L’impact mondial de l’affaire Weinstein : en Corée du Sud, la parole se libère sur le harcèlement en entreprise

dimanche 3 décembre 2017.
 

Le témoignage d’une employée violée a fait grand bruit en Corée du Sud. Depuis, les révélations se multiplient.

C’est sur un forum Internet qu’une Sud-Coréenne de 25 ans, jeune recrue du groupe Hanssem, a dénoncé le 3 novembre les sévices dont elle a été victime en début d’année : un viol dans un motel par un responsable chargé de sa formation. Elle s’était bien rendue à la police, avait déposé plainte et vu aussi le directeur des ressources humaines de la première enseigne d’ameublement sud-coréenne.

Mais celui-ci, plutôt que de l’aider, avait ajouté à son malheur en tentant de la convaincre de faire profil bas car « la base de la clientèle d’Hanssem est féminine ». Il en avait profité au passage pour lui faire des avances. Parce que l’agresseur est venu jusque chez elle la presser de revenir sur ses déclarations, et qu’elle craignait de perdre son emploi, la jeune femme a modifié sa version des faits. L’enquête fut donc close et comme son agresseur avait de toute façon nié les faits, il put conserver son emploi. L’employée soutient également avoir été photographiée à son insu dans les toilettes par un troisième de ses collègues, qui, lui, a été licencié.

Dans le sillage de l’affaire Weinstein aux Etats-Unis, le cas de cette employée a choqué et mis en lumière les pratiques ayant cours au sein des grands groupes de Corée du Sud, une société patriarcale et où la vie en entreprise est centrale, de sorte qu’il est fréquent d’aller passer la soirée avec des collègues. Le président d’Hanssem, Choi Yang-ha, s’est excusé publiquement depuis.

« Affaire privée »

L’affaire a convaincu d’autres femmes de parler. Une salariée de Hyundai Card, une branche financière de ce puissant conglomérat, a révélé à son tour avoir été violée par un collègue après un dîner d’équipe en mai. Elle s’était plainte en interne mais l’entreprise avait préféré y voir une « affaire privée ». Le nombre de cas de harcèlement sexuel signalés au ministère du travail a bondi cette année : il avait déjà grimpé de 249 en 2012 à 556 l’an dernier, mais atteint cette année 2 190 cas.

D’autres pratiques particulièrement misogynes ont été révélées ces dernières semaines. Des infirmières ont dénoncé les shows en petite tenue qu’imposait la direction d’un hôpital de la province de Gyeonggi, surtout aux jeunes employées pas en mesure de refuser si elles comptaient faire carrière, lors du spectacle annuel de l’établissement, devant un millier de collègues. Elles devaient subir les mêmes humiliations lors d’autres événements visant à réconforter les patients : « Nous devions nous mettre au sol et écarter les jambes devant les patients et leurs proches », a écrit l’une d’elles.

Cette série de scandales a poussé le Parlement à faire passer de vingt à trente millions de wons (23 000 euros) l’amende maximale imposée aux cadres d’entreprises reconnus coupables d’avoir couvert des cas de harcèlement sexuel. Mais le chemin à parcourir reste long.

Seuls neuf suspects ont été inculpés pour harcèlement depuis le début de l’année. Ces faibles chiffres expliquent que les femmes sud-coréennes jugent vain de saisir la justice : selon une enquête publiée en 2016 par le ministère de l’égalité des sexes et de la famille, 78 % des victimes se sont tues parce qu’elles anticipaient que rien ne serait fait pour les aider.

En Chine, le débat public étouffé

Le China Daily, organe officiel destiné au lectorat anglophone, ne rate jamais une occasion de dénoncer les maux de l’Occident et de vanter le modèle chinois. Aussi, le journal n’a pas hésité à profiter de l’affaire Weinstein pour publier en octobre une tribune prétendant : « Les valeurs traditionnelles chinoises et les mœurs conservatrices tendent à protéger les femmes contre les attitudes inappropriées des individus du sexe opposé ». Cet argumentaire douteux s’est rapidement retourné contre le quotidien, qui a retiré l’article de son site.

La réalité est que le harcèlement est courant en Chine. 53 % des femmes ayant répondu en août à un sondage du Quotidien de la Jeunesse ont dit l’avoir déjà subi dans le métro. Mais organiser une mobilisation sur le sujet est bien impossible. En 2015, dix activistes qui ambitionnaient de lancer une campagne contre les agressions dans les transports publics à l’occasion de la Journée internationale des femmes avaient été arrêtées par la police.

Harold Thibault


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