Sarah Legrain : « L’espoir de la France insoumise peut se concrétiser à l’Assemblée »

mardi 20 juin 2017.
 

Après l’élimination de Jean-Christophe Cambadélis dans le 19e à Paris, Sarah Legrain affronte au second tour Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État "En Marche". Elle fait le bilan de la campagne insoumise et formule ses engagements pour le mandat qu’elle espère.

Regards. Vous avez participé à l’élimination du premier secrétaire national du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dimanche dernier. Est-ce une victoire en soi ?

Sarah Legrain. Dans la mesure où il incarnait le bilan de François Hollande, les nombreux reniements du Parti socialiste, la logique de fief, le cumul des mandats, l’absentéisme à l’Assemblée et l’utilisation de son mandat pour tenir le PS plutôt que pour rendre des comptes à ses électeurs, alors oui, dans ce sens, c’est une première étape – d’abord pour les électeurs. Mais mon objectif principal est de pouvoir les représenter, et cela se joue dimanche.

Vous affrontez Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique, qui avait soutenu les campagnes de Ségolène Royal en 2007 puis de François Hollande en 2012. C’est un candidat de gauche ?

Il est ministre d’un gouvernement qui s’apprête à mettre en œuvre des politiques classiquement de droite, dont les membres aux postes-clés sont explicitement issus des rangs de la droite ou des lobbies proches du Medef. Non seulement il n’est pas aussi neuf qu’il veut le faire paraître, dans la mesure où il a été un représentant du hollandisme, mais il emprunte une voie encore pire lorsqu’il déclare qu’en France, il est trop difficile de licencier.

« Nous avons mené une campagne exceptionnelle à bien des égards, en faisant venir à nous des personnes qui n’avaient parfois jamais milité. »

Vous êtes candidate dans une circonscription très populaire. Qu’avez-vous à dire aux jeunes et aux abstentionnistes pour les convaincre de voter pour vous ?

Qu’ils ont le choix et que leur message peut être entendu. Une des causes de l’abstentionnisme réside dans le sentiment que tout est joué, un sentiment largement entretenu par l’annonce d’une majorité écrasante pour la République en marche. Ce choix leur donne la possibilité de ne pas donner les pleins pouvoirs à Emmanuel Macron, qui annonce des mesures très préjudiciables pour leurs vies. Son gouvernement va s’attaquer à notre système de solidarité, de sécurité sociale, de retraites et bien entendu aux droits des travailleurs. À quoi s’ajoute la pérennisation d’un état d’urgence qui n’a pas empêché les attentats et a conduit à de graves privations de droits.

Ce message peut-il être entendu ? Quelle députée leur promettez-vous d’être ?

Ces électeurs-là ont tout intérêt à avoir des représentants qui ne seront pas sur cette ligne et défendront un programme d’émancipation. Le programme de la France insoumise les a, pour beaucoup, mobilisés au premier tour de la présidentielle autour d’un espoir qui n’est pas éteint aujourd’hui, un espoir qui peut se concrétiser à l’Assemblée et dans la durée. Je compte être une députée à 100% présente dans l’Hémicycle et dans ma circonscription pour y rendre compte des lois. Si celle-ci se montre insoumise, j’ai bien l’intention que ces habitants des quartiers populaires, ces jeunes se sentent participer de ce nouvel espoir, et le fassent grandir.

Quelles leçons tirez-vous de ces mois de campagne ?

Nous avons mené une campagne exceptionnelle à bien des égards, sur le terrain, en faisant venir à nous des personnes qui n’avaient parfois jamais milité et se sont par exemple retrouvées à faire du porte-à-porte à l’ancienne. Des actions plus originales comme les caravanes d’accès au droit, des opérations d’éducation populaire et d’aide à la population ont porté leurs fruits et donné un autre visage de la politique. La campagne autour du programme, élaboré collectivement, a aussi été très bien menée, appuyée par une présence sur les réseaux sociaux. Elle ne s’est pas limitée à faire du buzz et de la com’, mais a permis de faire venir des gens avec leurs idées et leurs moyens. Chacun a pu contribuer et entretenir un foisonnement caractéristique de la France insoumise, loin d’une organisation contrôlée et planifiée : beaucoup de choses ont fleuri dès que les gens se sont sentis à l’initiative et ont pu se former autour du programme.

« L’entre-deux tours de la présidentielle constituait un piège que nous avons eu des difficultés à gérer. »

Comment, alors, expliquer la disparition de nombreux suffrages entre le premier tour de la présidentielle et celui des législatives ?

On sait qu’il y a une forte déperdition de participation entre les deux scrutins, et une prime au gagnant de la présidentielle avec l’inversion du calendrier électoral et l’absence de proportionnelle. Ces dernières semaines, les médias ont contribué à exposer la nature de la politique que veut mener Macron, ainsi que la nouveauté factice de ceux qui l’entourent ou composent son gouvernement. Cela arrive un peu tard, mais peut contribuer à une remobilisation.

La gestion de l’entre-deux tours de la présidentielle a été critiquée…

L’entre-deux tours constituait un piège que nous avons eu des difficultés à gérer. La bonne décision a été prise de respecter la liberté des électeurs et de dire que nous continuerions le combat mené contre le Front national depuis le début de notre campagne, sans nous associer aux appels de la dernière heure émanant notamment de ceux qui, une semaine avant, expliquaient que le risque de dictature venait de Jean-Luc Mélenchon… Mais cette décision n’a pas été suffisamment bien expliquée, et les premiers mots, repris et amplifiés par les médias, ont marqué les esprits.

L’enjeu du "barrage au FN" a pris le pas, à ce moment ?

Beaucoup de gens, par ailleurs bien conscients que le "front républicain" ne marche pas à terme, ont eu peur du Front national. Cette peur est légitime, et je l’ai aussi éprouvée : j’ai estimé que la défaite de Marine Le Pen n’était pas acquise – surtout au regard de la campagne d’Emmanuel Macron à ce moment-là. Il ne fait aucun doute que Macron et Le Pen, ce n’est pas du tout la même chose, ne serait-ce que pour les possibilités de combat et pour les concitoyens directement visés par la seconde. Cela a été bien dit par la France insoumise, mais cela n’a pas été le premier message entendu. Le moment a été difficile, parce que cela a été un moment politique difficile pour tout le pays. C’était un piège dans lequel tout le monde était pris ; il fallait réussir notre communication, mais ce n’est jamais simple.

Comment voyez-vous l’avenir de la France insoumise ? Avec qui allez-vous travailler demain ?

D’abord, j’espère bien travailler avec un groupe à l’Assemblée – un groupe plus large que la France insoumise si nous voulons constituer une opposition ferme à Emmanuel Macron. Ces législatives ont été l’occasion de montrer le caractère collectif de la France insoumise, de faire valoir une diversité de visages, de générations, de parcours, et j’espère que cette diversité se matérialisera dans l’avenir du mouvement. Un enjeu majeur sera de proposer à tous ceux qui se sont investis de faire partie de ce mouvement politique pour, au-delà de cette campagne, l’organiser et lui donner des structures.


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