L’Afghanistan et la malédiction des matières premières

mercredi 13 septembre 2017.
 

Les énormes gisements de minerais découverts dans le sous-sol du pays pourraient faire son bonheur ou le plonger dans un chaos sans fin.

Des géologues [américains] ont découvert en Afghanistan d’immenses gisements de fer, de cuivre, d’or et d’autres minerais, a annoncé The New York Times à la une de son édition du 14 juin. Si elles étaient exploitées, ces ressources, estimées à 1 000 milliards de dollars, pourraient transformer profondément le pays. Mais serait-ce pour le meilleur ou pour le pire ? Les Etats dotés d’extraordinaires richesses minérales (par exemple, la république démocratique du Congo (RDC), la Bolivie ou l’Irak) sont souvent aux prises avec des problèmes économiques et politiques tout aussi extraordinaires. L’Afghanistan a déjà son lot de difficultés. Cela ne signifie pas pour autant que le pays est irrévocablement condamné à subir ce que certains chercheurs ont appelé la “malédiction des matières premières”.

Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que des changements s’effectuent du jour au lendemain. Les grands projets miniers prennent des années – parfois plus d’une décennie – pour prendre forme, même en temps de paix. Certes, les industriels sont tellement désireux de tirer parti des nouvelles découvertes qu’ils sont prêts à travailler dans des conditions incroyablement difficiles. Ces dernières années, des sociétés du monde entier se sont disputé le droit d’exploiter les plus petits gisements d’Afghanistan. Mais nombre des bassins miniers récemment découverts se situent dans des zones contrôlées par les talibans, qui manquent cruellement d’infrastructures. Le jour est encore loin où le pays pourra en tirer profit.

Mais, quand ce jour viendra, ce sera pour l’Etat afghan une véritable aubaine. En Afghanistan, comme dans pratiquement tous les pays du monde à l’exception des Etats-Unis, tout ce qui se trouve sous terre appartient à l’Etat. Les entreprises doivent lui acheter les droits d’exploitation, auxquels s’ajoutent les primes de signature, les redevances et autres paiements. Le groupe public chinois China Metallurgical Group, qui a remporté en 2007 l’appel d’offres pour une mine de cuivre relativement modeste au sud de Kaboul, a accepté de verser à l’Etat 400 millions de dollars [320 milliards d’euros] chaque année – une somme considérable pour un pays dont les revenus annuels, hors aide internationale, n’atteignent pas 1 milliard de dollars [800 millions d’euros].

Hélas, les pays semblables à l’Afghanistan – où la corruption sévit, où l’Etat de droit est minimal et l’administration peu performante – dilapident en général une grande partie de la manne. Des milliards ont ainsi échappé aux caisses de l’Etat en Angola, au Cameroun, en RDC, au Nigeria et dans d’autres pays africains dotés d’immenses richesses minérales mais qui ont un gouvernement faible. Cet argent a financé la corruption et le clientélisme, mais aussi des projets bien intentionnés mais mal préparés, mal réalisés ou mal entretenus.

L’administration afghane figure déjà parmi les plus inefficaces de la planète. Depuis 2007, elle n’est parvenue à collecter que 7 % du PIB en recettes fiscales, l’un des taux les plus bas du monde, selon le Fonds monétaire international. Cela illustre également la fragilité du pouvoir dont dispose le gouvernement sur la population. L’Etat survit essentiellement grâce à l’aide internationale, qui couvre environ 70 % de son budget. Les revenus générés par les matières premières rempliront ses caisses et finiront peut-être par lui permettre de se passer de la générosité des pays étrangers. Mais ce qui importe, c’est l’usage qu’il fera de ces fonds – qui, à la différence de l’aide extérieure, ne sont soumis à aucune condition.

Que le peuple afghan en bénéficie ou non, cet afflux de revenus profitera, sur le plan politique, à celui qui sera alors aux commandes, Hamid Karzai ou un autre. Les dirigeants des pays en développement bien pourvus en ressources naturelles restent au pouvoir bien plus longtemps que les autres. Ainsi, malgré la descente aux enfers dans laquelle il a entraîné son pays, Mobutu Sese Seko a conservé son emprise sur la république démocratique du Congo trois décennies durant. En Libye, Muammar Kadhafi tient la barre depuis plus de quarante ans et ne semble pas disposer à la lâcher. Les politiques aux poches bien remplies se font beaucoup d’amis. Pour autant, ils ne sont pas nécessairement plus compétents ni plus populaires. Ils durent seulement plus longtemps. En général, dans les pays en développement, plus il y a de richesses minérales, moins il y a de démocratie.

Il y a toutefois de quoi être mo­dérément optimiste. Même si elles accroissent la corruption et permettent au pouvoir en place de se maintenir à Kaboul, les richesses minérales favoriseront peut-être suffisamment le décollage économique pour que la paix s’instaure. Si les pays pauvres sont aussi souvent en proie aux insurrections, c’est notamment parce que l’engagement dans des forces rebelles représente pour des paysans misérables un moyen de gagner leur vie. Certaines études montrent que lorsque les salaires augmentent dans le civil, les groupes armés ont plus de mal à recruter et les violences diminuent. Un boom de l’exploitation minière pourrait fournir de nombreux emplois non qualifiés, emplois qui conviendraient précisément aux jeunes gens susceptibles de combattre dans les rangs des talibans.

Certes, les richesses naturelles peuvent déclencher les violences au lieu d’y mettre fin. Mais ce scénario survient en général quand elles sont concentrées (comme c’est parfois le cas pour le pétrole) dans une région dominée par une minorité ethnique qui réclame l’indépendance ou lorsqu’elles sont faciles à piller et à re­vendre en contrebande à l’étranger, comme les diamants. Mais, en Afghanistan, la diversité des minerais et leur dispersion sur l’ensemble du territoire limitent peut-être ce risque. Plus ces richesses créeront d’emplois, moins il y aura de combats.

Le Botswana et le chili s’en sont bien sortis

Certaines économies fondées sur l’exploitation minière sont florissantes. Ainsi, le Botswana, riche en diamants, est le pays d’Afrique qui connaît depuis des décennies la plus forte croissance, et le Chili, qui fournit près du tiers du cuivre produit dans le monde, est l’un des pays les plus riches et les plus prospères d’Amérique latine.

L’une des clés d’un développement minier réussi réside dans l’existence d’un Etat fort, capable de négocier avec les industriels des contrats dont les termes lui sont favorables et de contrôler leurs activités. En Afghanistan, le ministère des Mines est depuis longtemps considéré comme l’un des plus corrompus, ce qui n’est guère surprenant. Même les Etats-Unis présentent un bilan mitigé en matière de gestion de l’industrie des matières premières, comme en témoigne la catastrophe provoquée par BP dans le golfe du Mexique. Contrôler une importante industrie minière constitue une tâche ardue, même dans les meilleures conditions.

Au moins quelques membres du gouvernement Karzai prennent visiblement ces problèmes au sérieux. En janvier dernier, le ministre des Finances, Omar Zakhilwal, a reporté l’attribution des concessions d’exploitation de fer et de pétrole, à l’évidence pour prévenir la corruption. Et, en février, le gouvernement a signé l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), une convention internationale visant à encourager les entreprises à publier ce qu’elles paient et les Etats à révéler ce qu’ils reçoivent. C’est un premier pas sur un chemin semé d’embûches mais néanmoins praticable.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message