Battre Sarkozy ! (Politis)

mercredi 2 mai 2007.
 

Sur le coup de 19 h 30, dimanche 22 avril, dans une rue de Solferino fermée à la circulation et envahie de jeunes gens sans aucun doute emplis d’espoir et d’idéal, une immense clameur est montée vers un ciel parisien bleu azur. Cinq ans tout juste après la grimace et les larmes, les mêmes visages exultaient à l’unisson. Cris de soulagement plus que de joie : la candidate socialiste serait au second tour, entretenant même le fragile espoir d’une victoire pour le 6 mai. Et un bonheur ne venant jamais seul, deux autres motifs de satisfaction légitimaient la clameur : les Français avaient massivement retrouvé le chemin des urnes, et ils avaient donné un congé sans doute définitif à un personnage sulfureux qui hante depuis trente ans notre vie politique. Il n’était pas difficile à partir de ces événements de proposer un récit idyllique de cette belle journée du 22 avril 2007. Dans une France en pleine reconquête démocratique, Jean-Marie Le Pen a essuyé une défaite historique, tandis que « gauche » et « droite » s’apprêtent à en découdre, projet contre projet, dans la clarté et le respect mutuel. Ilexiste hélas une autre lecture de ce qui s’est passé dimanche. Un chiffre la résume : 65 %. C’est la part des Français qui ont voté à droite. Car le Front national n’a pas été battu idéologiquement par la gauche, mais politiquement par une droite dure qui a capté son héritage et n’hésitera pas à s’en inspirer.

Et si le Parti socialiste a, provisoirement au moins, conjuré les fantômes du 21 avril 2002, c’est au prix d’une campagne qui a assommé tous les autres courants de la gauche et de l’écologie, dont les électeurs ont été débauchés par la stratégie dévastatrice dite du « vote utile ». En témoigne cette étude de la Sofres qui relevait, dimanche, que 56 % des électeurs de Ségolène Royal avaient voté pour la candidate socialiste sans que celle-ci ait leur préférence, mais uniquement pour qu’elle franchisse l’obstacle du premier tour [1]. La gauche de la gauche est anéantie, et Ségolène Royal a déjà en grande partie mangé le pain blanc de son « deuxième tour ». Ce qui n’est réconfortant pour personne, pas même pour la candidate socialiste, qui n’a plus guère de réserves de voix qu’à droite... Car la stratégie du vote utile a eu cette autre conséquence de faire le succès spectaculaire de François Bayrou. C’est en lorgnant vers les 18,5 % du leader centriste que Ségolène Royal peut encore croire en une victoire toujours possible arithmétiquement. C’est ainsi que le discours sur le vote utile cesse d’être une aimable tactique de premier tour, pour devenir une stratégie de long terme qui risque de donner raison à MM. Rocard et Kouchner, ardents promoteurs d’un accord historique des libéraux modérés.

Et la gauche antilibérale dans tout cela ? Nous l’avons déjà dit : elle est en grande partie victime de la peur d’un remake du 21 avril 2002. Elle est aussi victime d’elle-même, incapable de s’unir derrière une candidature commune. Nous ne sommes évidemment pas surpris (donc pas « déçus ») par les scores tristounets de dimanche (LCR exceptée). La réalité a été conforme aux enquêtes d’opinion de ces dernières semaines. Comme nous n’avons jamais été de ceux qui croient, par déni de réalité, à des « manipulations » géantes des sondages, nous savions à quoi nous en tenir. Fallait-il pour autant rallier le vote utile, abandonner dans cette campagne les idées qui sont les nôtres ? Ou bien fallait-il faire vivre les 125 propositions issues des collectifs antilibéraux, et les faire vivre autour du seul candidat qui les reprenait toutes, José Bové ? Comme nous l’écrivions la semaine dernière, il s’agit pour nous d’un pari sur l’avenir. Le pari que l’inexorable mouvement du parti socialiste vers le centre et la mort annoncée du PCF (du moins sous sa forme actuelle) posent aux protagonistes de la gauche antilibérale la question de la recomposition. Même à la LCR momentanément rassérénée par le bon score d’Olivier Besancenot. Nous puisons un optimisme raisonné dans la vieille formule aristotélicienne à peine détournée : la politique, comme la nature, « a horreur du vide ». Il faut ajouter à cela que la présidentielle, intrinsèquement contraire à tous les principes d’une gauche... de gauche, est le terrain le plus défavorable à une entreprise collective. La meilleure façon aujourd’hui de faire vivre l’espoir, c’est d’appeler à battre Sarkozy, en pensant à tous ceux qui souffriraient dans leur chair et dans leur vie de la victoire d’un Bush à la française. E,t pour cela, d’appeler sans fioritures ni circonlocutions à voter Ségolène Royal le 6 mai. Et, si possible, de le faire unis [2] . C’est la seule façon de prendre date pour l’avenir, bien au-delà de l’échéance électorale.


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