22 août 1791 Début de l’insurrection massive des esclaves à Saint Domingue (Haïti)

mardi 23 août 2022.
 

1) Importance historique de la révolution haïtienne (Ludivine Bantigny)

la révolution commencée à Saint-Domingue en 1791 est un événement inouï ; son retentissement est aussi intense qu’immense. Et pourtant, l’Occident l’a longtemps confiné dans l’oubli, tenté de l’enfermer à double tour dans les pourtours de l’amnésie. C’est qu’il fallait tenter de faire taire ce soulèvement qui a tant fait trembler les puissants.

Pour la première fois de l’histoire, une révolte d’esclaves s’achève par une victoire. Mais l’enjeu va bien au-delà : il combine l’anti-esclavagisme, l’anti-racisme et l’anticolonialisme ; il touche à l’universel et en cela ne trouve pas tout à fait son pareil. Il exprime l’émancipation par excellence, avec la constitution d’une nation noire. Cette conquête de la liberté dans le processus révolutionnaire fera dire à Aimé Césaire : « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu’elle croyait à son humanité ». On la lui fera payer cher et l’Europe tentera d’établir autour de l’île un cordon sanitaire pour éviter toute « contagion » de la révolution et de l’abolition.

Talleyrand décrira le peuple haïtien comme sauvage et barbare. En 1825, la France imposera au pays une dette considérable au prétexte de « réparations », sous peine d’intervention militaire et de rétablissement de l’esclavage ; l’État français considérait que c’était le prix à payer pour la reconnaissance de l’indépendance. C’est que la révolution haïtienne fut pour le système colonial et l’économie de plantation « une anomalie, une menace, un défi »[8]. Il fallait à toute force tenter de le briser : la France le fit par une mise au ban et par une rançon.

2) Le soulèvement du 22 août 1791

Dans la nuit du 22 au 23 août 1791 éclate une violente insurrection à Saint-Domingue, colonie française des Antilles. Esclaves noirs et affranchis revendiquent la liberté et l’égalité des droits avec les citoyens blancs.

C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de l’île ; la plus grande révolte servile de l’Histoire... et la seule qui ait réussi.

Une prospérité compromise

De son nom officiel « côtes et îles de Saint Domngue en l’Amérique sous le vent », la colonie est, avant la Révolution, la plus prospère des possessions françaises d’outre-mer grâce à ses plantations de café et de canne à sucre et à ses nombreux esclaves.

La colonie compte près de 600 000 habitants, dont 40000 affranchis, essentiellement des mulâtres, et 500 000 esclaves noirs régis par le Code noir.

Les affranchis ou libres de couleur n’ont pas les mêmes droits que les colons. Le port de l’épée et le titre de Monsieur leur sont interdits, de même que certaines professions. Mais ils bénéficient d’une certaine aisance, sont très dynamiques et possèdent même un quart à un tiers des esclaves !

Pour cause de disettes, diverses révoltes frumentaires ont secoué l’île au cours du XVIIIe siècle mais ont été à chaque fois matées.

Cependant, le rapport démographique devient, plus qu’en aucune autre colonie, favorable aux esclaves, qui représentent près des neuf-dixièmes de la population à la veille de la Révolution française. Le sort de l’île va en être bouleversé.

La Révolution française déstabilise la terreur raciste des planteurs

Le 15 mai 1791, à Paris, l’Assemblée nationale accorde timidement le droit de vote à certains libres de couleur. Cette demi-mesure inquiète les planteurs blancs de Saint-Domingue qui songent à proclamer leur indépendance pour préserver leur île des idées séditieuses venues de Paris.

Elle ne satisfait pas davantage les intéressés, qui, tel Vincent Ogé, réclament une véritable égalité de droit avec les colons, tout en restant fidèles au roi. Les négociants blancs, qui bénéficient de l’exclusif (protection douanière), demeurent comme les affranchis fidèles à la monarchie et s’opposent en cela aux planteurs.

Affranchis mulâtres, négociants et planteurs blancs commencent à s’affronter, n’hésitant pas à associer leurs esclaves noirs à leurs querelles et à leur confier des armes. Dans un deuxième temps, ils vont pousser les esclaves de l’autre camp à la révolte. Dans un troisième temps, enfin, ils vont leur promettre la liberté.

Toutes les conditions de la révolte étant réunies, le culte vaudou et le marronnage vont provoquer l’explosion.

Un combat pour la liberté et l’égalité

Des nègres marrons (ainsi appelle-t-on les esclaves qui ont fui les plantations et se sont réfugiés dans les forêts) revendiquent l’abolition de l’esclavage au cours d’une cérémonie vaudou au Bois-Caïman, près de Morne-Rouge, sous la direction d’un prêtre vaudou, Boukman, le 14 août 1791. Cette revendication débouche sur une insurrection dans la nuit du 22 au 23 août 1791, avec le fameux Boukman entouré de ses lieutenants Romaine le prophète, Hyacinthe, Georges Biassou, Jean-François.

Des centaines de sucreries et de caférières (plantations de café) sont détruites. Les Blancs eux-mêmes sont massacrés par centaines. C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de la prospère colonie.

Les insurgés noirs ne tardent pas à recevoir le soutien des affranchis, irrités que les représentants de l’Assemblée nationale aient fait exécuter plusieurs d’entre eux, dont le célèbre Vincent Ogé.

Les premiers combats révèlent les talents militaires d’un cocher de 48 ans nommé François Toussaint. Fils d’un Africain du Bénin, il a reçu une éducation sommaire. Affranchi quinze ans plus tôt, en 1776, il a pu acquérir une propriété de 13 hectares et vingt esclaves !

Lorsqu’éclate l’insurrection, François Toussaint entre au service de Georges Biassou. Il ne tarde pas à faire la preuve de son courage et de ses talents de stratège. Le surnom de L’ouverture ou Louverture s’ajoute à son nom en raison de la bravoure avec laquelle il enfonce les brèches !

Le 28 mars 1792, la nouvelle Assemblée législative établit une égalité de droit entre tous les hommes libres (à l’exception des esclaves) mais cette nouvelle demi-mesure intervient trop tard pour arrêter l’insurrection.

Saint Domngue en 1793

En 1793, l’Espagne entre en guerre contre la France. Madrid, qui occupe la partie orientale de l’île, Santo Domingo, offre à Georges Biassou et François Toussaint Louverture de combattre les Français à ses côtés en échange d’une promesse de liberté générale.

Les insurgés acceptent et Toussaint Louverture reçoit le grade de lieutenant général dans les armées espagnoles. Il commande 4 000 hommes et bientôt vole de succès en succès. Libérés grâce à la Révolution française

À Paris, l’insurrection est perçue comme une révolte royaliste de type vendéen, qui bénéficie - fait aggravant - de l’appui des Anglais et des Espagnols. Pour y faire face, la République française délègue dans l’île les commissaires Sonthonax et Polverel avec un corps expéditionnaire de six mille hommes.

Les commissaires décident en juin 1793 d’affranchir les esclaves fidèles à la République puis Sonthonax se résigne à un affranchissement général. C’est chose faite le 29 août 1793 dans la province du Nord et le 4 septembre 1793 dans les parties ouest et sud. .

Léger-Félicité Sonthonax, membre de la Société des Amis des Noirs, proclame le 29 août 1793 : « Tous les nègres et sang-mêlés, actuellement dans l’esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyen français... ».

Trois députés de Saint-Domingue gagnent Paris et convainquent la Convention de généraliser l’abolition de l’esclavage à l’ensemble des colonies françaises par le décret du 6 pluviôse An II (4 février 1794).

La guerre en 1794 1795 et les victoires de Toussaint Louverture

Voyant cela, certains planteurs n’hésitent pas à appeler les Anglais à leur secours. Trois mois plus tard, en mai 1794, 7 500 soldats anglais venus de la Jamaïque voisine débarquent à Haïti et s’emparent de la capitale, Port-au-Prince.

Heureusement pour la France, Toussaint Louverture prend conscience de la fragilité du soutien espagnol : Madrid tarde à concrétiser sa promesse de libération des esclaves. Le 18 mai 1794, le héros noir change de camp et fait front commun avec les révolutionnaires français, leur sachant gré d’avoir libéré les esclaves. Il intervient avec ses troupes aux côtés du général Étienne Laveaux et la Convention le nomme général de division le 17 août 1794.

Dans le même temps, en juin 1794, une expédition commandée par Victor Hugues débarque en Guadeloupe. Victor Hugues émancipe les esclaves et, en six mois, reprend l’île aux Anglais. Il a moins de chance avec la Martinique qui reste aux mains des Anglais. Au nom de l’« isonomie républicaine », la Guadeloupe comme Saint-Domingue sont élevées au rang de départements français.

À Saint-Domingue, les Anglais sont battus et décimés par une épidémie de fièvre jaune à laquelle les Noirs sont, eux, presque insensibles. Triomphant, Toussaint Louverture se débarrasse en 1795 de Sonthonax en le faisant élire député à l’assemblée des Cinq-Cents.

Il reprend le sud de l’île à son rival, le mulâtre Ribot, et, en octobre 1798, reçoit la reddition définitive des Anglais au nom de la République française.

La fin de la révolution haïtienne

Il prend dès lors en main le gouvernement de l’île et s’applique à rassurer les planteurs. La prospérité ne tarde pas à revenir. Il est vrai que le nouveau maître de l’île oblige ses frères de couleur à travailler comme salariés dans les plantations dont ils étaient auparavant les esclaves ! Il signe à cet effet un décret le 12 octobre 1800.

Toussaint Louverture réoccupe le 27 janvier 1801 la partie orientale de l’île, que l’Espagne avait cédée à la France en 1795 par le traité de Bâle. Cette initiative déplaît à Napoléon Bonaparte, qui gouverne la France à ce moment-là avec le titre de Premier Consul. Il met un terme à l’« isonomie républicaine » et établit pour les colonies une législation spéciale.

Le libérateur de Saint-Domingue n’en a cure et le 8 juillet 1801, il proclame l’autonomie de l’île et se nomme Gouverneur général à vie de la nouvelle République.

Bonaparte, excédé, envoie à Saint-Domingue une expédition commandée par son beau-frère, le général Leclerc, en vue de le débarrasser des « nègres dorés », autrement dit les généraux de couleur. Il s’ensuit une guerre impitoyable contre les troupes venues de la métropole, avec, au bout du tunnel, l’indépendance.

Joseph Savès https://www.herodote.net/22_aout_17...


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