Que faire au second tour de la présidentielle ? Lettre à mes amis de la France insoumise

mardi 9 mai 2017.
 

Les militants de la France insoumise se sont prononcés aux deux tiers en faveur de l’abstention ou du vote blanc au second tour. Un choix qui se veut simplement indicatif, discuté ici par Roger Martelli.

Certains d’entre vous savent que mon engagement aux côtés de Jean-Luc Mélenchon est tout aussi dénué de complaisance qu’il est amical, solide et ancien. J’ai apprécié la vigueur et la fraîcheur de votre combat depuis plus d’un an. J’ai noté que celui que l’on accuse si souvent de césarisme vous a laissés, librement, exprimer votre opinion. Vous avez été très nombreux à le faire et votre avis n’est pas pour moi insignifiant. Deux tiers d’entre vous se sont portés vers l’option d’une abstention ou d’un vote blanc. Je tiens à vous dire, très fraternellement, pourquoi un choix en ce sens ne peut pas être le mien.

Ce qui nourrit le FN

La gauche est écartée du second tour. La faute en incombe à ceux qui l’ont épuisée, par des décennies de renoncements. Une confrontation Fillon-Mélenchon aurait mis face à face les adversaires de l’égalité et ses partisans. Le premier tour nous condamne à trancher entre un champion de la finance et une reine de l’exclusion.

Comment, dans ces conditions, ne pas être tenté par le refus d’un tel choix ? Nous savons ce qui nourrit depuis plus de trente ans la montée du Front national : d’abord le fait que les catégories populaires ont le sentiment qu’elles ont été abandonnées par ceux-là mêmes qui, en théorie, auraient dû les défendre et les soutenir. Ce n’est pas un hasard si, depuis les années 1980, les plus fortes poussées du Front national ont eu lieu alors que la gauche gouvernait.

Macron continuera sans broncher dans le sens des normes libérales. Il pouvait faire un signe aux centaines de milliers de ceux qui se sont opposés à la loi Travail du printemps dernier. Il leur a sèchement signifié une fin de non-recevoir. Il laissera donc se creuser les inégalités, se réduire les protections, s’accroître la précarité des statuts. Ce faisant, il attisera les colères et nourrira les ressentiments qui, à coup sûr, créeront la possibilité d’une poussée décisive des options frontistes. Voter Macron, ce n’est donc en aucun cas écarter durablement Marine Le Pen des chemins du pouvoir. Si, une fois élu, nous le laissions faire, nous verrions à coup sûr tomber les dernières digues qui empêchent encore l’extrême droite de s’imposer.

Mais la victoire immédiate du FN aurait bien d’autres conséquences. Malgré ses belles paroles, elle n’ouvrirait pas vers une politique sociale. Marine Le Pen critique l’Union européenne et l’euro. Où a-t-on vu qu’elle le fait parce que le cadre européen actuel n’est utilisé que pour pérenniser les règles de l’accumulation financière, c’est-à-dire la logique « pure » du bon vieux capitalisme ? Est-ce au nom de l’égalité qu’elle se dresse contre ce qu’elle appelle pudiquement le « système » ? Non : elle le fait au nom de l’exclusion. L’Europe est condamnable parce qu’elle ne pratique pas la préférence nationale.

L’ordre fondé sur l’exclusion

Macron veut poursuivre dans le sens, suggéré depuis longtemps, de la concurrence et de la gouvernance. Le Pen ne luttera pas en pratique contre ces deux pivots du désordre actuel. Elle y ajoutera un recul sans précédent de la norme démocratique. Elle prétend rassembler le peuple contre les élites ; en réalité, elle divisera le peuple un peu plus. On commencera par écarter les Roms, les errants, les migrants, les minorités de tout type. Peu à peu, on installera l’idée que seuls les « bons » Français peuvent partager la table « France ». Les bons : ceux qui sont respectueux de l’ordre et de la bienséance, des racines occidentales et de la hiérarchie naturelle.

On peut à juste titre penser que Macron s’en tiendra à une démocratie rabougrie, où s’imposera le choix seul des « compétents », technocrates de toutes obédiences et de toutes nationalités. Le Pen, elle, inaugurera peu à peu une ère où l’ordre fondé sur l’exclusion permettra de se passer purement et simplement de la démocratie, quelles qu’en soient les limites imposées par sa forme « bourgeoise ».

Or cette démocratie réduite n’a jamais empêché que s’enfle la lutte sociale. La République, même mutilée, a été le régime où pouvait, avec le plus de liberté, se déployer l’espérance dans des lendemains qui chantent. Macron, quelle que soit l’ampleur de son score au second tour, aura contre lui un mouvement populaire d’autant plus fort que, pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, une gauche bien à gauche aura frôlé la barre des 20%. Mais dans quel pays régi par une droite extrême a-t-on vu s’étendre la lutte et le combat libre pour la « Sociale » ?

Il nous sera plus facile de poursuivre notre combat dans un quinquennat macronien que dans un quinquennat frontiste. Une victoire d’Emmanuel Macron ne devrait pas produire un raz-de-marée législatif en sa faveur. Un score élevé de Marine Le Pen pourrait bien envoyer à l’Assemblée un bataillon de frontistes qui aviveront la crise démocratique et perturberont pour longtemps le seul débat qui ait un sens démocratique : celui sur l’égalité et sur les conditions de son exercice.

La possibilité de la lutte

On a toutes les raisons de penser qu’un vote Macron n’est pas une solution d’avenir, que cela ne produira aucune amélioration et débouchera sur de nouvelles aggravations. Mais nous devons aussi nous persuader que la victoire et même une simple poussée spectaculaire de Le Pen déboucheront sur le pire du pire. La politique du Front ne produira pas d’égalité ; elle divisera le peuple ; elle étouffera l’impulsion démocratique. Avec Macron, nous aurons l’inégalité et la possibilité de la lutte ; avec Le Pen, nous aurons l’inégalité et l’ordre draconien de la démocratie étouffée.

Mettre un trait d’égalité entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, c’est admettre que les deux protagonistes sont équivalents dans une compétition démocratique. Qu’on le veuille ou non, cela implique une banalisation de l’exceptionnel. Mais, à ne pas voir le loup, les brebis risquent fort d’être dévorées.

Le succès sans appel de Chirac, en 2002, ne lui a pas donné de forces supplémentaires pour mener à bien ses projets. Il en sera de même pour Macron. Au contraire, si nous votons massivement pour lui, son score ne pourra pas être interprété comme une adhésion à son projet. On ne pourra y voir rien d’autre qu’un outil, la seule manière constitutionnelle de dire non à l’avènement du pire des pires. Marine Le Pen doit obtenir le pourcentage le plus faible possible. Que cela plaise ou non, cela implique que celui de Macron soit le plus élevé possible.

Le 7 mai prochain, voter Macron sera la seule manière de dire que nous voulons garder la possibilité de nous battre. Et d’abord contre lui. Car, quel que soit notre choix personnel le 7 mai, nous chercherons, tous ensemble, à faire converger la gauche et le peuple contre sa politique. Et, en le faisant, nous perpétuerons l’impulsion des valeurs fondatrices d’égalité, de citoyenneté et de solidarité.

Roger Martelli


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