Compte-rendu du Sommet du Plan B à Lisbonne (21-22 octobre 2017)

dimanche 26 novembre 2017.
 

Le 5ème sommet du Plan B, qui a eu lieu les 21 et 22 octobre à Lisbonne, était organisé par le Bloc de gauche au Portugal (Bloco de Esquerda). Il a permis de débattre sur une stratégie commune à la gauche radicale pour sortir du néolibéralisme en Europe.

Si un certain nombre de débats continuent d’être contradictoires, ce sommet a confirmé que les individus et forces sociales et politiques présentes au Plan B partagent de plus en plus une critique radicale du « déficit social et démocratique »1 des institutions européennes à partir de laquelle une stratégie commune peut être pensée. Outre l’Union économique et monétaire, de nouveaux enjeux ont été abordés, notamment la politique militaire de l’UE, l’auto-détermination des peuples (dans le contexte des événements récents en Catalogne) et les luttes féministes. La participation des mouvements sociaux, dans les intervenant-e-s et dans le public, bien que toujours insuffisante, était considérablement plus importante que lors des éditions précédentes. Le spectre des forces sociales et politiques représentées était dans l’ensemble plus important, de même que la présence militante, qu’on peut estimer à environ 400 personnes lors des deux journées.

En résumé, les débats ont porté d’abord, dans le « pré-meeting sur les villes rebelles », sur l’articulation des différents niveaux de lutte contre le néolibéralisme : local, national et européen. Deux positions étaient représentées : celle consistant à accorder la priorité au niveau local, et notamment municipal, et celle consistant à dessiner un continuum entre les mouvements de désobéissance au niveau local, national et international. Dans la séance d’ouverture, « Le Plan B et la situation politique en Europe », les intervenant-e-s (à l’exception de Declan Kearney, du Sinn Fein) se sont positionné-e-s contre la possibilité de réformer les institutions européennes de l’intérieur et ont affirmé la nécessité d’une stratégie de désobéissance coordonnée, entre différents pays et à divers niveaux d’action. Catarina Martins, coordinatrice du Bloco de Esquerda, a abordé les avancées acquises dans le cadre du soutien du Bloco au gouvernement actuel, mais aussi les impasses et points aveugles des négociations en cours entre le Portugal et l’UE (notamment au sujet de la renégociation de la dette publique). Elle a également apporté un soutien sans réserve, comme la majorité des intervenant-e-s, au droit d’auto-détermination en Catalogne.

Au cours de la session « Dix ans après le Traité de Lisbonne – le Plan Merkron pour le futur de l’Europe », les intervenant-e-s ont tou-te-s mis en relief l’impossibilité de mettre en œuvre des politiques sociales, même keynésiennes, dans le cadre des traités actuels. Là encore, le cas portugais a été discuté : si les avancées sont incontestables (augmentation des salaires et des retraites), l’austérité imposée à travers les réformes structurelles (privatisation des services publics et interdiction de l’investissement public notamment) sont non négociables avec l’UE. Ce constat était également partagé dans la session, plus technique, sur « La gouvernance de l’euro et la dette : quelle forme de rupture avec l’UEM ? ». Dans l’ensemble, les intervenant-e-s (notamment Francesco Louça du Bloco de Esquerda et Nikos Chountis d’Unité Populaire) ont convenu de la nécessité économique d’une désobéissance et d’une rupture non seulement avec les traités, mais aussi avec les institutions de la zone euro, incluant la nationalisation des banques et un contrôle public des marchés. La critique de la zone euro et les pistes alternatives ont également été abordées du point de vue de la nécessité d’une transition écologique coordonnée au niveau européen.

Deux sessions ont accordé une place centrale aux mouvements sociaux. La première, « La désobéissance civile peut-elle sauver la démocratie européenne ? », a été l’occasion d’un débat intéressant qui, rapprochant notamment les cas de la Grèce, du Portugal et de la Catalogne, a montré que toute forme de contestation de l’ordre politique établi en Europe, désormais, se confrontait nécessairement, sans possibilité de négociation, aux institutions européennes. La deuxième session, « Le rôle des mouvements sociaux dans la lutte pour les droits sociaux en Europe », a mis en avant la relocalisation de l’économie, le droit au logement et les luttes féministes, en appelant les forces politiques à mettre ces questions au cœur de leur « Plan B » aux niveaux national et international.

Deux nouvelles thématiques ont été abordées pour la première fois : la critique de la politique de défense européenne et les luttes féministes en Europe. Dans le panel « L’UE et la défense : différentes voies vers la paix en Europe », le projet du fonds européen destiné à faire la guerre a fait l’objet d’une condamnation unanime. Le débat a dès lors porté sur deux options alternatives au niveau international : la démilitarisation à l’échelle européenne et nationale ou bien le transfert des politiques militaires au niveau national. Dans le panel « L’impact de l’austérité sur le genre et les générations futures », la nécessité d’un « Plan B féministe » en Europe a été affirmée : les politiques de l’Union européenne sont nocives pour les conditions de vie et de travail des femmes et des jeunes des classes moyennes et populaires. En outre, il est nécessaire d’intégrer les revendications des luttes féministes et des jeunes dans les propositions politiques de rupture avec le néolibéralisme.

Dans la session de clôture, “Ou allons-nous à présent ? Un Plan B pour l’Europe”, les intervenant-e-s ont insisté sur la nécessité d’une stratégie coordonnée mais aussi d’un programme commun à la gauche radicale européenne, incluant notamment la hausse des salaires et la création d’emplois publics, de nouveaux droits sociaux (notamment en ce qui concerne le logement et le transport) et le renforcement de la solidarité internationale. La dernière intervention, de Catarina Martins, a résumé l’approche partagée par la grande majorité des intervenant-e-s : il est nécessaire de rompre avec les traités européens, notamment pour changer de politique économique et pour conquérir la démocratie et la souveraineté populaire en Europe.

Finalement, ce dernier « Plan B » a constitué un pas en avant constructif, en terme de clarification des convergences politiques et des pré-requis à l’enclenchement de processus de rupture avec le néolibéralisme en Europe. Le « Plan B », avec toutes ses limites, est aujourd’hui l’espace politique le plus radical de la gauche institutionnelle en Europe, aussi bien en terme de stratégie que de programme. C’est ce qui ressort de la déclaration finale du Plan B, qui inclut une liste de principes politiques assez précis, et se conclut par une affirmation assez claire : « L’Union européenne n’a pas le monopole de l’Europe. Le Plan B offre de nouvelles perspectives avec nos voisins, de nouveaux espaces de coopération existent. Si nos conditions ne sont pas respectées, nous l’appliquerons unilatéralement dans chacun de nos pays. Les élections européennes de 2019 représentent l’opportunité de confronter notre projet à celui des néolibéraux. Le fétichisme des institutions ou d’une monnaie ne peut pas prévaloir sur l’intérêt concret des peuples. C’est là tout l’enjeu de notre Plan B pour l’Europe. »2

Reste à voir de quelles manières ces principes, cette stratégie désormais plus définie même si elle reste à affiner, et les élaborations programmatiques qui devraient en découler – notamment à l’occasion des prochaines élections européennes – pourraient trouver les moyens de leurs réalisations, tant du point de vue de leur conditions institutionnelles que de leur ancrage dans les luttes sociales effectives en Europe.

Alexis Cukier et Marlène Rosato


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