Le socialisme français et la « classe ouvrière »

mardi 27 juin 2017.
 

Le monde du travail au mouvement.

L’un des défis majeurs de France insoumise sera d’intégrer les catégories populaires dans son mouvement et de permettre de donner une issue politique à leurs aspirations.

Le socialisme français et la « classe ouvrière » par Rémi Lefebvre Professeur de sciences politiques à Reims, chercheur au Ceraps (Lille-I

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La question du rapport des catégories populaires et des partis de gauche est à nouveau discutée depuis un certain nombre d’années. Les scores électoraux et la sociologie du FN, la défaite de 2002, le renouveau des études sociologiques sur les groupes populaires  La victoire de Jean-Marie Le Pen contre Lionel Jospin à l’élection présidentielle de 2002 témoignait d’un divorce entre les classes populaires et le parti socialiste Ce signal d’alarme n’a pas été pris en compte. Cette rupture aboutit 15 ans plus tard àl’implosion du PS. Une rétrospective historique s’impose sur le rapport entre le socialisme français et la classe ouvrière.

[1][1] J. Lojkine, L’Adieu à la classe moyenne, La Dispute,... et la montée des inégalités sociales ont contribué à remettre à l’agenda cette question.

Le « divorce » entre les catégories populaires salariées (ouvriers et employés) et la gauche, et tout particulièrement le PS, a été construit comme un des enseignements saillants de l’élection présidentielle de 2002, tant dans les commentaires « à chaud » que dans les essais parus dans les mois qui ont suivi l’élection  [2][2] Voir par exemple Éric Conan, La Gauche sans le peuple,....

Le sens de ce scrutin a été pour partie fixé autour de cette thématique qui a constitué un des cadres interprétatifs les plus prégnants des commentaires journalistiques et politologiques. Les données de la sociologie électorale ont été largement utilisées à l’appui de cette thèse. La faiblesse historique du score de Lionel Jospin au sein des classes populaires (selon les sondages 12 % des ouvriers ont voté Jospin, contre 14 % Chirac et 26 % Le Pen) et son maintien chez les cadres (24 % contre 13 % pour Chirac et 8 % pour Le Pen) ont maintes fois été rappelés, de même que le succès corrélatif sans précédent des candidats trotskistes. Cette lumière portée sur le décrochage électoral des catégories populaires a conduit à laisser dans l’ombre d’autres érosions tout aussi significatives (chez les enseignants ou les salariés du public notamment 

[3][3 ] Chez les salariés du public, le candidat Jospin perd...).

Le Parti socialiste représente ou ne représente-il pas les catégories populaires ? Aborder la question de la représentativité sociale c’est déjà, d’un certain point de vue, prendre pied dans les luttes politiques dont elle constitue un enjeu (surtout dans la période critique de « refondation » de l’identité partisane que connaît le PS 

[4][4] Comme le note Jean-Paul Molinari, les catégories populaires...). La question n’a sans doute par ailleurs pas beaucoup de sens sur le plan sociologique si on la formule de cette manière. Le rapport des partis et des groupes sociaux doit en effet être analysé de manière relationnelle (les partis font les groupes qui font les partis… 

[5][5] Voir sur ce point la mise en garde salutaire formulée...). Les électorats sont des construits sociaux et politiques.

On peut d’ailleurs se demander ce que représentent les catégories populaires (c’est-à-dire ce qu’il y a à représenter). La consistance sociale et politique du groupe et son autonomie symbolique sont aujourd’hui très faibles, au point que l’on est en droit de se demander si, à l’instar de la paysannerie, les ouvriers ne sont pas devenus ce que Pierre Bourdieu nommait, dans le sillon du Marx du 18 brumaire, une « classe-objet », une classe dont les membres sont totalement dépossédés des ressources symboliques leur permettant de produire de façon autonome leur identité sociale [6][6] « Entre tous les groupes dominés, la classe paysanne....

De fait, dans l’espace public et les médias, la représentation des catégories ouvrières se raréfie ou se folklorise à l’instar de celle des paysans à partir des années 60. Les classes populaires arrimées traditionnellement au groupe ouvrier, longtemps en position centrale, sont ainsi de moins en moins représentées socialement et politiquement et tout se passe au fond comme si ces catégories étaient désormais comme invisibilisées  [7][7] Stéphane Beaud, Michel Pialoux, « Pourquoi la gauche.... Si divorce il y a, il n’est pas donc réductible à l’évolution du Parti socialiste. Il renvoie de manière plus générale à la déshérence des catégories populaires et ouvrières dans la société française. Certes les ouvriers constituent encore 28 % de la population active et « la classe populaire a connu depuis les années 60 une parfaite stabilité autour de 60 % de la population active [8][8] Louis Chauvel, «  Le renouveau d’une société de classes... ». Mais l’identité ouvrière s’est érodée, chacun en convient [9][9] La question de l’identité subjective et objective du..., sous les effets conjugués du chômage de masse et de la précarisation. Elle s’appuyait sur la force de collectifs ouvriers enracinés dans une certaine communauté de conditions et une certaine communauté d’intérêts. Ces collectifs et ces solidarités collectives au travail se sont désagrégés. La crise de l’identité ouvrière se manifeste notamment dans le refus net de la majorité de jeunes d’utiliser le mot ouvrier pour s’autoqualifier. Le mot d’« opérateur » dont les connotations sont plus mélioratives lui est préféré [10][10] S. Beaud, M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière,.... Les catégories populaires sont ainsi entrées dans une spirale de dévalorisation sociale. La forte abstention des ouvriers renforce encore ce phénomène. Leur retrait de l’espace public en fait une simple force d’appoint pour les partis de gauche en place et tout particulièrement pour le Parti socialiste qui ne semble plus miser sur cette clientèle électorale devenue marginale. Les « catégories populaires » renvoient par ailleurs aujourd’hui à des réalités sociales plus hétérogènes que jamais [11][11] Ce retour du populaire conduit à des formes d’idéalisation.... Les ouvriers ne sont plus majoritaires dans les usines. Ils se sont tertiarisés et se sont dispersés dans des unités de production de petite taille et souvent dans la sous-traitance [12][12] Voir l’analyse approfondie du vote du premier tour.... Ils ont parfois l’impression que leurs donneurs d’ordres ne sont plus leurs patrons mais leurs clients, d’où une haine qu’ils peuvent nourrir à l’égard de la société et qui peut contribuer à marquer à droite leurs opinions [13][13] Comme le montre Danilo Martucelli, les expériences.... 3 Pour autant, ces réserves exprimées, la question du rapport du Parti socialiste aux « catégories populaires » mérite d’être analysée. D’abord parce que ces catégories ont longtemps constitué un référent sociologique et politique pour le socialisme. Si les partis politiques ne sont qu’un des vecteurs de production et de diffusion des identités sociales, ils n’en concourent pas moins, à côté des syndicats, des mouvements sociaux et des groupes d’intérêt, à les légitimer et à les politiser [14][14] Frédéric Sawicki, « Les partis comme entreprises culturelles.... À travers leurs discours, mais aussi leurs pratiques et le personnel qu’ils promeuvent, ils contribuent à donner consistance à des identités sociales et à valoriser les individus susceptibles de les épouser. Le constructivisme en sciences sociales a bien établi que le processus de construction des groupes et des clivages sociaux est le résultat pour partie d’un double travail symbolique et politique. Les groupes populaires existent ainsi notamment à travers les discours et les représentations qui contribuent à les objectiver. Le groupe vit à travers la constitution et l’activation de représentations du monde et d’un langage commun face à ceux d’autres groupes. Il existe aussi à travers les porte-parole et les institutions qui parlent en son nom dans la confrontation avec d’autres groupes.

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