Réchauffement climatique : les coraux se cachent pour mourir

jeudi 16 novembre 2017.
 

B) Réchauffement climatique. Sale temps pour les coraux

D’après l’Unesco, les vingt-neuf sites coralliens classés au patrimoine mondial auront disparu d’ici à 2100… Une échéance optimiste, selon le Centre du patrimoine mondial.

« Hâtons-nous, jouissons  !  » s’exclamait Alphonse de Lamartine. Le temps presse en effet. Pour la jouissance, on repassera  : avant la fin du siècle, il se pourrait que nul ne puisse encore s’extasier devant le patrimoine corallien mondial. L’Unesco a réalisé en avril dernier la première évaluation scientifique mondiale des impacts du changement climatique sur les récifs coralliens. Le résultat est sans appel  : si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites, les 29 sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco pourraient être rayés de la carte d’ici à 2100. «  Quand on regarde les scénarios futurs, c’est clair qu’il faut agir  », lance Fanny Douvere, responsable des sites marins au Centre du patrimoine mondial, pour qui «  l’horizon fixé est probablement optimiste  ». Et de poursuivre  : «  Chaque génération voit les coraux, admire leurs couleurs mais aucune ne se rend compte de leur dégradation progressive.  » 20 % des récifs auraient déjà disparu

Les coraux ne sont donc plus aussi beaux qu’avant… ni aussi nombreux. Pour l’Institut océanographique de Monaco, 20 % des récifs auraient déjà disparu. Qui plus est, le phénomène de blanchissement, observé pour la première fois en 1983, s’intensifie. «  Les trois dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, rapporte l’Unesco. Elles ont provoqué un événement de blanchissement corallien qui a affecté 72 % des récifs inscrits au patrimoine mondial.  » La maladie et la surexposition à la lumière ont, dans un premier temps, été incriminées. À tort  : le blanchissement est en fait le signe d’un affaiblissement critique du corail, conséquence d’épisodes de fortes chaleurs trop rapprochés, eux-mêmes induits par le réchauffement climatique.

Dans le détail, le corail vit en symbiose avec des microalgues, les zooxanthelles, qui réalisent pour lui la photosynthèse. Elles lui apportent des ressources nutritives et lui permettent de se développer pour former des récifs. L’augmentation de la température des océans, même minimale (1 à 2 degrés Celsius), perturbe cette balance symbiotique et provoque une réaction presque physiologique  : tout comme le corps humain expulse les bactéries qui l’affectent, les coraux expulsent les zooxanthelles qui dysfonctionnent sous l’effet de la chaleur. Ce faisant, ils perdent la couleur que les microalgues leur conféraient et laissent apparaître leur squelette. «  Le blanc pur des récifs une fois qu’ils ont expulsé leurs zooxanthelles est trompeur car les coraux sont alors très vulnérables et finissent souvent par être recouverts d’algues filandreuses, ce qui signifie qu’ils sont morts  », explique Joachim Claudet, chercheur du CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement. «  De fait, les coraux sont en compétition pour l’espace avec des macroalgues, ajoute-t-il. Lorsqu’ils blanchissent, ils deviennent plus faibles et la domination, en quelque sorte, s’inverse. Il y a un changement de régime.  »

Selon lui cependant, le blanchissement n’est pas le seul facteur de disparition des coraux  : «  Les pressions exercées sur les récifs coralliens sont de diverses natures et interagissent entre elles.  » Le touriste compte ainsi au nombre de leurs principaux prédateurs, «  plus d’un million de brins de corail étant prélevés puis emportés chaque année  ». L’impact de la surpêche est également notable. «  S’il y a moins de poissons, la résilience de l’écosystème, sa capacité de récupération, diminue. Les poissons herbivores, par exemple, ont un rôle de régulation de l’écosystème corallien.  »

Certes, mais alors  ? Alors, près de 25 % de la faune marine dépendent des récifs coralliens  ; avec eux la sécurité alimentaire, le bien-être économique et le lien social d’une grande partie de la population mondiale. L’Unesco estime à 1 000 milliards de dollars la valeur sociale, culturelle et économique des récifs coralliens. Robert Calcagno, directeur de l’Institut océanographique de Monaco, chiffre par ailleurs à 500 millions le nombre de personnes dont «  la vie et la survie  » sont menacées par la réduction des récifs coralliens. «  Une réorientation de leur économie serait difficile, d’autant qu’elle concernerait des populations pauvres, vulnérables pour la plupart  », estime-t-il. Certains États voient leur existence même menacée, autant du point de vue des ressources que de la fragilisation de leur territoire. Les récifs constituent en effet de véritables brise-lames, qui protègent les côtes des coups de tabac maritimes. Tant et si bien qu’« une migration climatique est envisagée très sérieusement par la population de Kiribati, un archipel d’îles coralliennes dans le Pacifique  », au dire de Robert ­Calcagno. Celui-ci souligne enfin la «  sympathie  » presque générale pour les coraux, «  une espèce riche, belle, colorée  ». Ce qui éveille la curiosité ne semble pas suffire néanmoins à «  réveiller les consciences  », car la mise en danger des coraux, dont le tort principal est d’avoir élu domicile sous les eaux, loin du regard humain, ne concentre que peu d’attention. Heureuses déjà soient les communautés menacées  : à défaut d’être protégé, l’animal, au moins, est coloré.

Marion Gauthier, L’Humanité


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