Peut-on sauver la planète sans s’en prendre au mode de production capitaliste  ?

mardi 5 décembre 2017.
 

Avec les contributions de Catherine Larrère, philosophe, Luc Foulquier, ingénieur-chercheur en écotoxicologie et Jean Gadrey, économiste.

Signé par plus de 15 000 scientifiques de 184 pays, l’«  avertissement à l’humanité  » publié dans BioScience enjoint aux décideurs et politiques d’agir pour la planète.

Mettre les expériences dispersées en réseau par Catherine Larrère, philosophe

La réponse, à l’évidence, est non. Si la Terre est aujourd’hui dans un état de plus en plus lamentable, c’est dû à une surutilisation qui trouve son origine dans un mode de production fondé sur la grande industrie, l’exploitation du travail d’autrui, la propriété privée et la finance. La solution ne se trouve pas dans les façons de faire qui ont mené à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ceux qui prétendent que l’on peut faire confiance à l’innovation technologique et au marché pour s’adapter à la dynamique du réel ne pensent qu’à leurs profits à court terme, et ne se soucient nullement de la planète, pas plus que des humains et des non-humains qui y vivent et ont le droit de continuer à le faire dignement.

Mais que faut-il changer  ? La réponse est beaucoup plus difficile. On peut en effet penser que ce n’est pas seulement au capitalisme qu’il faut s’en prendre mais tout aussi bien au socialisme – ou à l’idée que l’on s’en fait. La crise que nous affrontons demande que nous modifiions radicalement nos rapports à la nature, et pas seulement les rapports sociaux de production  : capitalisme et socialisme partagent une même foi non questionnée dans le progrès technique et dans un productivisme qui repose cependant sur un assujettissement de la nature et de la vie intrinsèquement capitaliste. Il s’agit bien de passer d’un système à un autre, mais si l’on ne parle pas de révolution, mais de transition écologique, c’est parce que celle-ci se fait non par rupture brutale avec le système existant, mais à l’intérieur de celui-ci. Il s’agit d’en réorienter l’économie, de rompre avec une vision court-termiste de l’économie, de repenser les notions d’investissement et de dette en y intégrant la préoccupation de la nature et la solidarité entre les générations.

Cela n’est pas facile à faire. Mais cela ne peut pas, non plus, suffire. Les conflits qui traversent la transition écologique ne se marquent pas tant par l’affrontement entre deux camps, deux projets de société antagoniques, que par l’oscillation entre un minimum (une transition faible, énergétique) sur lequel tout le monde – ou presque – s’accorde et un maximum, un changement radical des formes de vie, qui engage tous les secteurs de l’existence, et pas seulement l’articulation du technique et de l’économique, et qui transforme aussi bien les rapports sociaux (une société plus égalitaire, plus soucieuse de coopération que de compétition, attentive au commun, à ce qui réunit) que les rapports à la nature et à la façon de l’habiter. Pour engager le minimum, on a déjà besoin d’agir à tous les niveaux  : conférences internationales, politiques publiques, mobilisation à l’échelle des territoires. Mais seules les initiatives citoyennes locales permettront de basculer vers le maximum – et ce maximum est nécessaire. Mouvements de lutte contre les inégalités environnementales, nouvelles formes d’économie solidaire, mise en place de circuits locaux liant production et consommation, façons de produire qui sont aussi des façons d’expérimenter d’autres modes de vie, comme la permaculture, mobilisations autour de la question animale ou de l’alimentation  : la transition écologique s’engage dans un foisonnement d’expériences. Il est déjà possible de vivre autrement, et de façon plus écologique, à l’intérieur du capitalisme. Il faut aider ces expériences dispersées à se mettre en réseau et à subvertir le capitalisme.

L’écologie est au cœur de la lutte des classes par Luc Foulquier, ingénieur-chercheur en écotoxicologie

L’appel de scientifiques sur la dégradation de l’état de la planète est un atout pour prendre conscience des responsabilités du système capitaliste. Face aux risques, il y a besoin de faire avancer l’idée de progrès, refuser la démagogie et l’obscurantisme. L’académicien Yves Bréchet montre que ceux qui connaissent un sujet ont du mal à se faire entendre. La liberté de chercher et la défense de la démarche scientifique sont au service de tous.

Le PCF relaie cet appel. Il a toujours été du côté de celles et ceux qui considèrent que la politique doit s’appuyer sur l’état des connaissances scientifiques (naturelles et sociales). Les textes d’Engels, de Marx ou de Lénine montrent que cette démarche remonte loin.

Sous l’impulsion de scientifiques, dont Jean-Pierre Kahane, le PCF avait édité la revue Avancées scientifiques et techniques dans les années 1970, et aujourd’hui la revue Progressistes. La démarche scientifique implique de comprendre et de se confronter au réel. Les scientifiques ne sont pas des apprentis sorciers.

Il faut agir sans ignorer ce qui est vrai et vérifié par l’expérience  : le réchauffement climatique, lié à l’utilisation des énergies carbonées, est un fait avéré. Répondre aux besoins des êtres humains en protégeant l’environnement est une nécessité. L’équation énergies «  renouvelables  » + sobriété + économie d’énergie + arrêt du nucléaire civil n’est pas la solution pour le moyen terme. Voilà pourquoi Macron, Hulot et Merkel sont «  coincés  ». N’oublions pas que l’Union européenne est la 3e émettrice de CO2  !

En France, la situation est bien meilleure qu’en Allemagne, il ne faut pas, au nom d’intérêts économiques et d’options idéologiques, détruire cet avantage.

On ne peut parler de sciences sans voir les liens avec l’état des forces productives et les rapports sociaux.

Je ne pense pas que la démographie dans les pays en développement (voir le cas de la Chine) ou le comportement des individus soient les sources de la crise dans laquelle nous vivons. Il ne s’agit pas de «  gérer les catastrophes  ». «  Le droit à l’environnement  » ne résout pas la question des droits de l’homme. Les défenseurs du capitalisme savent cela. Mais leur moteur est le profit. Aménager l’existant, même avec de «  bons sentiments  », sans toucher à la structure de l’économie et du pouvoir ne nous sortira pas d’un système qui, comme le démontre Marx, ne peut qu’exploiter l’homme et la nature.

Macron multiplie les déclarations démagogiques. Où sont les mesures concrètes  ? Il n’est qu’à voir le plan d’investissement 2018-2022 où l’écologie serait la priorité  ! Dans la loi sur les hydrocarbures, il y a plus de «  mais  » que de «  certitudes  »  ; on s’attaque aux HLM et aux normes environnementales au lieu de financer l’isolation thermique  ; on supprime des lignes de chemin de fer, on ne développe pas le fret ferroviaire et on fait la pub pour les cars  ; on promeut les voitures électriques, sans évoquer la production électrique, alors que des coupures techniques sont possibles. Le tissu industriel français de l’énergie, dont EDF, est cassé et privatisé.

Il y a autre chose à faire. Développons la recherche et les services publics. Le marché des quotas de carbone est une arnaque, «  l’écofiscalité  » veut faire payer à tous les dégâts du système, le Ceta libéralise les exportations de pétrole canadien, l’obsolescence programmée bloque le développement de l’économie circulaire, les pauvres sont les victimes principales des pollutions… Et Nicolas Hulot qui lançait des appels contre l’évasion fiscale et l’impunité des banques  : quelle hypocrisie  !

Comme le social, l’écologie est au cœur de la lutte des classes. C’est le capitalisme, l’apprenti sorcier, comme le démontrent les guerres pour la domination des ressources. Ce système organise les concurrences et utilise les peurs qu’il engendre pour pousser vers le populisme qui le sert. Les défis écologiques sont liés à la gestion des biens communs.

Les scientifiques nous aident à comprendre le monde, mais il revient aux citoyen.ne.s de le transformer.

Refouler la zone de domination du capitalisme par Jean Gadrey, économiste

Jean GadreyÉconomisteOn ne voit pas comment la logique de la «  valeur pour l’actionnaire  », au cœur du capitalisme actuel, pourrait être compatible avec des politiques de préservation d’un environnement vivable, qui doivent être centrées sur la «  valeur  » (non économique) des biens communs naturels (dont le climat, la biodiversité, l’eau…) et sociaux, dont la protection sociale, l’égalité des sexes, la solidarité internationale, nationale et locale, etc. Cela dit, si l’on attend l’extinction du capitalisme pour agir, il est probable que les civilisations humaines se seront effondrées avant…

Le capitalisme s’est historiquement développé sur la base de la privatisation de biens naturels «  communs  » (en propriété commune), au centre comme dans la périphérie colonisée. Cette privatisation a conduit à une surexploitation des humains et de la nature ne se souciant pas du long terme. Cela continue aujourd’hui  : conquête des pôles, forages en eau profonde, mégabarrages, privatisation de semences et gènes, déforestation massive, accaparement des terres… On ne pourra surmonter la crise écologique sans reprendre le contrôle collectif, public, «  communal  » ou coopératif, de ces biens communs. Sans les sortir du capitalisme.

Les dirigeants politiques liés au capitalisme ont également privatisé la monnaie et le crédit, qui devraient être eux aussi des biens communs. Moyennant quoi la finance libéralisée a créé tous les outils d’une spéculation permanente sur tout, d’un endettement privé monstrueux, rendant impossibles les investissements de la transition. On ne s’en sortira pas sans confier les pouvoirs financiers à des pôles publics ou coopératifs.

En résumé, on peut rejoindre Edgar Morin à propos du capitalisme  : «  On ne va pas le remplacer par un coup de baguette magique mais on peut refouler sa zone de domination absolue.  »

Le premier refoulement est la «  définanciarisation  » de l’économie et de la société, en liaison avec la mise à mal du pouvoir totalitaire des grands actionnaires sur l’économie. C’est la mesure la plus urgente, et c’est la plus crédible parce que des forces diverses y poussent déjà. Imaginons à quel point le contrôle socialisé du crédit et la fin des paradis fiscaux pourraient contribuer à réorienter l’investissement vers les urgences de la transition à long terme.

Il faudra d’autres mesures de refoulement, dont la fin des accords dits de libre-échange, qui sont en réalité des accords d’échange inégal et de domination impériale des grands intérêts privés.

On peut envisager à terme une économie plurielle incluant un segment capitaliste non dominant, régulé selon des normes sociales et écologiques, à côté d’autres piliers, publics, coopératif, associatif, indépendant et libéral, avec des tissus locaux de PME, d’artisans, de paysans associés, le tout financé en fonction du long terme et de l’intérêt général par des banques socialisées.

«  Il sera bientôt trop tard  », écrivent 15 000 scientifiques qui ne sont pas des catastrophistes mais des observateurs d’une trajectoire qui peut nous conduire au désastre. Il faut donc lancer vite la transition écologique et sociale, dans le système tel qu’il est, et c’est en chemin que l’on verra comment faire avec, ou comment défaire, le capitalisme. D’ici là, des gens très différents auront des occasions de coopérer pour «  refouler la zone de domination absolue du capitalisme  » sur la société, la nature et la finance, en créant ensemble des espaces démocratiques de gestion collective des biens communs vitaux.

Dossier réalisé par Anna Musso, L’Humanité


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