La gauche n’a qu’une candidature capable de provoquer l’avenir, le bulletin Mélenchon

mercredi 5 avril 2017.
 

- Si ce vote devient celui du rassemblement, alors la victoire est à portée de main.
- Tribune de Cédric Durand et Razmig Keucheyan publiée dans Libération.

Si la campagne de Benoît Hamon est dans l’impasse c’est parce qu’il n’a pas su voir que la chèvre néolibérale refuserait de s’accommoder du chou socialiste. Le contraire de la stratégie employée par le leadership de la gauche : Jean-Luc Mélenchon.

Longtemps les élections ont été ennuyeuses. Portée par un vent libéral, l’alternance entre droite dans ses bottes et gauche ectoplasme, converties à cœur à la modernisation de marché, avançait sans heurt dans l’éternel présent du capitalisme rendu maître de l’espace mondialisé et du temps financiarisé. Le chômage endémique, l’exultation consumériste et l’horreur terroriste ou criminelle constituaient les trois pôles dramatiques d’un petit jeu ronronnant, pimenté seulement par les frasques des candidats ou les esclandres des amis trahis.

Le cru 2017 n’est pas de ce vin-là. Sous le mince filet des péripéties de la compétition électorale, une carte politique tranchée se dessine. L’histoire en France est de retour. Ici comme ailleurs, la tectonique sociale de la grande crise économique de 2008 fait son œuvre. Les écuries présidentielles routinières se recomposent à vive allure, réalignant les forces autour de trois options politiques tapies dans l’inframonde de notre modernité politique. Trois irréductibles molosses voués à l’affrontement. Les monstres

Le premier a pour mot d’ordre la concurrence libre et non faussée, la stabilité financière, la fraternité des calculs égoïstes. Hégémonique dans la plupart des lieux de pouvoir, il entend le rester grâce à une couverture médiatique outrancièrement favorable et la mobilisation effrénée des technologies de marketing électoral dernier cri. Son sens c’est l’évidence du discours dominant, sa force c’est sa répétition, sa faiblesse c’est son échec.

Les élites économiques internationalisées et financiarisées ne peuvent asseoir leur légitimité que sur une prospérité économique dont les miettes suffiraient à amadouer les existences subalternes. Las, avec la stagnation qui s’installe, les inégalités indécentes deviennent de plus en plus insupportables. La lassitude s’installe, la rancœur s’accumule et prive petit à petit d’oxygène l’extrême centre, le héros politique de notre temps néolibéral.

Le deuxième est un monstre qui se nourrit du désespoir et de l’isolement provoqués par le premier. C’est le parti de l’ordre et de la petite propriété, celui du déclassement et du ressentiment. C’est le camp des « perdants » qui rêvent de chiches revanches sur les plus faibles qu’eux. Nationaliste, autoritaire, xénophobe, son ancrage populaire se renforce de chaque pied qui lui est concédé tandis qu’il offre aux puissants les arrangements nécessaires. Division, oppression et encasernement sont inscrits sur son manteau gris abhorré de tous les amis de la démocratie.

Le troisième s’appelle la gauche, la vraie. Audacieuse, forte des batailles qu’elle mène, ses regards portent loin et embrassent tout ensemble la souffrance immédiate et le destin de l’espèce. Cantonnée ces dernières décennies aux tactiques de harcèlement électoral et au repli sur les luttes sociales et environnementales, elle est de nouveau candidate au pouvoir. De l’Europe du sud aux pays anglo-saxons, elle compresse de l’intérieur ou de l’extérieur les vieux appareils de la social-démocratie passés à l’ennemi, et reprend le drapeau de l’émancipation. Ami ou ennemi

La victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste et la défection de Manuel Valls accélèrent cette recomposition politique de grande ampleur. Certes, la déloyauté de l’ancien Premier ministre est extrêmement discourtoise. Mais, sur le fond, Manuel Valls a raison de faire passer les idées avant les procédures : la gauche n’est pas réconciliable avec ceux qui portent la responsabilité de ce calamiteux quinquennat, qui pensent qu’il a péché non par excès mais par insuffisance de néolibéralisme.

Comme l’écrit Machiavel, il est toujours préférable de se déclarer ouvertement ami ou ennemi. C’est parce qu’il a acté très tôt cette reconfiguration stratégique que Jean-Luc Mélenchon a pris le leadership à gauche. A l’inverse, la campagne de Benoît Hamon est dans l’impasse précisément parce qu’il n’a pas su voir que la chèvre néolibérale refuserait de s’accommoder du chou socialiste.

Personne ne peut sous-estimer l’importance qu’aurait l’arrivée au pouvoir en ces temps troublés, dans un grand pays comme la France, d’une gauche dont le centre de gravité n’est plus le néolibéralisme. C’est tout l’enjeu d’un ralliement possible de Benoît Hamon à Jean-Luc Mélenchon. Les différences entre les programmes existent mais ne sont pas insurmontables.

En particulier, sur la question européenne, l’articulation Plan A / Plan B laisse une grande latitude pour trouver le juste point d’équilibre entre tentative de refondation de l’Europe et détermination à mener des politiques de justice sociale et écologique. Le rapprochement paraît inéluctable, la seule question étant de savoir s’il aura lieu avant ou après la présidentielle.

A l’extrême centre, l’alliance Macron-Bayrou-Valls s’inscrit dans la continuité du quinquennat de François Hollande et de l’orthodoxie européenne ; plus forte que jamais, l’extrême droite est en ordre de bataille et, portée par le vent mauvais qui souffle sur l’époque, a raison de croire à sa chance. A cet instant critique, la gauche n’a qu’une candidature capable de provoquer l’avenir, le bulletin Mélenchon. Si ce vote devient celui du rassemblement, alors la victoire est à portée de main.

Cédric Durand Maître de conférence en économie à Paris-XIII , Razmig Keucheyan Sociologue à l’université de Bordeaux


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