Législatives : Zoom sur le PCF et France insoumise

samedi 24 juin 2017.
 

Les résultats du premier tour des législatives n’ont pas été à la hauteur de la présidentielle pour les anciens alliés du Front de gauche. Mais les 13,7% de suffrages confirment le regain d’une gauche bien à gauche… dont les équilibres internes ont changé.

Le lecteur trouvera en annexe un tableau qui présente les résultats du PCF et de la France insoumise dans les circonscriptions, les départements et 750 communes ayant fait ou faisant partie de l’espace du « communisme municipal ». Il pourra mettre en regard les résultats de dimanche dernier avec ceux des élections précédentes, de 2002 à aujourd’hui, présidentielles comme législatives.

Une France insoumise solidement installée

Que la France insoumise n’ait pas pu réaliser le rêve d’une majorité parlementaire et d’une occupation du pouvoir ne saurait occulter le fait majeur : le jeune mouvement lancé en 2016 par Jean-Luc Mélenchon est devenu la première formation d’une gauche par ailleurs bien affaiblie. À elle seule, avec ses 2,5 millions de suffrages et ses 11%, la France insoumise fait mieux que les deux partis qui furent les pivots de la gauche française, le PC et le PS (9,1% au total).

L’histoire ne manque certes pas de formations éphémères, qu’une conjoncture stimule et qui s’effacent une fois qu’elle s’est estompée. Pour tout dire, la gauche de gauche n’est vraisemblablement pas au terme d’une recomposition qui l’installerait dans la durée. Mais, dans l’immédiat, force est de constater que la France insoumise a pour le moins marqué une option pour être au cœur de cette recomposition.

Le tableau des hiérarchies départementales montre ainsi la réalité d’une implantation qui se caractérise par sa densité et son équilibre. On trouve ainsi autant de départements (48) au-dessus de la moyenne nationale (11,2% en France métropolitaine) que de départements au-dessous. Sans doute le sommet du tableau n’offre-t-il pas les très forts pourcentages de la France communiste d’hier. Sans doute cela explique-t-il le décalage qui semble encore exister entre l’influence nationale et la capacité à s’imposer massivement sur le plan local.

Mais le plus significatif est dans l’existence d’une distribution relativement resserrée. En dehors de la Haute-Corse, aucun département ne se situe au-dessous des 5% et seule une trentaine se trouve sous le seuil des 10% d’exprimés.

Quant à la répartition géographique du vote, elle confirme ce que la présidentielle avait révélé. Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise se sont installés dans les territoires historiques de la gauche, ceux que se partageaient ou que se disputaient le PC et le PS au XXe siècle.

Les dix premiers départements d’influence, pour FI, sont significatifs de cette assise :

- Ariège : 19,5%

- Seine Saint Denis : 17,9%

- Alpes de Hte Provence : 15,9%

- Haute Garonne : 15,7%

- Hérault : 15,1%

- Somme : 15%

- Lot : 14,9%

- Hautes Pyrénées : 14,7%

- Loire Atlantique : 14,3%

- Dordogne : 13,9%

- Aude : 13,8%

A contrario, l’implantation reste plus faible dans le Centre et dans l’Ouest, et notamment dans les départements moins urbanisés (Allier, Cher) qui sont devenus, depuis le milieu des années 1980, des pivots de ce qui reste de vote communiste.

Il est à noter que la consultation législative a moins mis en évidence le troisième ancrage du vote Mélenchon. Depuis 2012, ce vote a connu un essor spectaculaire dans les zones de forte densité urbaine, et en particulier dans le cœur des métropoles. Or les caractéristiques de ce vote atypique, la propension plus grande à l’abstention des jeune et des catégories populaires ont quelque peu atténué le trait cette fois-ci. Encore que les bons résultats dans la couronne parisienne et à Paris même laissent entendre que, si le mouvement est atténué, il n’a pas disparu pour autant.

Les déboires du PCF

Pour le PCF, ces élections s’annonçaient délicates. Le vote de dimanche l’a entériné. Le PCF, avec 2,7% d’exprimés, enregistre le score le plus bas de son histoire législative, à peine au-dessus du très décevant résultat de la présidentielle de 2007 (1,9%). Il est aux deux tiers du niveau atteint aux législatives de 2007 (4,3%), les dernières où ils se présentait sous sa propre bannière. En 2012, l’alliance du Front de gauche avait permis de redresser la barre dans les départements où il se marginalisait, sans pour autant interrompre l’érosion de ses zones d’influence ancienne. Le mouvement s’est encore accentué cette année.

Les tableaux en annexe permettent de cerner un peu mieux le bilan. Le PCF ne frôle les 10% que dans le Puy-de-Dôme, qui fait partie de la vingtaine de départements qui ont mieux résisté que les autres dans la dernière décennie. Partout ailleurs, le recul est sensible, une autre vingtaine de départements reculant de plus de la moitié du niveau initial, dans l’Est, le Centre et la région parisienne. Au total, quarante départements le placent au-dessous de la barre des 2%. Dans de nombreuses circonscriptions, le PCF est aujourd’hui voué à la marginalité électorale, pas très loin de ces « gauchistes » dont il s’est longtemps gaussé, afin de délégitimer radicalement leur propos.

Les zones de force se sont rétractées sévèrement : le PCF ne dépasse les 5% que dans dix départements qui ne sont plus le socle territorial ancien du monde ouvrier industriel et de l’expansion urbaine. La poussée du Parti socialiste, dans les années 1970-1980, avait peu à peu déstabilisé les assises de l’organisation communiste, qui a perdu à la fois dans les catégories très populaires et dans les couches moyennes des périphéries urbaines. L’essoufflement du PS aurait dû le revigorer : ce n’a pas été le cas. Pour l’instant, c’est la dynamique impulsée par Jean-Luc Mélenchon qui s’est installée dans les habits anciens de la France communiste. Quand la banlieue retrouve des couleurs, ce n’est plus celles du communisme urbain du siècle précédent.

L’observation du cadre municipal n’infirme pas le constat, bien au contraire. Entre 2008 et aujourd’hui, le PCF a été à la tête d’environ 750 communes de toutes tailles. Un des tableaux en annexe résume l’évolution du PC dans cette série de communes, qui ont été longtemps le noyau du « communisme municipal ». Au début du siècle, le PCF se situait encore dans une fourchette de 20 à 25% dans les consultations législatives nationales. En 2017, le total des scores du PC et de FI dépasse nettement le seuil des 25%. Mais ce ne sont pas les communistes qui en tirent bénéfice.

Si l’on s’en tient aux 750 communes concernées, on constate un équilibre presque parfait entre le PCF (13,9%) et la France insoumise (13,8%). La situation est plus délicate en région parisienne où le PC a reculé de plus de la moitié sur son score de 2007. Il est vrai que dans deux circonscriptions importantes (Saint-Denis et Bagneux), les candidats communistes se présentaient sous l’étiquette de la France insoumise.

On trouvera en annexe deux hypothèses, selon que l’on attribue le score des candidats communistes, ou à la France insoumise auquel ils ont été officiellement rattachés. La première hypothèse (le classement officiel) met la France insoumise en tête (17,8% contre 11,6% pour le PCF ; la seconde les remet en position d’équilibre (13,9% pour le PC, 13,8% pour FI. Dans tous les cas, on n’oubliera pas que les suffrages se seraient vraisemblablement répartis plus ou moins en cas de concurrence, comme le montre la plupart des cas où cette concurrence a été effective. On peut donc légitimement pencher pur un avantage réel à la France insoumise, que que part entre les deux hypothèses.

Une nouvelle étape : délicate ou propulsive ?

La gauche entre dans une nouvelle étape de son histoire. On a beaucoup disserté sur le « dégagisme » des électeurs français, qui reste à confirmer ou à infirmer au second tour. Le bilan définitif sera tiré dans quelques jours, mais la séquence électorale devrait avoir sanctionné la fin irrémédiable d’un long cycle politique du XXe siècle.

La droite a hésité pendant quelques décennies. Elle a tenté un temps l’aventure d’un capitalisme industriel mâtiné d’État-providence et de légitimité quasi monarchique des institutions de 1958. Le gaullisme y puisa ses ressources. Elle a essayé ensuite la voie libérale, sous des formes multiples, patelines (Jean-Pierre Raffarin) ou plus rugueuses (Nicolas Sarkozy). Elle n’a pas trouvé son équilibre, d’autant moins qu’elle a été perturbée par la pression du Front national. Le néo-centrisme macronien peut-il réussir à phagocyter la droite classique ? Rien n’est moins sûr. Mais la droite est devant des jours difficiles, qu’annonçait le vote inattendu des électeurs de la primaire et que la campagne électorale a amplifiés.

Il ne sert à rien de disserter longuement sur la crise irrémédiable qui précipite la fin du socialisme mitterrandien. Quatre décennies d’ajustements libéraux et de reculades centristes l’ont épuisé, en France comme dans beaucoup de pays européens. Il est peu probable qu’un de ses courants anciens soit en état de resouder la famille socialiste dans son ensemble. Restera-t-il une variante plus proche de la social-démocratie, comme le dessine le modèle britannique de l’étonnant Jeremy Corbin ? Les socialistes s’égailleront ils entre le parti démocrate macronien et une gauche de gauche rebâtie ? On verra.

Retenons pour l’instant la concomitance de deux évolutions. Le PCF a amorcé depuis longtemps son recul ; le PS l’a rejoint dans la débâcle. Sans doute cette concomitance nous dit-elle que, si la gauche n’a peut-être pas fini sa longue vie (plus de deux siècles), elle ne devrait plus reprendre la forme dominante qu’elle a prise au siècle dernier, dans le face-à-face persistant du communisme et du socialisme. Chacun à leur façon, ils ont dominé la part gauche de notre univers politique. Ils incarnaient la rupture ou l’adaptation, mais ils essayaient de le faire, depuis quelque temps, dans un temps et dans une société qui ne gardent du passé que la spirale inégalitaire et la dépossession du plus grand nombre. Nés d’un autre siècle, ils devaient d’une façon ou d’une autre se ressourcer en profondeur pour ne pas perdre la main. Ils n’ont pas su ou pas voulu le faire. L’histoire est cruelle pour ceux qui n’osent pas changer vraiment. D’autres formes devraient donc prendre la place, sans tarder, sous peine de laisser l’esprit de refondation aux tenants de l’ordre social dominant.

Il se dit souvent, depuis dimanche, que la dynamique Mélenchon du premier tour de la présidentielle est retombée à la législative. Il est vrai que la France insoumise est loin des 19,6% du 23 avril. Mais le total du PCF et de FI approche tout de même les 14%. Or, en 2012, les 11,3% de la présidentielle étaient devenus un timide 6,9% aux législatives qui suivirent et, pour le coup, Jean-Luc Mélenchon n’y était pour rien. Proportionnellement, le résultat de cette année est finalement un peu meilleur que celui de 2012.

Toutefois, on attendait bien sûr beaucoup mieux. L’histoire ne se réécrit pas avec des « si ». On ne manquera pas de rediscuter, une fois achevé le cycle, de ce qui s’est passé depuis quelques mois et de la manière dont a été négocié le passage de la joute présidentielle au combat plus territorialisé de la législative. D’autres impulsions, d’autres postures, d’autres mots auraient peut-être pu produire des effets plus dynamiques.

On n’oubliera pas toutefois ce qui reste le fond du problème. La gauche de gauche, contrairement au PS, a retrouvé des couleurs, comme on l’a redit plus haut. Mais elle n’a pas encore trouvé l’épaisseur populaire que le PC avait su stimuler en son temps. La France insoumise a ancré son action territorialement, mais les « sommets » n’ont pas atteint encore partout le seuil de crédibilité qui font de la gauche de rupture le pivot de rassemblements qui la débordent. Le PCF a vu s’effriter ses zones de force ; la gauche de gauche ne les a pas encore pleinement reconquis, quand bien même elle a fait un pas important dans cette direction.

Pour y parvenir, les débats de fond, on le sait, ne manqueront pas dès la semaine prochaine. La référence à la gauche est-elle forclose ? La gauche de gauche est-elle d’ores et déjà et définitivement « la » gauche tout entière ? La conflictualité du « peuple » et de « l’élite » suffit-elle à construire une nouvelle hégémonie pour un état d’esprit de rupture ? Comment concilier la clarté du projet et l’ouverture du rassemblement, le renouvellement radical et la force des traditions populaires ? En bref, comment devenir majoritaire, sans s’enliser dans les méandres des compromis et des consensus à bas prix ?

Et, par-dessus tout, quelle force pour impulser tout cela ? Le Front de gauche est derrière nous. Les cartels n’ont plus de ressort. La forme ancienne du parti est malade. La France insoumise s’est imposée, incontournable. Mais l’organisation politique dans la durée, conciliant cohérence et souplesse, rigueur stratégique et ouverture, est devant nous, comme un objectif réaliste, mais non advenu de façon déployée. Une seule force, un seul courant, une seule organisation peut-elle assumer la réalisation de cet objectif ? C’est peu probable. Mieux vaut voir, comme c’est une chance incommensurable, le fait qu’aucune porte ne soit refermée.

Le temps n’est plus où des « conditions », des exigences draconiennes semblaient parfois être la condition pour séparer l’ivraie et bon grain, l’opportuniste supposé et le bon révolutionnaire… Rassembler et non repousser : cela reste l’alpha et l’oméga des victoires futures.

Roger Martelli, 15 juin 2017


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