«  Garantir aux paysans le droit de vivre de leur travail  »

vendredi 5 mai 2017.
 

Laurent Levard a participé à la rédaction du programme agricole de la France insoumise. La résolution de la crise paysanne passera par un prix rémunérateur et le développement d’une agriculture écologique, défend-il.

Un agriculteur se suicide tous les deux jours. Existe-t-il une réponse spécifique à ce drame  ?

Laurent Levard Il y a évidemment des réponses d’urgence à apporter à ceux qui sont en détresse. Mais c’est sur le fond qu’une politique agricole peut agir. La cause première de ces suicides relève de situations économiques dramatiques et d’une absence de perspectives, souvent liée au surendettement. C’est à cela qu’il faut s’attaquer, en commençant par garantir aux producteurs des prix rémunérateurs et stables. Quotas, prix minimum d’achat, coefficients multiplicateurs… plusieurs outils peuvent être mis en œuvre. Quoi qu’il en soit, la garantie d’un prix rémunérateur est la reconnaissance par la société que les agriculteurs ont le droit, en contrepartie de fournir une alimentation de qualité pour tous, de vivre de leur travail. Au-delà, il faut mettre fin à cette politique qui, avec la complicité du système bancaire, pousse les paysans au surendettement. Les suicides, enfin, sont aussi le produit d’un très grand isolement des agriculteurs. Il faut renforcer les réseaux leur permettant de travailler ensemble. Favoriser, par exemple, les formes collectives d’expérimentations agroécologiques.

Vous défendez la relocalisation des productions. Beaucoup d’agriculteurs revendiquent au contraire plus de soutien à l’export afin de garantir des débouchés à l’international. Erreur de stratégie  ?

Laurent Levard Le modèle basé sur l’exportation des matières premières agricoles n’est pas une solution. Si le solde de la balance commerciale agricole française est positif, c’est essentiellement grâce aux produits transformés de qualité, singulièrement les fromages et les vins. Concernant le gros des matières premières, nos exportations sont concurrencées par les importations. C’est lisible  : la valeur ajoutée de l’agriculture française est en décroissance continue depuis vingt ans. En outre, la fragilité des revenus agricoles est liée au fait que l’on s’aligne sur les prix du marché mondial avec, à l’arrivée, beaucoup de volatilité. On le voit avec le lait  : la fin des quotas et la stratégie de viser le marché mondial provoquent une catastrophe économique et sociale…

On a pourtant le sentiment que le monde agricole ne souhaite pas revenir aux quotas…

Laurent Levard On a souvent tendance à limiter le monde agricole au syndicat majoritaire. Or, celui-ci représente davantage les agriculteurs sûrs d’être encore là dans une génération que l’intérêt de tous les agriculteurs. Ce sont généralement les plus gros et les plus solides qui défendent la logique de compétitivité sur le marché mondial. Si certains veulent tenter d’aller concurrencer les exportations de céréales de l’Ukraine, ou celle de poudre de lait de la Nouvelle-Zélande, qu’ils le fassent. Mais sans aides publiques. La collectivité n’a pas à financer une démarche qui n’est pas d’intérêt général.

Vous assurez que l’on peut créer 300 000 emplois en dix ans. Comment arrivez-vous à ce résultat  ?

Laurent Levard En analysant les systèmes d’agriculture écologique – productions biologiques, transformations à la ferme, circuits courts… –, on note qu’ils utilisent en moyenne 50 % de travail en plus. Or, aujourd’hui, il y a environ 600 000 actifs agricoles. Une agriculture écologique pourrait donc créer 300 000 emplois.

Jean-Luc Mélenchon défend l’idée de réduire la consommation de viande. Est-ce compatible avec l’intérêt des éleveurs en détresse  ?

Laurent Levard Totalement. D’un point de vue environnemental et au vu des enjeux liés au changement climatique, cette baisse de consommation de viande est indispensable dans l’ensemble des pays riches. Cela ne veut pas dire qu’il faille supprimer l’élevage. Il joue un rôle important dans le système agroécologique, par exemple pour recycler la matière organique ou se passer d’engrais chimiques. Beaucoup de surfaces pâturées permettent, en outre, de stocker le carbone. Ce qui doit diminuer drastiquement, c’est l’élevage intensif, singulièrement dans les régions où il se concentre. À l’inverse, il faut réintégrer l’élevage là où il a disparu. Cela va dans le sens d’une agriculture paysanne, favorable aux petites exploitations et présente dans tous les territoires.

Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


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