Alimentation. Produire mieux pour se nourrir mieux, l’exigence qui monte

vendredi 5 mai 2017.
 

Événement populaire, le Salon de l’agriculture fait étalage de bons produits du terroir. Pourtant, les promoteurs d’alternatives agricoles et alimentaires peinent à se faire entendre au milieu des grands groupes de l’alimentation industrielle, partout présents porte de Versailles. La malbouffe occupe la place, quand bien même l’urgence frappe à la porte. Car, au-delà de la crise agricole, plus prégnante que jamais, les enjeux alimentaires s’invitent de plus en plus fortement dans le débat.

L’alimentation est devenue un marqueur social des inégalités. Son industrialisation, menée dans les années 1960 sous couvert de répondre à la demande démographique, laisse place aujourd’hui à un paysage dévasté par les grandes cultures et à une offre alimentaire dans laquelle le gras, le sucre et le sel essaient de faire oublier l’absence de goût, de nutriments, de vitamines. Résultat, les pathologies directement liées à ce régime frelaté explosent. En France, près de la moitié de la population est considérée en surpoids ou obèse, selon l’enquête nationale Obépi. L’Observatoire des inégalités précise que ce problème de santé publique est deux fois plus répandu dans les catégories les moins favorisées. Victimes de la malbouffe, les ménages pauvres sont aussi 2,3 fois plus malades, de diabète notamment, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dit qu’il est devenu «  un des principaux tueurs dans le monde  ». Pour eux, c’est la double peine, au point où nous sommes parvenus à un étonnant paradoxe  : alors que se nourrir est à la base de la vie, manger tue plus que le tabac et l’alcool réunis, d’après des experts britanniques. «  Une nourriture différenciée entre riches et pauvres a toujours existé. Le problème de notre époque contemporaine, c’est que les riches ont organisé le contrôle de la nourriture des pauvres en produisant pour eux des aliments bas de gamme et dangereux. On voit aujourd’hui que ce modèle ne résout en rien le problème de la pauvreté. Il est à bout de souffle  », observe Gilles Fumey, enseignant-chercheur en géographie culturelle à l’université de la Sorbonne.

La qualité, premier critère d’achat pour les consommateurs

Éssoufflé mais loin d’être coulé, et ce, malgré le vent de fronde qui ne cesse de souffler contre les fossoyeurs de la qualité nutritionnelle. L’idée de produire mieux pour se nourrir mieux est une exigence qui monte. Les crises sanitaires successives, de celle de la vache folle en 1996 à la grippe aviaire, en passant par la fraude à la viande de cheval en 2013, ont alimenté la suspicion envers un système alimentaire standardisé, motivé par l’appât du gain, qui produit pour produire et non pas pour nourrir. L’opinion des consommateurs fait d’ailleurs mentir les slogans marketing de la grande distribution sur l’attrait du prix bas. Selon l’enquête «  Consommation et modes de vie  » du Centre de recherche pour l’observation des conditions de vie (Credoc) publiée en juin dernier, 78 % des Français considèrent que «  la qualité est le critère le plus pertinent pour le choix de produits alimentaires  ». Le prix arrive très loin derrière, à 21 %.

Si la crise économique a redonné du crédit au poids du porte-monnaie, elle n’a pas inversé la tendance, loin de là. Les caractéristiques de «  qualité  », pour lesquelles les Français se disent prêts à payer un produit plus cher, sont la fiabilité, le goût, la sûreté ou encore le respect de l’environnement, autant d’exigences qui percutent les méthodes du productivisme agricole et de l’industrie agroalimentaire, «  un système concentrationnaire maltraitant pour les producteurs et les consommateurs  », tacle Claude Gruffat, président de la coopérative de distribution Biocoop. La partie la plus visible de la recherche d’alternatives est perceptible dans la demande en constante augmentation de produits biologiques. Selon le dernier baromètre Agence bio/CSA, publié mardi dernier, leur consommation a augmenté de 20 % en 2016, un chiffre qualifié d’«  historique  ». Sept foyers sur dix indiquent manger régulièrement des produits biologiques, une moyenne qui dépasse le nombre de foyers qui ont les moyens d’orienter leurs actes d’achat. Si les salaires étaient plus élevés, le Smic augmenté et porté à un niveau qui permette de vivre dignement, bien des foyers modestes amélioreraient leur quotidien alimentaire.

Reste qu’il est communément admis que bien se nourrir coûte cher, une idée à laquelle Claude Gruffat aime tordre le cou. «  Le prix conventionnel n’est pas un prix juste  », avertit-il, d’abord, parce qu’il ne rémunère pas le travail paysan, dont le revenu moyen a encore chuté de 26,1 % en moyenne l’an dernier selon l’Insee, ensuite parce qu’il «  reporte sur les contribuables la facture des externalités négatives de production. Cultiver des céréales à coups de pesticides et d’engrais pollue les sols et les nappes phréatiques. Nos impôts doivent financer ensuite la dépollution de l’eau  » (voir page 5). Pascale Brevet, qui a forgé ses armes éthiques au sein du mouvement Slow Food et se définit comme une militante du goût, déconstruit aussi le discours établi. «  Bien souvent, acheter de la matière brute, fraîche et cuisiner soi-même ne revient pas plus cher que l’achat en grande surface de produits déjà transformés  », explique-t-elle, manière de rappeler que l’alimentation recouvre aussi des enjeux culturels, sociaux, environnementaux et qu’elle «  ne peut plus être réduite à un simple échange de marchandises  ».

La nécessité de soustraire l’agriculture au jeu du marché libéral

Marqueur civilisationnel de première importance, l’exception agricole ou agriculturelle sera au cœur d’un sommet alternatif au Salon de l’agriculture qui se déroule samedi au Carreau du Temple à Paris (voir ci-contre). Organisé par le média en ligne Alimentation générale, spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires, et intitulé «  Sortons l’agriculture du Salon  », de multiples conférences et ateliers vont mettre en débat la nécessité de soustraire l’agriculture au jeu du marché libéral en la sortant des griffes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Ce faisant, il participe à amplifier les mouvements alternatifs qui essaiment sur le territoire depuis une bonne dizaine d’années. Amap, marchés paysans, explosion de modes de distribution en circuit court, notamment sur Internet, implantation de magasins de producteurs, engouement pour les produits locaux, associations pour la réappropriation de la terre, initiatives de ventes de fruits et légumes au prix juste, regroupement de producteurs en coopératives, commerce équitable Nord/Nord… Le contournement du système est actif. Mais il pèse encore peu de poids face aux lobbys des multinationales et reste réservé à une frange de la population éduquée, qui a les moyens d’acheter. Pour un réel effet boule de neige, la politique doit prendre la main. Mais, prévient Gilles Fumey, qui porte l’idée que bien manger doit devenir un droit indépendant de toute notion de revenu, pour «  nous débarrasser de cette tutelle des grands groupes, il va falloir les affronter  ». Claude Gruffat, engagé depuis plus de trente ans dans le développement à grande échelle de l’agriculture biologique, considère que, avec «  la mise en route d’un mouvement d’augmentation des volumes, une production bio made in France à prix accessible est possible. Le débit est encore faible et les opérateurs de transformation peu nombreux, éloignés les uns des autres. En changeant d’échelle, tous ces coûts intermédiaires vont baisser, et les prix avec  ». Le président de Biocoop appelle à mettre fin au système «  non pollueur payeur  » qui pénalise les paysans convertis au bio puisqu’ils doivent assumer le coût des contrôles. Il porte aussi la proposition d’instaurer une «  TVA équitable  », augmentée pour les produits issus de cultures polluantes, diminuée pour celles qui intègrent les coûts des externalités négatives. Si, au pays de la gastronomie, le modèle alimentaire est un bien collectif, il est alors temps de se doter d’une politique publique qui mette en œuvre les principes définis par la FAO  : l’accès à une alimentation suffisante en quantité et en pouvoir nutritionnel, l’accès à des aliments sains et à une alimentation choisie.

Paule Masson, L’Humanité


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