Seine-Saint-Denis : la réalité des défaillances de l’État

lundi 4 décembre 2017.
 

Une mission parlementaire évalue la présence de l’État dans le département le plus jeune de France. Objectif : mettre au jour la discrimination dont souffre ce territoire dans les domaines de la sécurité, la justice et l’éducation.

«  Voir la vérité en face, sortir des fantasmes pour pouvoir réfléchir à des solutions.  » C’est, selon le député PCF de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, qui en est un membre actif, l’objectif de la mission parlementaire d’évaluation de «  l’effectivité de l’action de l’État  » dans ce département entre 2007 et 2017. L’idée – inédite – est de se pencher sur la manière dont la République rend service aux usagers dans trois domaines régaliens  : la sécurité, la justice et l’éducation. À l’heure où Emmanuel Macron se pique de relancer la politique de la ville, l’enjeu est aussi de tordre le cou, à travers une étude précise des données, à l’image d’Épinal véhiculée par certains politiques d’un département qui vit de l’argent public. «  Nous allons faire la démonstration que les crédits accordés dans le cadre dérogatoire des politiques de la ville ne compensent en rien les déficits en matière de droit commun  », explique le député communiste. Les habitants qu’il croise lui disent souvent  : «  Nous ne voulons pas la charité, nous voulons l’égalité.  »

C’est la première fois que l’action de l’État est évaluée sur un territoire et pas sur un domaine. La Seine-Saint- Denis a été choisie parce ce qu’elle est « un miroir grossissant des phénomènes nationaux », souligne le député LR François Cornut-Gentille, un des deux rapporteurs de la mission avec le député LREM Rodrigue Kokouendo. Avec son extrême jeunesse – 22,6 % de moins de 14 ans, contre 18,4 % dans le reste du pays –, son fort taux de délinquance – 7,7 vols violents pour 1 000 habitants, contre 1,5 dans le reste du pays –, mais aussi son nombre inégalé de créations d’entreprises, la Seine-Saint-Denis est à la fois pleine de potentiels et de handicaps. Les chiffres montrent, pourtant, qu’elle est moins bien servie que les autres. Seuls 4 % des enfants y sont scolarisés à deux ans, contre plus de 40 % en Corrèze. Deuxième tribunal de France après Paris, Bobigny ne compte que 580 avocats, contre 30 000 dans la capitale. Les délais pour un jugement au pénal y sont cinq fois plus longs qu’ailleurs. La pénurie de moyens et de personnel est telle qu’avocats et magistrats ont lancé, l’année dernière, un appel et un mouvement de grève. Cela conduit à s’interroger, estime Stéphane Peu : « La République des égaux traite-t-elle ses territoires de façon égalitaire ? »

Stéphane Peu : « Remettre la République sur ses pieds dans ce département. »

La mission veut d’abord obtenir des chiffres clairs. « Le débat aujourd’hui est organisé autour de présupposés, souligne François Cornut-Gentille. Nous devons nous appuyer sur des données pour avoir un débat politique transparent. » Cela commence par avoir une idée précise du nombre d’habitants du département. Selon l’Insee, ils sont 1,6 million, mais tous les experts s’accordent pour estimer qu’il y en a 100 000 à 300 000 de plus, du fait de gens qui cohabitent chez d’autres, de squatteurs ou de sans-papiers. Le même flou existe sur l’action de la police ou de l’éducation nationale, en raison notamment de la réticence des administrations centrales à fournir des données qui indiquent non pas les effectifs alloués, mais la présence effective. « Par exemple, sur la médecine scolaire, l’éducation nationale va dire qu’il y a 49 postes, alors qu’en réalité, seulement 23 sont pourvus », explique Stéphane Peu. C’est encore pire pour la police, pour laquelle personne ne semble savoir quels sont les effectifs réels sur le terrain.

La mission va adopter une approche quantitative mais surtout qualitative. Ce n’est pas seulement le nombre de fonctionnaires nommés et leur présence effective qui vont être évalués mais leur niveau de formation, leur expérience, leur mode de nomination et de rotation. « Il s’agit de voir si l’attribution des moyens est en adéquation avec les besoins », explique François Cornut-Gentille. L’idée est aussi de mettre en avant le dynamisme local. « Ce potentiel est peu valorisé et pas modélisé, souligne Stéphane Peu. Continuons-nous à laisser faire ces initiatives à un niveau individuel ou décidons-nous d’adapter les missions de service public aux réalités du terrain ? » L’enjeu est d’importance. « Les habitants de Seine- Saint-Denis, parce qu’ils sont issus de milieux populaires et n’ont pas d’autre recours, ont, plus que d’autres, le respect de la République, ajoute le député. C’est justement parce qu’ils croient en elle qu’il est dangereux qu’elle ne soit pas à la hauteur de ses promesses. »

Après la publication du rapport, prévue avant la fin de la cession parlementaire l’été prochain, des missions d’évaluation vont suivre la mise en place des préconisations. Un travail au long cours, dont Stéphane Peu, compte faire un des axes centraux de sa mandature. Pour lui, l’objectif est clair : « Remettre la République sur ses pieds dans ce département. »

Camille Bauer, L’Humanité


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