Quatennens (FI) : Loi travail, « Oui c’est un coup d’État social »

mercredi 20 septembre 2017.
 

Entretien avec Adrien Quatennens, député France insoumise en pointe contre la réforme du code du travail voulue par le gouvernement.

Vous avez été élu député en juin. À peine entrés à l’Assemblée, vous avez dû, avec les députés de la France insoumise, engager la bataille contre la réforme du Code du travail.

En effet, Macron a choisi de lancer cette réforme – qui est l’une des plus emblématiques de son quinquennat – tout de suite, au beau milieu de l’été, sans même laisser aux députés le temps de prendre leurs marques. Cela en dit long sur long sur ses méthodes, et sur sa conception de la démocratie Nous étions, comme la plupart des députés, novices à l’Assemblée. Et les choses sont allées très vite. Le texte d’habilitation à prendre les ordonnances a d’abord fait l’objet d’une petite semaine d’étude à la commission des affaires sociales (où je siège avec mes camarades Caroline Fiat et Jean-Hugues Ratenon), en présence de Muriel Pénicaud. On nous a prévenus tout d’un coup qu’il fallait rendre les amendements deux ou trois jours plus tard – le jour même de la convocation du Congrès à Versailles. Alors nous avons fait tout notre possible : nous nous sommes enfermés dans une pièce et, dans ce court laps de temps, avec les moyens du bord, et l’aide multiforme d’experts et d’insoumis, nous avons produit plus de 130 amendements. Pas pour faire de l’obstruction, comme certains l’ont dit. Cela aurait été plus facile ! Mais pour faire un vrai travail de décryptage et de critique. Le problème, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un projet de loi – où les mesures sont présentées explicitement – mais d’un texte d’habilitation, qui se contente de fixer le périmètre à l’intérieur duquel le gouvernement va pouvoir faire ce qu’il veut. Le travail d’amendement n’en est que plus difficile : il faut repérer les non-dits et les pièges du texte. Malgré tout, nous avons fait notre travail, en proposant des amendements qui restreignaient au maximum le périmètre du texte ou qui annulaient ou inversaient sa logique. Tous nos amendements ont été rejetés en commission. Nous n’avons pas été maltraités, mais le dispositif parlementaire était verrouillé. Quand j’ai demandé quelle part de ces amendements seraient retenus, on m’a répondu « 0%, évidemment » - comme si cela allait de soi.

Puis la bataille a continué dans l’hémicycle…

Oui. Quand le texte est venu en discussion dans l’hémicycle, nous nous sommes efforcés d’allonger la durée du débat. Il fallait en effet contrer la stratégie gouvernementale, qui consistait à faire en sorte que tout cela se passe sans heurt, sans bruit et en vitesse, pendant les vacances. Nous avons notamment déposé une motion de rejet préalable. Et c’est à moi qu’est revenue la responsabilité de présenter, dans un discours d’une demi-heure devant l’Assemblée, notre position sur ce texte et, plus largement, d’exprimer notre refus de sa philosophie générale. Je crois qu’on a pu, à cette occasion, se faire entendre et comprendre de beaucoup de Français. Et montrer, aussi, les capacités et la détermination du groupe. Néanmoins, les débats dans l’hémicycle, comme en commission, étaient verrouillés. Le texte est parti au Sénat quasiment dans sa version originale. Il a d’ailleurs été validé par la majorité sénatoriale de droite, qui y a naturellement trouvé son compte, et qui n’a fait qu’enfoncer un peu plus le clou planté par Emmanuel Macron. La commission mixte paritaire, à laquelle j’ai participé, a repris le texte du Sénat. Cette phase du processus parlementaire touche à sa fin. [NDLR : les ordonnances rédigées ont été présentées le 31 août. Après leur présentation au conseil des ministres le 22 septembre, elles devront faire l’objet d’un vote de ratification par le Parlement pour entrer définitivement dans la loi] Nous restons convaincus que ce projet est non seulement régressif, mais dangereux.

Vous refusez les ordonnances sur le code du travail présentées par le gouvernement. Que peut-on reprocher à ce projet ?

D’abord, sa philosophie générale. Il part d’un diagnostic erroné. Pour le gouvernement, comme pour tous les réformateurs néolibéraux, le chômage de masse est lié au « coût » (trop élevé) du travail et à un manque de flexibilité. C’est ce que l’on nous répète depuis 20 ans. Pour nous, le problème est ailleurs : dans les carnets de commande des entreprises qui sont vides. Sans compter la prédation du capital, qui prélève une part trop élevée des bénéfices et enraye ainsi l’investissement. Dire que le chômage est lié aux conditions de l’emploi, qui décourageraient l’embauche, est stupide : il y a en France 1 emploi non pourvu pour 300 chômeurs. Et les études de l’OCDE ont montré qu’il n’y a pas de corrélation entre le contenu du droit du travail dans un pays et le taux de chômage. Si l’on veut relancer l’emploi, il ne s’agit donc pas de précariser encore un peu plus les travailleurs : il faut faire repartir l’investissement et l’activité.

Quelles dispositions concrètes vous semblent les plus dangereuses ?

La grande régression, c’est bien sûr le renversement de la hiérarchie des normes et la fin du principe de faveur. Dans le droit, jusqu’ici, la loi fixe le socle des droits. Les accords de branche ne sont valables que s’ils améliorent les dispositions prévues par la loi. Et les accords d’entreprises que s’ils améliorent les conditions fixées par l’accord de branche. La loi Travail XXL brise ces principes : en accordant une place prépondérante à l’accord d’entreprise, il promet, à terme, un code du travail par entreprise. Certes, le gouvernement fait valoir que certaines délégations restent au niveau des branches. Mais il y a 700 branches en France. Veut-on 700 Codes du travail différents ? La prépondérance de l’accord d’entreprise est présentée par le gouvernement comme un pari sur le « dialogue social ». Mais qui peut croire que le rapport « social » dans l’entreprise, entre l’employé et son patron, est un libre dialogue, sur un pied d’égalité ? C’est d’abord – pas seulement, mais d’abord – un rapport de subordination, un rapport de force. Pour nous, c’est la loi, résultat d’une négociation à grande échelle, qui doit prévaloir et non l’accord d’entreprise produit d’un rapport de force personnel par définition inégal.

J.L. Mélenchon a également dénoncé, lors de sa conférence de presse du 6 septembre, le caractère profondément anti-syndical de la nouvelle loi Travail...

La réforme organise le contournement de la représentation syndicale. D’abord en fusionnant les Instances représentatives du personnel (IRP) – comités d’entreprises, comités d’hygiène et de sécurité, délégués du personnels – dans lesquelles les syndicats sont très investis, et qui constituent des lieux d’expertise, de veille et de défense des salariés. Ensuite en permettant aux patrons de soumettre un accord au vote des salariés sans l’aval des syndicats majoritaires. Le gouvernement prétend que c’est une mesure démocratique : on (re)donnerait ainsi la parole aux travailleurs. En réalité, il s’agit de briser les collectifs de lutte, pour mieux faire passer des mesures régressives. On connaît l’exemple du référendum des usines Smart en Moselle : « consultés » par leur patron, sans la médiation des collectifs syndicaux, les salariés en sont arrivés, pour conjurer les menaces de délocalisation, à accepter une hausse de leur durée de travail, et une baisse des salaires. C’est le rêve de Macron : atomiser les collectifs au travail pour permettre le dumping social.

Le gouvernement veut aussi généraliser le « CDI de chantier ». De quoi s’agit-il ?

Le « CDI » de chantier n’a pas grand-chose à voir avec un CDI. Il combine les défauts du CDI et le pire du CDD. Il prévoit d’emblée la fin du contrat, mais sans en préciser la date, qui est laissée à la libre appréciation de l’employeur. Le gouvernement veut l’étendre à d’autres secteurs que son secteur d’origine, le bâtiment. Par exemple l’informatique. Aujourd’hui, dans une entreprise qui fournit des prestations informatiques, le salarié garde, entre deux missions, des droits continus. Avec le « CDI de chantier », il sera désormais sans contrat de travail entre deux missions. Embauché, débauché, rembauché à l’envi…

La loi Travail XXL prévoit également l’encadrement des indemnités prudhommales…

La barémisation des dommages et intérêts est une mesure particulièrement violente. Il s’agit de fixer le prix d’un préjudice à priori. Un employeur pourra désormais savoir à l’avance combien lui coûtera un licenciement sans cause réelle et sérieuse. On parle bien ici des licenciements abusifs ! C’est une drôle de conception du droit. Prenons l’exemple d’un syndicaliste qui dérangerait l’employeur par son engagement au sein de l’entreprise, il sera possible pour l’employeur de faire un calcul d’intérêt pour savoir combien cela lui coûterait de s’en séparer de façon arbitraire. Encore une fois et sans considérer que les employeurs soient déviants, ces ordonnances ouvrent un champ des possibles qui peut faire de nombreux dégâts.

Il n’y a donc rien de bon attendre de cette réforme ?

Rien. Elle ne restaurera pas l’emploi. D’ailleurs, le MEDEF, ridiculisé par les promesses de Gattaz sous le quinquennat Hollande, a déjà pris ses précautions, et prévenu qu’il ne fallait pas s’attendre à des créations d’emploi massives. Peut-être constatera-t-on, comme dans des pays voisins, un regain de l’emploi précaire. Car le pari de Macron se résume à cela : le remplacement du chômage de masse par la généralisation du précariat. Mais faire baisser un peu le chômage par la précarisation de tous, c’est une fuite en avant, pas une solution. Bref, ce projet est inefficace pour l’emploi et néfaste pour les salariés. Mais pas pour les actionnaires, dont la rémunération est au plus haut dans notre pays.

La France Insoumise parle de « coup d’Etat social ». N’est-ce pas excessif ?

Le coup de force est évident. Emmanuel Macron assume sa préférence pour les riches. Non seulement avec la loi Travail XXL, mais avec la baisse des APL, le reversement de l’ISF aux plus riches, ou la liquidation brutale des emplois aidés, qui s’apparente à un gigantesque plan de licenciement. Alors, oui, c’est un coup d’État social. Nous ne contestons pas, bien sûr, l’élection du président Macron, mais plutôt la qualité de son mandat. Tout le monde sait qu’il a été élu dans un océan d’abstention, et que beaucoup l’ont choisi pour faire barrage à Marine Le Pen. Il n’y a pas d’adhésion massive à son projet idéologique. Les Français n’ont pas voté pour un nouveau choc néolibéral. C’est ce que nous allons lui signifier le 23 septembre, à Paris dans la rue.

On a largement commenté l’existence de deux dates de mobilisation, le 12 et le 23 septembre. Penses-tu que l’unité d’action est possible, et que la lutte peut payer ?

Ceux qui insistent sur la prétendue division entre mouvement syndical et mouvement politique sont des commentateurs (rarement désintéressés), mais pas les militants. La séparation entre sphère syndicale et sphère politique est une tradition française, que nous respectons. Nous ne commentons pas les stratégies syndicales, mais nous sommes toujours derrière les syndicats, en renfort, dans les grandes mobilisations – comme cela a été le cas ce 12 septembre. L’appel à manifester le 23 septembre, c’est notre contribution à nous. Elle correspond à une conviction forte : la question de la loi Travail XXL ne concerne pas seulement les membres des syndicats, ni même les salariés du privé qui sont immédiatement touchés, mais l’ensemble des citoyens. C’est l’ensemble du pays qui est appelé à se prononcer, sur un projet de société. Et ici, un mouvement politique a toute sa place. Quant aux chances de succès, je suis entré dans l’action politique par la mobilisation contre le CPE, en 2006. Je sais donc, d’expérience, qu’un mouvement social puissant et bien organisé peut parvenir à contrer une loi néfaste.

Propos recueillis par Antoine Prat.


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