Quelles ambitions pour l’école de la République ?

jeudi 1er juin 2017.
 

Rappel des faits. La question de l’enseignement primaire et secondaire reste discrète dans la campagne présidentielle. Elle cristallise cependant des choix fondamentaux pour l’avenir.

Avec les contributions de Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU, Liliana Moyano, présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) et Marine Roussillon, responsable de la commission école du PCF.

Outils de compréhension d’un monde complexe par Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU

Penser l’école de la République est fortement corrélé au projet de société que l’on porte. À cet égard, les discours de certains candidats à la présidentielle sont éclairants  ; l’absence de promotion d’un système éducatif résolument démocratique, assurant à tous l’appropriation de savoirs complexes à rebours d’une volonté de sélection précoce, le repli sur les fondamentaux, voire de supposées compétences assurant l’employabilité, s’inscrit dans une société foncièrement inégalitaire. Or, pour le Snes-FSU, l’école de la République, confrontée aux problématiques de la société actuelle, une société en crise, fracturée, percutée par les évolutions induites par le numérique, la transformation du travail, se doit de répondre à de nouveaux défis en élevant le niveau de formation et de qualification des générations futures. Pour cela, elle doit se transformer en profondeur, privilégier à la concurrence le travail collaboratif, repenser l’organisation de la scolarité obligatoire en portant celle-ci à 18 ans, faire en sorte qu’éducation de masse et de qualité devienne réalité. Les maux dont souffre l’école française, minée par les inégalités, en proie au développement de la ségrégation sociale favorisée par les ségrégations sociospatiales et le développement du privé concurrentiel qui n’a aucune contrainte en termes de ­recrutement des élèves, amènent souvent à occulter les véritables débats et poser les bonnes questions.

Pourquoi, depuis le milieu des années 1980, les inégalités se sont-elles déplacées vers le haut au fil de la massification scolaire  ? Pourquoi, alors que le service public d’éducation assure toujours sa mission d’émancipation des catégories populaires, le sentiment prédominant est-il celui d’une école qui produit de l’échec, ne permet pas l’obtention de diplômes assurant une insertion durable, ne donne pas à tous une formation de même exigence  ? Redonner toute sa place à l’école de la République suppose de s’atteler à la question des inégalités, accorder les moyens humains et financiers nécessaires à l’instauration d’une culture commune propre à donner à tous et à chacun les outils de compréhension d’un monde complexe, d’action au sein de ce dernier, de maîtrise également des évolutions professionnelles. Projet ambitieux qui obligera à penser ce qu’on enseigne, comment on le fait, la place respective des cadres nationaux et de ce qui pourrait être une véritable autonomie pédagogique des équipes… ambitieux mais indispensable, si l’on veut que l’injonction à adopter et s’approprier les valeurs et principes de la ­République ne demeure pas un slogan pour de nombreux jeunes, conscients de l’écart entre ce qui est affiché et leur vécu quotidien. Partant du principe de l’éducabilité de tous, nous devons en finir avec les logiques de réformes sans véritable visée émancipatrice, avoir l’ambition de former ensemble les jeunes, de leur permettre de construire progressivement une véritable culture commune, d’accéder à un haut niveau de qualification au lycée répondant au double souci du développement de l’autonomie et de l’esprit critique comme à celui de la préparation au monde professionnel. Plusieurs conditions seront requises  : le consensus de la nation sur les missions de l’école, un temps distingué de celui des enjeux électoraux, un investissement éducatif important, le combat contre la ségrégation sociale.

Le bien commun par Liliana Moyano, présidente de la FCPE

En regardant mes enfants récemment, je me suis surprise à me dire que l’école leur avait appris le passé simple, mais rien sur le futur compliqué. Face à un monde incertain, changeant, le rôle de l’école ne cesse d’être réaffirmé, encensé comme barrière à toutes les difficultés sociales et sociétales. Face à ces enjeux, les projets pour l’école que j’ai pu lire jusqu’ici me paraissent maigres et sans vision. Entre une école qui sent la naphtaline, le tout-libéral ou des propositions séduisantes mais sans vision de long terme, nos candidats peinent à être à la hauteur des défis de demain. Nous avons hérité d’une formidable ingénierie, d’une magnifique machine, peuplée d’hommes et de femmes qui ne demandent qu’une chose, qu’on leur assigne et qu’on leur reconnaisse leur rôle social  : celui de former les citoyens de demain. Je crois à la place et à l’importance de l’école publique comme pilier de notre République. J’entends ici et là certains s’extasier sur les écoles privées hors contrat. L’école privée a toujours été l’instrument de l’entre-soi. Par nature, elle est excluante. Il y a ceux qui en sont, parce qu’ils en ont les moyens, parce qu’ils ont de bons résultats, le réseau ou les réflexes culturels. La FCPE s’est toujours élevée contre le financement de l’école privée parce qu’elle croit en l’école comme maison commune de la République. Notre République doit pouvoir regarder chacun de ses enfants et lui dire  : «  À mes yeux, tu vaux autant que ton voisin.  » Pour la FCPE, l’école se doit de jouer son rôle social, sans jamais oublier qu’elle n’est pas hors sol. Il est intolérable de voir aujourd’hui que l’école reproduit non seulement les inégalités sociales et territoriales, mais qu’elle les aggrave et les transforme en inégalités scolaires.

Notre jeunesse a parfois bien des raisons d’être en colère contre nous. Au quotidien, dans son établissement scolaire, elle vit les inégalités sociales que nous dénonçons. Et certains candidats ont le culot de lui répondre par le retour de l’uniforme, comme si tenter de camoufler la vérité pendant le temps de classe pouvait la rendre plus acceptable…

Nos enfants vivront des changements dont nous n’avons pas idée  : la révolution numérique, les bouleversements climatiques, les migrations économiques toujours plus grandes, les mutations du travail, l’inversion du rapport aux savoirs, demain l’intelligence artificielle dans leur quotidien. Pourtant, nous continuons à leur apporter les solutions d’hier, alors qu’ils pensent déjà aux problèmes de demain.

Pire, nos politiques prônent l’individualisme, quand nos enfants ont soif de solidarité et d’entraide. Comment qualifier la mise en concurrence des établissements par l’autonomie ou la valorisation du privé, sinon en parlant d’individualisme  ? Il est toujours aisé de renvoyer sur les individus les choix que la société n’a pas su faire. Nous devons choisir d’investir dans notre jeunesse. Il ne s’agit pas uniquement de postes d’enseignants ou de bâti scolaire. Il s’agit d’une véritable réflexion sur l’élève en tant qu’enfant face aux apprentissages et futur citoyen. Un jeune qui se construit, fait des erreurs, essaie, mais qui a envie de réussir sa vie. Nous, les adultes, chacun dans notre rôle – parents, éducateurs, citoyens –, que pouvons-nous faire pour accompagner chaque enfant, chaque jeune à avoir confiance en ses capacités  ?

Notre responsabilité collective est immense. Nous devons faire de l’école et de la jeunesse notre priorité pour leur offrir un droit à l’avenir, nous devons faire de l’école le bien ­commun de la République et garantir à chaque jeune le droit à la réussite.

Faisons gagner l’égalité par Marine Roussillon, responsable de la commission école du PCF

Marine RoussillonResponsable de la commission école du PCFAprès cinq ans de «  priorité à l’éducation  », le tableau est bien sombre  : des réformes – celle des rythmes scolaires, celle du collège – imposées aux enseignants et aux parents largement hostiles  ; des inégalités toujours prégnantes  ; une ambiance générale de pénurie. L’école de la République est en crise, la «  refondation  » annoncée n’a pas eu lieu. Et le débat sur l’école est réduit à des slogans démagogiques. Pour faire avaler la pilule de l’austérité et des suppressions de postes, Fillon comme Macron ont choisi de nous parler… des programmes d’histoire. Sans les avoir lus. Comme si la République pouvait se passer d’offrir à ses citoyens la même école partout, à condition de leur parler de Charlemagne. Pour séduire l’électorat enseignant déçu par Hollande, Macron promet le retour des classes bilangues. Voilà pour le projet de société  ! Pour le reste, il reprend le programme libéral qui fut celui de Sarkozy  : moins de cadres nationaux, plus de concurrence entre les établissements. Le résultat, on le connaît  : plus d’inégalités. La pauvreté du débat est inquiétante. Elle révèle l’étendue du consensus libéral sur la construction d’une école à plusieurs vitesses. Il y a pourtant des questions ­essentielles qu’il serait grand temps de poser. En premier lieu, celle des objectifs de l’école  : sélectionner une élite ou faire réussir tous les élèves  ? Les savoirs jouent un rôle de plus en plus important dans nos sociétés, dans le travail comme dans le débat démocratique  : l’école doit-elle les réserver à quelques-uns ou permettre leur appropriation par tous  ? Grâce aux parlementaires communistes, le principe que «  tous les élèves sont capables d’apprendre et de progresser  » est inscrit dans la loi. Encore faut-il le mettre en œuvre. Cela passe par une transformation de l’ensemble du système scolaire. L’urgence est de construire une école non seulement de la mixité, mais de l’égalité  : une école qui ne se contente pas de mélanger les élèves, mais qui se fixe les mêmes ambitions pour tous. C’est une deuxième question essentielle  : comment en finir avec la ségrégation scolaire  ? En s’attaquant à la concurrence entre privé et public, par la suppression des aides publiques à l’école privée et la mise en place de contraintes nouvelles  ; à la concurrence entre les établissements par la construction d’une offre de formation homogène sur tout le territoire et le retour à une carte scolaire contraignante. Troisième question  : faut-il plus ou moins d’école  ? Depuis dix ans, les pouvoirs politiques ont organisé la diminution du temps scolaire. C’est une rupture historique. Une politique de progrès pour l’école passe par le retour à une dynamique d’allongement du temps scolaire, pour se donner le temps d’enseigner des savoirs plus complexes à plus d’enfants  : rétablissement de la demi-journée d’école volée par la droite en 2008 (et pas remplacement par une demi-journée d’animations périscolaires), garantie du droit à l’école dès 2 ans pour toutes les familles qui le souhaitent, allongement de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans. Dans ce temps scolaire prolongé, les contenus et les pratiques doivent évoluer pour faire réussir tous les élèves. Mais ce ne sont ni les politiques, ni les experts improvisés qui peuvent dicter aux enseignants la meilleure manière de faire leur métier. Les injonctions à faire des dictées ou à pratiquer la classe inversée sont absurdes et inefficaces. Donnons plutôt aux enseignants les moyens, matériels mais aussi théoriques, de faire évoluer leurs pratiques. Cela passe par la relance de la formation initiale et continue, et la mise en place de temps de concertation inclus dans le service. Enfin, pour transformer l’école, il faut plus de fonctionnaires. Comment les candidats de droite, Macron compris, peuvent-ils envisager de supprimer des postes, quand il y a encore des classes sans professeur à la rentrée, des collèges sans infirmière, sans assistante sociale, sans conseillère d’orientation, des petites sections de maternelle à trente par classe  ? Le quatrième débat essentiel est celui qui porte sur les moyens du service public d’éducation nationale. Non seulement il est urgent de créer des postes, mais il va aussi falloir prendre des mesures pour trouver des candidats. Il faut créer un prérecrutement sous statut de la fonction publique. L’école n’a pas besoin de coups de com, mais d’une politique publique ancrée dans la durée et dotée de moyens à la hauteur des défis à relever. Une telle politique peut rassembler largement. Emparons-nous du débat et imposons ces mesures de progrès. En 2017, faisons gagner l’égalité.

Dossier publié par L’Humanité


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