà à la peine dans les sondages et qui, après un meeting réussi à Bercy, a livré une prestation en demi-teinte lors du débat télévisé lundi.

Depuis le début de semaine, le conseiller de François Hollande Bernard Poignant, défait aux dernières municipales à Quimper, a également annoncé son soutien à Emmanuel Macron, tout comme deux secrétaires d’État du gouvernement, l’ex-écologiste Barbara Pompili et le PRG Thierry Braillard, et l’ancien ministre Frédéric Cuvillier. Quant au “hollandais” François Rebsamen, il a indiqué qu’il soutenait Benoît Hamon mais qu’il envisageait de voter pour son concurrent au premier tour. « S’il y avait la moindre menace d’avoir un deuxième tour qui oppose Fillon à Le Pen, je pourrais bien évidemment voter Emmanuel Macron dès le premier tour », a expliqué le maire de Dijon, pourtant officiellement membre de l’équipe de campagne de Benoît Hamon.

À l’abri du off, une partie des socialistes n’hésitent plus à assumer la défaite certaine de Hamon, voire à parier, presque avec légèreté, sur un score inférieur à celui de Jean-Luc Mélenchon. Les vallsistes, à quelques exceptions près, notamment le sénateur Luc Carvounas, ont déjà quitté le navire, et l’ancien premier ministre n’a pas hésité à publier une tribune assassine contre le candidat du PS le matin même de son meeting à Bercy, dimanche 19 mars. Quant aux “hollandais”, ils sont pour la plupart retranchés dans le silence.

Selon un témoin, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a récemment glissé à des militants socialistes des Hauts-de-France : « On donnera une consigne de vote avant le premier tour. Mais attendez, ne bougez pas d’ici là. La seule chose qui compte, c’est de garder le parti… »

Même la Haute autorité des primaires citoyennes (HAPC) a mis du temps à réagir aux attaques de Manuel Valls, qui avait pourtant signé une charte dans laquelle il s’engageait à soutenir le vainqueur du scrutin de janvier. Jeudi, après de multiples menaces de démission de plusieurs de ses membres, son président Thomas Clay a fini par accepter de publier un communiqué : « Un tel comportement contrevient gravement au principe de loyauté et à l’esprit même des primaires. »

À Solférino, certains permanents, qui avaient très majoritairement voté pour Benoît Hamon à la primaire, confient leur inquiétude. « Ce n’est pas que la direction ne fait pas campagne, c’est pire… Elle encourage à ne rien faire », glisse l’une d’eux. « C’est une inaction presque volontaire de la direction, estime un de ses collègues. Jean-Christophe Cambadélis ne fait pas grand-chose pour que l’appareil soit derrière Benoît Hamon. Ou alors tardivement. »

Officiellement pourtant, le premier secrétaire soutient le candidat sorti vainqueur de la primaire. Mais certaines de ses déclarations ont agacé l’équipe Hamon, et notamment ses hésitations sur l’attitude du parti face aux soutiens de Macron. Début février, Cambadélis a promis l’exclusion aux élus qui parraineraient l’ancien ministre de l’économie ; début mars, il a dit le contraire… Mardi, il a aussi soutenu Bruno Le Roux, quelques heures avant sa démission, jurant que le ministre de l’intérieur n’avait aucune raison de quitter le gouvernement. Aucun meeting commun n’est prévu, avant le premier tour du 23 avril, entre Hamon et Cambadélis, qui a été la cible de huées lors du meeting de Bercy.

Le premier secrétaire semble préférer mener sa campagne pour les législatives dans le XIXe arrondissement, tout en assurant une présence médiatique, en espérant pouvoir, ainsi, conserver son poste à la tête du PS et mener les négociations pour les législatives après une hypothétique victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. À sa décharge, l’équipe Hamon n’a pas fait beaucoup d’efforts pour s’assurer du soutien sans faille de Cambadélis, dont elle se méfie. « Chez nous aussi, certains ont la tentation de ne pas vouloir trop s’emmerder avec le parti », glisse un proche de Hamon.

Cette situation rappelle celle de Ségolène Royal en 2007, qui avait mené campagne pour la présidentielle sans le soutien d’une partie des cadres du PS. Mais avec une différence de taille : contrairement à l’actuelle ministre de l’écologie, Benoît Hamon n’a pas choisi de rompre avec son parti en lançant un nouveau mouvement au lendemain de son élection. Il y a dix ans, Royal, elle, s’était appuyée sur le mouvement Désirs d’avenir.

« Il n’y a pas de problème avec le PS, relativise Gwenegan Bui, qui accompagnait jeudi Benoît Hamon en Alsace. Il y a quelques socialistes qui essaient de nous mettre des cailloux dans la chaussure. Il n’y a pas de bascule de l’appareil. » « Nous, on ne veut pas renier le parti, explique aussi un membre de l’équipe Hamon. Et ce n’est pas tant que le PS torpille notre campagne ; c’est plutôt une torpeur du parti, qui provoque une démobilisation des militants. »

Cette « torpeur » s’est à nouveau illustrée jeudi : alors que le déplacement en Alsace a peu été relayé par les instances locales du PS, et qu’il a largement été organisé sans l’aide de la fédération, 200 élus de l’Est ont fini par publier une tribune de soutien à Benoît Hamon. Une contradiction soulignée par les Dernières Nouvelles d’Alsace : « Les derniers événements de la campagne dans l’Est avaient laissé entrevoir du flottement. La présence ce soir, à la librairie Kléber à Strasbourg, du candidat Hamon, avait certes été relayée par les militants sur les réseaux sociaux mais n’avait pas donné lieu à une communication plus officielle. Idem pour sa présence cet après-midi au cimetière strasbourgeois de Cronenbourg puis sa prise de parole sur les questions de défense nationale… »

Cette situation s’explique, aussi, par les tensions accumulées au fil des années et du quinquennat entre des sensibilités divergentes du parti. « Il y a trop de haines, partout », estime un dirigeant socialiste. Au point qu’il n’est pas certain que le PS survive, sous sa forme actuelle, à cette présidentielle hors norme.


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