Valence, laboratoire du changement en Espagne

dimanche 17 septembre 2017.
 

À Valence et dans la communauté autonome de Valence, entités comparables à Marseille et à la région Paca, la gauche espagnole affronte les politiques d’austérité et invente de nouvelles manières de gouverner les collectivités locales.

Le vaste scandale de la « comptabilité occulte » du Parti populaire implique plusieurs dirigeants de la droite espagnole dans le procès Gürtel. La semaine dernière, le premier ministre, Mariano Rajoy, était entendu comme témoin. L’échange de « commissions » distribuées avec largesse à des élus par les entrepreneurs du BTP pour décrocher des contrats étend ses ramifi cations dans plusieurs villes, dont Valence, épicentre du scandale. Francisco Camps, ancien président de la généralité valencienne, fut une des premières personnalités politiques à être mises en examen dès 2009. Ce contexte a fait de Valence une des quatre grandes villes espagnoles à mettre fi n au règne du Parti populaire lors des élections municipales de 2015. Depuis deux ans, Compromis, coalition de forces de gauche alternatives, multiplie les mesures sociales (lutte contre la pauvreté, pour le droit au logement, etc.) tout en retissant des liens entre la politique et les citoyens.

C’est dans le jardí del Turia, dans l’ancien lit du fleuve devenu une allée verte de plus de 100 hectares traversant la ville d’ouest en est, que se sont rassemblés, en mai, les militants et les représentants de Compromis pour fêter les deux ans de gouvernement à gauche de Valence et de la communauté valencienne. À deux pas du pont d’Alameda, surnommé la Peineta du fait de la ressemblance de son arche monumentale avec le peigne de la coiffe traditionnelle des Falleras, c’est la fête de l’«  ecuador  », de la moitié du chemin parcouru du mandat de Joan Ribo, maire de Valence et tête de liste de la Coalicio Compromis, ainsi que de Ximo Puig, du PSPV-PSOE, président de la généralité – la région au sens institutionnel. Fête de «  dos anys de politiques valentes  » en valencien, de «  deux années de politiques courageuses  », selon les organisateurs. Deux années de gouvernement et d’engagements – c’est le sens de Compromis en catalan – qui tranchent avec les années de gouvernement municipal et régional des représentants du Parti populaire, au pouvoir jusqu’en 2015, années marquées par les dépenses somptuaires, le mépris des classes populaires sous les dehors du populisme et sous couvert de la corruption – Rita Barbera, ancienne maire de Valence, est décédée un peu plus d’un an après la perte de son mandat local, deux jours après sa première comparution devant le tribunal suprême à Madrid pour répondre de l’accusation de blanchiment de capitaux au profit du Parti populaire.

«  La photo d’un couple s’embrassant sur la place de la Mairie a fait le tour des réseaux sociaux au soir des résultats  », explique Maria, évoquant l’ambiance de liesse et de soulagement qui régnait le soir du 24 mai 2015, date où les électeurs de Valence et de la communauté autonome ont mis fin à vingt-quatre années de règne sans partage du Parti populaire sur la ville et à vingt ans de gouvernement à droite de la généralité valencienne sous la houlette, successivement, d’Eduardo Zaplana (1995-2002), José Luis Olivas (2002-2003), Francisco Camps (2003-2011) et Alberto Fabra (2011-2015). La photo du couple faisait écho à celle qui avait circulé une nuit du mois de mai 2011 montrant les Indignados valenciens rebaptiser la place de la Mairie de Valence en plaça del Quinze de Maig. Fait caractéristique, celle-ci avait à nouveau circulé sur les réseaux sociaux le soir des élections municipales et régionales pour marquer la connexion des deux événements dans l’éviction des «  yonquis del dinero  », des «  accros au fric  », à la tête du pouvoir municipal et régional valencien.

L’accès à l’eau et au gaz

À l’origine de ce tournant à gauche de Valence et de sa région, parallèle à celui de Madrid, de Barcelone, de Saragosse, de La Corogne ou de Séville, pour ne citer que les principales villes espagnoles touchées par le vent de changement au lendemain des élections du 24 mai 2015 (1), la décision prise par les différents partis de la gauche, sous la pression des mouvements citoyens locaux, de s’unir autour de programmes de gouvernement collectifs. À Valence, scellé par Compromis, Valencia en Comu et le PSPV-PSOE, le pacto de la Nau. À l’échelle de la généralité, signé par Compromis, le PSPV-PSOE et Podemos, l’acord del Botanic. Au premier plan de ces engagements programmatiques en environ 35 points, la lutte contre la pauvreté infantile, contre la hausse des loyers et l’écrasement hypothécaire, ainsi qu’un ensemble de mesures en faveur du droit au logement, l’accès à l’eau et au gaz, l’éducation élémentaire publique gratuite, la programmation de la mise en place d’actions en faveur de la transparence, la lutte contre la corruption, la promotion de l’égalité de genre, le développement soutenable et la participation citoyenne. L’un des caractères les plus singuliers de ces accords étant qu’ils sont soumis à des audits permanents et constamment améliorés par consultation des citoyens dans les quartiers.

Mais ce vent de changement est aussi lié à l’affirmation, sur le terrain électoral, de nouveaux acteurs politiques de gauche, parmi lesquels Compromis – arrivé en tête de l’élection municipale de 2015 à Valence et en seconde position des élections régionales – ou encore Valencia en Comu et Podemos, cette dernière formation, issue des élections européennes de 2014, ayant joué, dans la région comme ailleurs en Espagne au moment des élections municipales, un rôle de catalyseur ou de conciliateur, plutôt que de concurrent des forces politiques locales, comme l’explique Antonio Montiel, député du Parlement régional valencien et porte-parole du groupe Podemos, sous le ficus géant du palau de les Corts.

Plusieurs milliers de personnes, dont les représentants de presque 90 organisations syndicales, associatives ou politiques, parmi lesquelles Esquerra Unida – la formation locale d’Izquierda unida dirigée par Alberto Garzon à l’échelle nationale –, Podemos, Els Verds, Bloc i Pais ou encore Compromis, ont manifesté, le samedi 10 juin dernier, pour contester les choix budgétaires du gouvernement dans les rues de Valence. Au cœur de leur protestation, l’intervention d’un État central dirigé par un Parti populaire qui, par le biais de la redistribution budgétaire, fait obstacle aux politiques de résistance à l’austérité des collectivités locales de Valence et de la région. Ou encore la loi Montoro – du nom du ministre des Finances du gouvernement de Mariano Rajoy –, qui impose aux collectivités locales de rembourser leurs dettes – dettes qu’elles ont contractées, pour Valence et sa région, au cours de la vingtaine d’années de gestion du Parti populaire – plutôt que de s’engager dans des politiques d’investissement ou d’actions sociales.

Renaissance des associations

Une intervention gouvernementale qui «  porte gravement atteinte aux droits des Valenciens  » et «  nous maltraite comme citoyens  », explique Vicent Mauri, porte-parole de l’intersyndicale valencienne. «  La représentation en Espagne du dogme néolibéral et des politiques austéritaires  », souligne pour sa part Monica Oltra, vice-présidente de la généralité et porte-parole régionale de Compromis.

Les blessures de vingt ans de gestion par le Parti populaire de la généralité et de vingt-quatre ans de mandat municipal de Rita Barbera ont laissé la région et la ville dans un état proche de la faillite et sous haute tension sociale. Mais, pour Valence, avec une dette de 1,2 milliard d’euros en 2012 réduite de moitié en deux ans, le paiement des fournisseurs passé de 60 jours à 4,4 jours en moyenne, des services sociaux exsangues qui se rétablissent peu à peu, les investissements dans les transports publics et dans le soutien aux familles, la vie associative et culturelle en pleine renaissance, le travail sur la mémoire historique relancé, les espaces de dialogues citoyens «  toutes portes ouvertes  », le terrain repris sur les ruines laissées par la droite valencienne – dans un contexte, il faut le souligner, où la propriété ecclésiastique échappe à l’impôt, c’est-à-dire d’un manque à gagner fiscal local considérable (2) –, elles ne sauraient être sous-estimées malgré de nombreux problèmes toujours à surmonter.

Un esprit revanchard règne à droite

En déplacement dans le Cabanyal, ancien quartier de pêcheurs situé au bord de la mer, paupérisé à outrance sous le mandat de Rita Barbara en vue de faire passer un boulevard en son cœur et de le livrer au féroce appétit des spéculateurs immobiliers, Joan Ribo, confronté à l’impatience légitime des habitants du quartier, a concédé les difficultés de la municipalité sur le sujet malgré les travaux de réhabilitation en cours, trop lents pour certains habitants. Journaux et médias locaux et nationaux à la solde du Parti populaire ont souligné le fait comme un aveu de faiblesse. Il tranche en fait avec le style grand seigneur de Rita Barbara. Un violent esprit revanchard aux accents de nostalgie franquiste pour qui tous les coups bas sont permis règne à droite, dans une partie de la ville, de la région et de l’Espagne. La construction d’une alternative se heurte à la force réactionnelle d’un pouvoir social et économique qui la place sous une menace constante. Il reste deux ans aux gouvernements de gauche de Valence et de sa région pour briser sur le terrain la démagogie du Parti populaire au service des intérêts de la minorité sociale qui fulmine, depuis deux ans, de ne plus régner sans partage sur l’Espagne.

Comme le suggère El Olivo, le dernier film d’Iciar Bollain (3), évoquant l’histoire d’un olivier millénaire déraciné et vendu à une grande entreprise du nord de l’Europe par un paysan de l’arrière-pays valencien criblé de dettes, le chemin à parcourir par l’Espagne et Valence est encore rude pour se retrouver entièrement après l’ivresse des années de mensonges du libéralisme financiarisé. À Valence, la résistance se dresse à la manière des palmiers du pays. Les plus anciens d’entre eux, centenaires, et les plus résistants dans les tempêtes, ont plusieurs troncs ou stipes, unis et indéracinables.

Jérôme Skalski, L’Humanité

NOTES

(1) Squatter le pouvoir, les mairies rebelles d’Espagne, de Ludovic Lamant, Lux, 2016.

(2) À l’échelle du pays, un manque à gagner pour le Trésor public espagnol estimé – fourchette basse – à plus de 11 milliards d’euros par an, toutes fiscalités confondues.

(3) El Olivo, d’Iciar Bollain, Haut et Court Distributeur, DVD, 2016.


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